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  • Nasser et son temps
    Article publié le 20/01/2015

    Par Anne-Claire de Gayffier-Bonneville

    Agrégée et docteur en histoire, Anne-Claire de Gayffier-Bonneville est maître de conférences à l’Inalco.
    Son ouvrage L’échec de la monarchie égyptienne 1942-1952 (Le Caire, IFAO, 2010) a reçu le prix Joseph du Teil 2011 de l’Académie des sciences morales et politiques.

     

    Ouvrez un manuel scolaire français d’Histoire de terminale dont le programme traite de la seconde moitié du XX°s, vous y trouverez presque à coup sûr une photo de Nasser. C’est dire combien Nasser est une figure de son temps. Il a certes bouleversé l’histoire égyptienne en organisant le coup d’Etat du 23 juillet 1952 qui renverse la monarchie. Mais l’établissement d’un nouveau régime, dont le pouvoir égyptien actuel est l’héritier ne saurait, à lui seul, donner à Nasser la place qu’il occupe dans l’histoire de la seconde moitié du XX° siècle. Nasser est le miroir du peuple égyptien et l’extraordinaire communion qui s’établit entre lui et la population d’Egypte en témoigne mais il est bien plus que cela : il porte les aspirations des peuples qui sortent de la période coloniale. Et dans cette période un peu trouble d’éclosion des potentialités mais également de guerre froide entre deux projets de développement et de société, Nasser esquisse, avec quelques autres, Nehru, Tito, la possibilité d’une troisième voie, celle du non-alignement sur l’un des deux Grands, les Etats-Unis ou l’Union soviétique.

    L’objectif de cet article est d’essayer de mettre en lumière ce qui, dans l’action politique de Nasser, vient rencontrer les attentes profondes du Tiers monde et fait de l’homme le représentant d’une génération.

    La prise du pouvoir par Nasser et le départ des troupes britanniques

    Lorsque les Officiers libres prennent le pouvoir en juillet 1952, l’Egypte est formellement indépendante depuis trente ans mais les troupes britanniques continuent de stationner à proximité du canal de Suez. Or, cette présence militaire a permis à l’ambassadeur de Grande-Bretagne, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, de faire pression sur le roi Farouk et de lui imposer un président du Conseil. C’était le 4 février 1942. Aussi, dès la fin du conflit mondial, les Egyptiens réclament le départ des troupes britanniques pour gagner une indépendance pleine et entière. Mais ni les trois séries de négociations, en 1946, en 1948 et en 1950, ni le recours à l’arbitrage du Conseil de sécurité en 1947 n’ont permis aux Egyptiens d’obtenir satisfaction. La tension devient très forte autour de cette présence militaire étrangère à la fin de l’année 1951, après la décision du gouvernement de Nahhas pacha de dénoncer unilatéralement le traité de 1936, faute d’être parvenu à le renégocier.
    Entre octobre 1951 et janvier 1952, des affrontements ont régulièrement lieu dans la zone du canal de Suez, auxquels d’ailleurs Nasser prend plus ou moins part. Son épouse Tahia raconte dans ses mémoires [1] : « Gamal m’a dit que les armes que je voyais à la maison étaient transférées vers Suez et vers les lieux où se trouvaient des Anglais pour les tuer afin qu’ils se sentent en insécurité dans notre pays. Il m’a expliqué que les plans étaient élaborés ici à la maison, et chaque personne qui devait se rendre à Suez devait passer le voir d’abord. Je lui ai demandé s’il y allait lui aussi, il m’a répondu par l’affirmative. »

    Le premier défi pour le nouveau pouvoir en 1952 est donc de régler la question de la base militaire britannique des bords du canal de Suez en obtenant que les forces qui y sont stationnées quittent l’Egypte. Il lui est même indispensable, s’il veut acquérir une certaine légitimité, de parvenir à un résultat là où la monarchie a échoué.
    Les Officiers libres bénéficient précisément à cette époque de l’attention bienveillante de la nouvelle administration américaine arrivée au pouvoir au début de l’année 1953. Le secrétaire d’Etat américain, John Foster Dulles, inquiet des ambitions soviétiques, souhaite mettre sur pied un pacte de défense collective au Moyen-Orient mais il a conscience qu’il faut auparavant liquider le vieux conflit anglo-égyptien [2]. Il propose ses bons offices à l’Egypte et à la Grande-Bretagne. Débutées en avril 1953, reprises en mars 1954, les conversations débouchent en juillet 1954 sur un accord qui prévoit l’évacuation des troupes britanniques dans un délai de vingt mois. Le 13 juin 1956, le dernier soldat britannique quitte l’Egypte ; soixante-quatorze ans se sont écoulés depuis le bombardement d’Alexandrie et le débarquement des troupes du général Wolseley. Dans les rues du Caire, des banderoles invitent le passant à « releve[r] la tête car les jours d’humiliation sont passés ».

    Cependant les détracteurs de Nasser critiquent la possibilité laissée aux Britanniques de pouvoir revenir en cas de guerre ou de menace de guerre. Bien que les Egyptiens aient obtenu ce qu’ils demandaient depuis près de 20 ans, la liesse n’est pas générale. C’est d’ailleurs, dans ce contexte que Nasser est la cible d’un attentat perpétré à Alexandrie. Les Egyptiens voient notamment dans la Compagnie du canal de Suez le symbole de la dépossession de l’Egypte. Tant que le pays n’aura pas recouvré la totalité des droits générés par le transit sur le canal, les Egyptiens auront le sentiment d’une souveraineté amputée. Or, Ferdinand de Lesseps a obtenu de Muhammad Saïd une concession de 99 ans à partir de l’ouverture de la voie d’eau pour la Compagnie du canal ; ses droits expirent en 1968.

    La nationalisation du canal de Suez

    En juillet 1956, Nasser, exaspéré par l’attitude des Anglo-saxons qui multiplient les entraves à l’obtention d’un prêt pour la construction du Haut barrage, tente un audacieux coup de poker et nationalise la compagnie du canal de Suez. La nouvelle, accompagnée d’un immense éclat de rire, est accueillie avec un enthousiasme sans nom par les Egyptiens. Nasser offre sa revanche à un peuple qui se sent écrasé et humilié depuis des années. Les responsables politiques français et britanniques sont autant indignés par le coup de force de l’Egypte que par le rire de son président, « rire de la dérision […], grand hoquet de joie du Tiers Monde […], déculottée de l’Occident », note l’historien Marc Ferro [3].

    Le risque toutefois est grand ; la dernière tentative de nationalisation menée au Moyen-Orient s’est soldée par un échec : en Iran, Mossadegh, après la nationalisation des pétroles, est d’abord confronté à un arrêt de la production liée au départ des Britanniques puis l’opération Ajax menée par la CIA permet de le renverser. D’ailleurs, d’emblée, la France et la Grande-Bretagne songent à mener une expédition punitive qui ferait tomber le trublion de la scène moyen-orientale – il faut bien voir qu’outre la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez, l’Egypte de Nasser a refusé de participer au pacte de Bagdad, a signé un contrat d’achat d’armements avec la Tchécoslovaquie, a reconnu la Chine communiste et soutient la lutte engagée par les Algériens pour conquérir leur indépendance. Mais Français et Britanniques sont contraints par les Américains d’entamer une phase de négociations. Début septembre, ils optent pour la pression, espérant reproduire le précédent iranien. La Compagnie du canal prie les pilotes chargés de conduire les navires à travers la voie d’eau de cesser leur activité. Il s’agit de prouver l’incapacité de l’Egypte à gérer le canal, lui faire prendre conscience de sa réelle dépendance à l’égard de l’Occident et l’obliger à solliciter elle-même une aide extérieure. Mais, loin de parvenir à leur fin, les Européens essuient un nouveau camouflet, obligés d’admettre la réelle compétence des pilotes égyptiens assistés de collègues soviétiques, grecs, yougoslaves et d’Allemagne de l’Est.

    Le jeu diplomatique se prolonge mais les gouvernements français et britanniques sont désormais résolus à user de la manière forte. Les plans d’une opération militaire conjointe sont élaborés. Le 22 octobre 1956, David Ben Gourion, Moshe Dayan et Shimon Pérès rencontrent secrètement Christian Pineau, Guy Mollet et Selwyn Lloyd dans une villa de Sèvres où, pendant deux jours, le schéma de l’intervention est mis au point.

    La guerre de 1956 et ses conséquences en Egypte et dans le monde arabe

    Dans la nuit du 29 au 30 septembre, conformément aux conventions de Sèvres, l’armée israélienne attaque l’Egypte. En dépit du tollé général que la manœuvre israélo-anglo-française déclenche sur la scène internationale, Londres et Paris ne renoncent pas à l’exécution de leur plan. Comme prévu, les parachutistes sautent dans la nuit du 5 novembre sur Port-Fu’âd et Port Sa‘îd ; le 6 novembre, les forces de l’expédition franco-britannique débarquent. Le président américain condamne l’« invasion » et l’Union soviétique menace la France, la Grande-Bretagne et Israël de l’emploi « de toutes les formes modernes d’armes destructives s’il n’était pas mis fin à l’expédition ». Quelques heures plus tard, le gouvernement britannique jette l’éponge. A son tour Paris annonce, à regret, la fin de l’opération. François Mauriac déplore un « Dien Bien Phu diplomatique ».

    La déroute des Européens est le triomphe de Nasser. De chef politique, il prend la stature de za’îm, le guide. Il rend aux Egyptiens une assurance et une fierté que les échecs politiques répétés avaient finies par leur ôter. Plus encore, il les invite à aller au-delà de leurs rêves puisqu’après avoir obtenu le départ des troupes britanniques, il a osé défier l’Occident ; Nasser devient celui en qui l’Histoire se réalise. Il est celui auquel l’homme ordinaire est invité à s’identifier. Nasser, explique le journaliste de gauche Muhammad Sid-Ahmad, contemporain des événements, est « d’abord le gouvernant que le petit peuple [considère] comme entièrement sien. A ce titre, il est unique dans l’histoire de l’Egypte [4] ». Les plus grands artistes contemporains contribuent à faire de Nasser un héros. Abd al-Halim Hafiz met ainsi sa voix au service du président : « Nous sommes ta vie et tes sourires et tu es notre vie. Nous nous réjouirons et tu exulteras de notre joie J [5] ». C’est le premier grand chant écrit en l’honneur du raïs.

    Hors d’Egypte, l’opinion arabe s’enflamme : c’est à tous les Arabes que Nasser rend leur dignité, même si, au plus fort du conflit, aucun des Etats de la région n’a amorcé le moindre geste de soutien au pays agressé. Indéniablement, le président de l’Egypte est devenu le leader du monde arabe, il « est capable, sur un discours ou sur une injonction de sa radio, de faire ‘sortir’ les foules arabes [6] ».

    Nasser avait également l’intuition de ce que le rayonnement de l’Egypte pouvait dépasser le cercle arabe et avait commencé à développer des liens avec les mouvements africains de lutte pour l’indépendance nationale. En 1955, est mis en place au Caire un bureau de « liaison africaine ». Avec l’affaire de Suez, Nasser devient, pour l’Afrique et les nations qui prennent leur indépendance, un mythe, l’icône de leur combat.

    Le non-alignement

    L’Egypte représente en outre un modèle spécifique de développement. Nelson Mandela rapporte dans ses mémoires la fascination qu’opérait l’Egypte sur sa génération [7] : « En tant qu’étudiant, j’avais rêvé de visiter l’Egypte, le berceau de la civilisation africaine, le reliquaire de tant de beauté en art, j’avais rêvé de voir les pyramides et le Sphinx, de traverser le Nil, le plus grand fleuve africain. […] Pour nous, l’Egypte était un modèle important car nous pouvions constater par nous-mêmes le programme de réformes économiques socialistes lancé par le président Nasser. Il avait réduit la propriété privée de la terre, nationalisé certains secteurs de l’économie, engagé une industrialisation rapide, démocratisé l’enseignement et bâti une armée moderne. Beaucoup de ces réformes étaient précisément ce que l’ANC espérait réaliser un jour ».

    Ce témoignage de Mandela est tout à fait important dans notre perspective d’étude. Il n’insiste pas sur le combat pour la souveraineté parce que ce n’est effectivement pas celui de l’Afrique du Sud. Il voit plutôt en Nasser, celui qui, dans le climat de guerre froide, cherche une troisième voie entre l’Ouest et l’Est, une alternative pour les pays en voie de développement.

    Dès 1955, Nasser se rend avec une délégation, qui comprend d’ailleurs des membres du FLN, à Bandoeng où se réunissent pour la première fois ceux qui prônent l’idée du non-alignement. Ni l’Union soviétique, ni les Etats-Unis, ni les pays d’Europe n’y sont conviés. L’année précédente déjà, Nasser a manifesté sa volonté de ne pas entrer dans la logique des blocs, en refusant d’adhérer au pacte de Bagdad que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne téléguident en sous-main. Cette organisation de défense est, pour l’Egypte, une forme nouvelle et déguisée de tutelle occidentale. Nasser profite de la réunion de Bandoeng pour aborder la question de la fourniture en armes de l’Egypte. Héritage de l’Histoire, l’approvisionnement en armes et matériels des armées arabes dépend du monde occidental. Or, il est perçu comme largement insuffisant et bien trop contraignant, empêchant le renforcement du potentiel militaire. Entre le printemps et l’été 1955, un contrat dit « des armes tchèques » est secrètement négocié entre Le Caire et Moscou. L’Egypte s’émancipe du carcan dans lequel elle était tenue enfermée. En juillet 1956, le mouvement des non-alignés dans la continuité de la Conférence de Bandoeng, est créé à l’initiative de Nasser, Nehru et Tito, réunis tous trois à Brioni.

    L’indépendance économique, la justice sociale et l’indépendance politique

    La souveraineté gagnée, âprement défendue, a besoin d’être confortée par un développement économique et social afin d’empêcher le pays de retomber dans un état de dépendance à l’égard d’une puissance ou d’un bloc. Dans cet esprit de sauvegarde de l’indépendance, Nasser cherche à explorer un mode de développement qui ne serait ni capitaliste ni une reproduction du système soviétique.

    Dans cette voie économique alternative, la propriété privée est respectée tout en étant limitée – ce sera l’objet notamment des réformes agraires – ; le développement économique est organisé et dirigé par l’Etat qui doit tirer des secteurs bénéficiaires l’argent nécessaire pour assurer la construction des infrastructures dont le pays a besoin et le développement des industries moins compétitives, l’objectif étant de pouvoir « produire de l’aiguille au missile » en Egypte même. Sans entrer dans un système d’autarcie, l’Egypte doit essayer d’assurer par elle-même l’essentiel de son développement économique, générateur d’emplois, de revenus et à terme d’élévation du niveau de vie de ses habitants.

    Outre cette obsession de l’indépendance, Nasser est habité par un souci de justice sociale. L’Egypte dans laquelle il grandit est très inégalitaire et sans doute son origine modeste le rend-elle particulièrement sensible à la profonde fracture sociale qui existe sous la monarchie. En 1950, 94% des propriétaires fonciers possèdent moins de 5 feddan-s et 70% des propriétaires ne possèdent même pas 1 feddan ; à l’autre bout de l’échelle sociale, environ 12 500 personnes se partagent plus de 2 millions de feddan-s, soit plus de 35% des terres cultivables.

    Et dans les premières années, les résultats sont très satisfaisants. En 1958, le taux de croissance est exceptionnel : 12,5%, il fléchit ensuite mais reste très élevé dans la première moitié des années 1960. La création d’emplois est remarquable : un million deux cents mille emplois sont développés entre 1959 et 1965 ce qui fait du début des années 1960 une période où le plein emploi est presque atteint. Les diplômés de l’enseignement supérieur ne connaissent plus, à partir de 1963, les mêmes difficultés de débouchés que sous la monarchie puisque ils reçoivent l’assurance de trouver un emploi dans le secteur public une fois leurs études finies. La mesure vise également à conserver au service de l’Etat des spécialistes et des techniciens, l’Egypte ayant perdu, avec le départ des communautés étrangères, un certain nombre de ses cadres et chefs d’entreprises qu’il est d’autant plus impératif de remplacer que les entreprises publiques se sont multipliées. Le changement est notable dans tous les secteurs, jusque dans les campagnes où le nombre de pauvres diminue de moitié, passant de 56% en 1950 à 27% en 1958/59 [8].
    La scolarisation des enfants est une autre des préoccupations majeures du gouvernement qui s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été initié par la monarchie dans ses dernières années. En 1960, 66% des enfants sont inscrits à l’école primaire. C’est à cette période florissante que Mandela fait référence.

    La quête d’une troisième voie se décline également en termes politiques. Les nouvelles institutions donnent au président un rôle central qu’un juriste français résume en 1958 par cette formule : « On peut dire du chef de l’Etat égyptien qu’il est un président de la République doté des attributions d’un premier consul [9] ». Muhammad Husayn Haykal justifie la mise en place d’une république plébiscitaire qui ne permet pas l’expression d’opinions divergentes par le fait que Nasser « avait la capacité de sentir la ‘volonté populaire’ [10] ». La démocratie pluraliste n’avait été qu’un simulacre sous la monarchie et les Officiers libres avaient voulu tourné la page de cette période d’impéritie, de corruption et d’inégalité ; l’Egypte ne voulait pas non plus suivre les directives d’une avant-garde révolutionnaire mais elle voulait favoriser le rassemblement et la mobilisation des Egyptiens autour d’un projet commun au sein du Rassemblement de la libération puis de l’Union socialiste arabe.

    Conclusion

    L’échec de la République arabe unie [11] est le premier revers du régime nassérien ; il en ouvre d’autres. Dans la seconde moitié des années 1960, les résultats économiques espérés ne sont pas au rendez-vous. Le développement du pays pâtit notamment de la situation de guerre que connaît le pays. Les dépenses militaires augmentent notablement à partir de 1962 quand l’armée égyptienne part prêter main forte aux Officiers libres yéménites. Plus au Nord, si la présence des casques bleus dans le Sinaï met pour quelques temps un terme aux hostilités, Le Caire reste sur le pied de guerre. En 1965, les dépenses militaires représentent 12% du PNB. La guerre déclenchée le 5 juin 1967 est le coup le plus dur que doit essuyer l’Egypte nassérienne.

    Nasser succombe à une crise cardiaque le 28 septembre 1970. Les critiques ne tardent pas à pleuvoir sur les mânes de l’ancien président : ses choix économiques comme la défaite de 1967 lui sont vivement reprochés par ses successeurs, qui prennent des options en matière de relations internationales, de politique intérieure et de stratégie économique diamétralement opposées aux siennes.
    Mais en dépit de la « dénasserisation » qu’ils pratiquent, le souvenir du dirigeant, héros d’une génération, n’est pas mort. Le film Nasser 1956, sorti à l’occasion du quarantième anniversaire de ce long été où l’Egypte se retrouva au cœur de l’actualité, connut un exceptionnel record d’audience, notamment auprès du jeune public avide de réinvestir l’histoire de son pays.
    Quinze ans plus tard, durant la première année de ce qu’il est convenu d’appeler en France les « printemps arabes », la figure de Nasser se trouve mobilisée par les contestataires qui voudraient à nouveau croire en un avenir, retrouver la fierté d’être Egyptien et aspirent à plus de justice sociale. Le slogan des premières années de la Révolution pourrait être repris : « Relève la tête, mon frère ».

    Note perso :Slogan repris par le president Algerien (erfa3 rassak aba).

    [1Tahîa Gamâl Abd al-Nasser, Nasser ma vie avec lui. Mémoires d’une femme de président, L’Harmattan, 2014, p. 107.

    [2A-C de Gayffier-Bonneville, « La coopération anglo-américaine en Méditerranée sud-orientale de 1948 à 1955 : une réalisation inaboutie », Stratégique, n°82-83.

    [3M. Ferro, 1956 Suez. Naissance d’un tiers monde, Bruxelles, Ed. Complexe, 1982, p. 31.

    [4M. Sid-Ahmad, « Autocritique du soutien inconditionnel à Nasser », Nasser – 25 ans, Peuples Méditerranéens, n°74-75, janvier-juin 1996, p. 74.

    [5. Gordon, Nasser. Hero of the Arab Nation, Oxford, Oneworld Publications, 2006, p. 9.

    [6T. Aclimandos, « De Nasser à Moubarak : une brève histoire politique », V. Battesti et F. Ireton dir., L’Egypte au présent, Inventaire d’une société avant révolution, Paris, Actes Sud, 2011, p. 294.

    [7N. Mandela, Un long chemin vers la liberté. L’autobiographie, Paris, Le livre de poche, 2013, p. 358-359.

    [8M. Riad El-Ghonemy, « An Assessment of Egypt’s Development Strategy », E. Podeh et O. Winckler dir., Rethinking Nasserism. Revolution and Historical Memory in Modern Egypt, University Press of Florida, 2004, p. 254-255.

    [9G. Conac, « Les institutions politiques de la République arabe unie », Revue internationale de droit comparé, n° 3, vol. 10, 1958, p. 560.

    [10Cité par Jamal al-Shalabi, Mohamed H. Heikal entre socialisme de Nasser et l’Intifah de Sadate (1952-1981), Paris, L’Harmattan, 2001, p. 148.

    [11De 1958 à 1961, l’Egypte et la Syrie fusionnent au sein de la République arabe unie.

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  • Taha Hussein (1889-1973)
    Article publié le 30/05/2017

    Par Mathilde Rouxel

    Taha Hussein est l’un des intellectuels égyptiens les plus influents du XXe siècle. Il fut à la tête de la renaissance intellectuelle arabe (la nahda) et travailla beaucoup à la modernisation de la société égyptienne. Il fut l’auteur de nombreux ouvrages théoriques (notamment sur la politique, la culture et l’éducation) et fut nominé à plusieurs reprises pour le Prix Nobel de littérature pour ses romans.

    Vie et activité

    Taha Hussein est né en Moyenne-Égypte à Maghagha le 14 novembre 1889 (1). À cette époque, l’Égypte était très marquée par l’échec de la révolution et l’occupation britannique de 1882. Il grandit au sein d’une famille pauvre entouré de douze frères et sœurs, et perd la vue à l’âge de trois ans en raison d’une conjonctivite mal soignée. Cet événement symbolise la conjonction du manque de savoir et du dénuement que Taha Hussein combat toute sa vie (2). Il raconte son expérience dans son ouvrage autobiographique en trois tomes intitulé Le Livre des jours, dont le premier tome est publié en 1926. Il explique dans cette œuvre qu’enfant déjà, alors qu’il suivait les enseignements de l’école coranique (kuttab), il se montrait réticent aux méthodes d’enseignement traditionnel. Pourtant, à neuf ans, il connaissait le Coran par cœur, ce qui lui permet, à treize ans, d’obtenir le droit d’accompagner son frère aîné au Caire.

    Il rejoint donc le Caire en 1902. Il poursuit ses études en théologie et littérature arabe, d’abord à l’Université Al-Azhar au Caire ; les révoltes contre les Britanniques qui suivent l’incident de Denshawi en 1906 permettent l’ouverture en 1908 de l’Université Nationale du Caire, laïque. Taha Hussein profite de cette opportunité pour quitter Al-Azhar, dont l’enseignement trop rigide lui déplait. Il y soutient une thèse sur le poète et philosophe sceptique Abu-Alala’ al-Ma’ari, et développe de nouvelles idées, découvrant la philosophie islamique et l’histoire de l’Égypte ancienne (3). Il obtient en 1914 une bourse pour partir étudier à Paris, où il reste trois ans. Il y étudie ces sciences nouvelles qu’étaient la psychologie et la sociologie, et y compose une thèse sur la philosophie sociale d’Ibn Khaldoun (4), partiellement dirigée par Émile Durkheim, qu’il soutient à la Sorbonne en 1918. Il suit ensuite une année de droit civil avant de rentrer en Égypte. Il rencontre par ailleurs Suzanne Bresseau, qu’il épouse, et qui a été déterminante dans la relation particulière qu’il entretenait avec la France (5).

    Taha Hussein

    À son retour en Égypte en 1919, alors que les révoltes contre les Britanniques éclatent de toutes parts, il commence à enseigner l’histoire de l’Antiquité à l’Université nationale du Caire (6) et s’engage dans la vie culturelle du pays, qu’il souhaite moderniser. En 1922 est annoncée la fin du Protectorat britannique ; l’indépendance est déclarée et les premières élections parlementaires sont organisées sous une nouvelle constitution égyptienne en 1924. En 1925, l’Université nationale du Caire est placée sous l’égide de l’État ; Taha Hussein est nommé professeur de littérature arabe, puis, en 1928, doyen de la faculté des lettres du Caire. Cela lui vaut, plus tard, le surnom du « Doyen de la littérature arabe » (7). Il crée en 1942 l’université d’Alexandrie, dont il est le recteur. Sur le plan politique, son ascension lui permet de siéger aux postes de contrôleur général de la culture, de conseiller technique, de sous-secrétaire d’État au ministère de l’Instruction publique avant d’être nommé ministre de l’Éducation nationale.

    Le travail réalisé par Taha Hussein au ministère de l’Éducation nationale est encore salué aujourd’hui. Il y a défendu le droit à une éducation libre et gratuite pour tous, et s’est opposé avec virulence au confinement d’une éducation accessible uniquement par les familles riches ; on lui connaît encore cette devise affirmée dans le troisième tome de son Livre des jours, selon laquelle « l’éduction est [nécessaire] comme l’eau et l’air » (8). Sous son impulsion, l’éducation devient libre, permettant à chaque Egyptien d’accéder à une éducation gratuite. Il est aussi à l’origine de la conversion de plusieurs écoles coraniques en écoles primaires laïques, et a créé de nombreuses universités.

    Un penseur polémique

    Son travail littéraire et ses essais ont aussi eu un impact marqué sur la société arabe. Son ouvrage critique sur la poésie préislamique (De la poésie préislamique, 1926) lui a valu une grande notoriété en raison de l’analyse audacieuse qu’il fait sur la prétendue « authenticité » des poèmes arabes antiques, dont il questionne la falsification au fil du temps, et sur le rapport entretenu par le Coran à l’Histoire. Le retour aux textes antéislamiques permet au contraire, selon lui, de considérer l’histoire de ce texte en regard de la société arabe avant l’Islam et d’en proposer une exégèse novatrice. Cet ouvrage a provoqué le courroux des universitaires et théologiens d’Al-Azhar ; l’objectif de Taha Hussein est pourtant d’expliquer la position de supériorité intellectuelle et morale adoptée par l’Islam à l’égard de la civilisation arabe d’où il est issu, puisque – et tel est le cœur de sa thèse – la poésie antéislamique, réécrite au fil des siècles, ne peut se comprendre que dans la dépendance du texte coranique, seul capable de nous apprendre quelque chose sur les conditions matérielles et morales de l’Antéislam. Selon le chercheur Luc Barbulesco, c’est la mise en œuvre des arguments historiques destinés à justifier cette thèse par une méthode de type scientifique, et non pas théologique, qui aurait provoqué le rejet des conservateurs d’Al-Azhar (9). L’opposition menée contre Taha Hussein s’est présentée alors davantage comme une opposition politique de point de vue que comme une opposition intellectuelle de fond : Taha Hussein s’est posé avec cet ouvrage comme un chef de fil du modernisme arabe.

    En 1938, c’est son ouvrage L’Avenir de la culture en Égypte (Mustaqbal al-thaqafa fi Masr, 1938) qui marque les esprits : il y encourage ses concitoyens à s’ouvrir sur les pays de la rive occidentale de la Méditerranée. L’histoire et la culture de la civilisation égyptienne justifient d’ailleurs ces liens, et Taha Hussein a avancé à ce moment l’idée qu’il serait plus riche de se tourner vers l’Europe que vers l’Orient. Les nationalistes, tel Ahmed Lotfi Essayyed (10), les tenants de l’arabisme, tel Satee al-Houssary ou les intellectuels des courants islamistes, tel Sayyid Qotb, se sont farouchement opposés à cette thèse : le métissage prôné par Hussein n’était pas du goût de ces penseurs patriotes et toujours en lutte contre l’influence de ceux qui furent les colons.

    Œuvre littéraire

    Mais Taha Hussein n’a pas seulement été le promoteur d’idées nouvelles ; il a aussi été l’inventeur d’une langue – une langue claire et abordable, qui tire sans doute sa simplicité du fait qu’elle a été dictée, Taha Hussein n’étant pas en mesure d’écrire lui-même (11). Isolé par sa cécité, le développement de l’ouïe et du toucher lui ont permis toutefois d’approfondir sa sensibilité et de percevoir l’univers qui l’entoure avec une finesse étonnante. La pauvreté dans laquelle il a grandi fait l’objet de plusieurs de ses romans, notamment Les Damnés de la terre (Al-Mu’azzabun fi-l ardh, 1949), un recueil de nouvelles où se reflète, à travers un réalisme social marqué, le sous-développement sordide des Égyptiens plus démunis ; les fellah, paysans, furent quant à eux au cœur de L’Arbre de la misère (Shajarat al-Bu’s, 1944) (12). Anouar Louca estime « inclassable » le travail poétique et littéraire de Taha Hussein, qu’il décrit ainsi : « dans son œuvre (…) les abstractions de la philosophie grecque ou islamique voisinent avec le réalisme social, réalisme où le dogme (…) est concrètement généré dans une narration circonstanciée ».

    Son œuvre littéraire la plus importante est sans conteste son autobiographie en trois tomes Les Jours (Al-Ayyam), écrite à la troisième personne. Le premier tome décrit la vie qu’il a menée dans son village d’origine, s’attardant sur la solitude qu’il a connue avec sa maladie. Le deuxième tome relate ses années d’étude au Caire, en particulier à l’université Al-Azhar, qu’il n’épargne pas de ses critiques. Le dernier tome (intitulé pour sa traduction française La Traversée intérieure lorsque les deux tomes précédents prennent le titre du Livre des jours) raconte son passage en France, entre Paris et Montpellier, dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Dans une langue modernisée, Taha Hussein dépeint dans cette autobiographie l’histoire d’une époque. La grande souplesse de son écriture a conquis des milliers de lecteurs et l’a imposé comme l’un des auteurs les plus importants de la littérature arabe.

    Chercheur et critique littéraire, Taha Hussein n’a pas seulement été un bâtisseur d’écoles et d’universités, il a également traduit en arabe des chefs-d’œuvre classiques, notamment Sophocle, Racine, Voltaire et André Gide.

    Conclusion

    Rédacteur en chef de nombreuses revues et journaux égyptiens, et membre de plusieurs académies en Égypte et à travers le monde, il est encore aujourd’hui considéré comme l’un des penseurs les plus importants de la renaissance arabe. Tout au long de sa carrière, il a défendu l’accès gratuit et libre à l’éducation et a favorisé le métissage des cultures et une ouverture sur l’Occident. Étant lui-même francophone et ayant étudié le latin et le grec ancien, il a fait de l’accès égyptien à la Méditerranée le cœur de sa réflexion, celui-ci présentant toujours d’abord la civilisation égyptienne comme historiquement méditerranéenne. Ses thèses lui ont valu l’opposition de nombreux penseurs de son temps, mais lui ont permis également d’acquérir une solide notoriété, non seulement en Égypte, où il a occupé des postes à responsabilités politiques, mais dans tout le monde arabe et à l’international.

    Notes :

    (1) Abul Naga, “Taha Hussein (1889-1973)”, Encyclopedia Universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/taha-hussein/
    (2) Abdel Fattah Galal, “Taha Hussein, (1889-1973)”, in. Prospects : the quarterly review of comparative education, Paris, UNESCO : International Bureau of Education), vol. XXIII, no. 3/4, 1993, p. 687-710
    (3) Ibid.
    (4) Taha, Hussein, Etude analytique et critique de la philosophie sociale d’Ibn Khaldoun, Paris, 1917, p. 21, cité par Nassir, Nassaf, La pensée réaliste d’Ibn Khaldoun, Paris, PUF, 1967, p.10.
    (5) Voir les mémoires de Suzanne Taha Hussein, Avec toi. De la France à l’Égypte. Un extraordinaire amour (1915-1937), Paris, Cerf, 2012.
    (6) L’Université du Caire fut fondée en 1908. Il s’agit d’une université laïque.
    (7) Mahmoud Ghanayim, "Mahmud Amin al-Alim : Between Politics and Literary Criticism". Poetics Today. Poetics Today, Vol. 15, No. 2. 15, 1995, p.321–338.
    (8) Luc-Willy Deheuvels, « Tâhâ Husayn et Le livre des jours ; Démarche autobiographique et structure narrative », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°95-98, avril 2002, disponible en ligne, consulté le 25 mai 2017. URL : http://remmm.revues.org/236
    (9) Luc Barbulesco, « L’itinéraire hellénique de Tâhâ Husayn », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°92-98, avril 2002, disponible en ligne le 12 mai 2009, consulté le 25 mai 2017. URL : http://remmm.revues.org/237
    (10) Mohamed Afifi, Edouard Al-Kharrat, Les représentations de la Méditerranée. 3 : La Méditerranée égyptienne, éditions Maisonneuve et Larose, 2000, p.36.
    (11) Il dictait ses livres à sa fille, à qui il a dédié Le Livre des Jours.
    (12) L’ouvrage ne dispose pas de traduction en français. Voir au sujet de ses romans : Anouar Louca, « L’inclassable Taha Hussein », in. Jacques Langhade, Abdallah Bunfour (dir.), Taha Hussein : colloque de Bordeaux, 15, 16 et 17 décembre 1989, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1991.

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