• Rouhollah Moussavi Khomeyni (1902-1989) : guide de la révolution iranienne

    Par Ainhoa Tapia

    L’ayatollah Khomeiny est connu pour être le leader de la révolution islamique en Iran en 1979, qui mit fin au règne du shah Mohamed Reza Pahlavi. Cependant, il est courant d’oublier qu’il obtint le pouvoir dix ans seulement avant sa mort et que l’essentiel de sa carrière se déroula avant la [révolution de janvier-février 1979. Cette brève biographie cherche ainsi à relater les principales phases de sa vie pour tenter de mieux comprendre une figure essentielle de l’histoire récente du Moyen-Orient, au-delà des clichés relayés par ses partisans ou ses opposants.

    1902-1927 : enfance et éducation

    Rouhollah Moussavi Khomeyni nait le 24 septembre 1902 dans la province de Khomeyn, à l’est de l’Iran. Son père, ayatollah, tout comme son grand-père et son frère aîné, est tué dans des circonstances qui restent à ce jour non élucidées, moins de six mois après la naissance de Khomeyni. Ce dernier est élevé dans un milieu très religieux et matriarcal, par sa mère et sa tante Sadebeh qui, n’ayant pas d’enfants elle-même, élève ceux de son frère après sa mort. Elle a ainsi une influence majeure sur son neveu grâce à son charisme et éduque Khomeyni dans l’idée que toute action doit se soumettre à la loi islamique. Pour elle et plus tard son neveu, la religion et le pouvoir politique étant un ensemble indissociable, la tache d’un religieux chiite est de promouvoir la justice en défendant et en protégeant les faibles et les pauvres contre toutes les forces d’oppression, extérieures et intérieures. A sept ans, comme pour la plupart des garçons du pays à l’époque, elle envoie son neveu dans une maktab où il apprend à lire en se basant sur des textes tirés du Coran.

    En 1918, à seize ans, Khomeyni perd sa mère et sa tante lors d’une épidémie de choléra. Il aurait souhaité étudier à Nadjaf dans l’actuel Irak, mais la chute de l’Empire ottoman l’en empêche. Il se rend alors à Ispahan, la principale ville religieuse de Khomeyn, où il étudie sous l’égide de l’ayatollah Haeri. Il suit ensuite celui-ci au début des années 1920 lorsqu’il enseigne dans la ville sainte de Qom. Khomeyni se tourne alors vers le mysticisme sous l’égide de Mirza Mohammaf Ali Shahabadi, un ascète, seul ayatollah de l’époque à s’opposer à la politique du shah.

    1927-1961 : le début de sa carrière religieuse puis politique

    En 1927, il obtient le titre d’ayatollah et commence à enseigner à Qom. Deux ans plus tard, à la suggestion d’un de ses amis, il épouse Qods-e Iran, sa seule compagne pour le restant de ses jours, à l’époque collégienne de quinze ans. Très vite, il rassemble une large audience lors de ses conférences et sa réputation grandit car, en plus d’être un grand théologien, il est un exemple d’élévation morale. Néanmoins, alors que la méthode d’enseignement traditionnelle consiste en un dialogue entre le professeur et ses élèves, Khomeyni énonce les diverses opinions avant de conclure par les siennes, en laissant peu de place à la discussion.

    A l’époque, il préfère ne pas intervenir ouvertement en politique. Il ne critique ainsi pas publiquement la politique du shah pour mieux préparer les attaques contre ce dernier en privé. Ainsi, lorsqu’il s’estime prêt, au début des années 1940, il publie ses premiers écrits. Il y critique les mesures de laïcisation du régime. Cependant, ses principales cibles sont, en réalité, plus les religieux qui soutiennent le shah dans ses mesures d’occidentalisation du pays que le shah. Selon lui, le type de gouvernement en lui-même importe peu tant que celui-ci suit la sharia. Autrement dit, si le shah revient sur ses positions, Khomeyni n’exigera nullement son abdication. A l’inverse, les ayatollahs qui ont accepté un régime n’appliquant pas les lois du Coran n’ont aucune excuse selon lui.

    Parallèlement à ses critiques, il se rapproche de l’ayatollah Sayyed Abolqassem Kashani, bien que celui-ci soit plus flexible que Khomeyni et plus prompt à s’éloigner de la ligne directrice dictée par les autorités religieuses de Qom et de Nadjaf. Par exemple, Kashani est le seul ayatollah à soutenir publiquement le Dr Mohammad Mossadegh lorsqu’il devient Premier ministre en 1951 et demande la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company. Khomeyni, lui, se méfie de l’anticléricalisme de certains des partisans de Mossadegh et est inquiet en particulier du tournant vers le communisme du Front National. Il n’intervient cependant pas publiquement lorsque Mossadegh est renversé par un coup d’Etat mené par le général Fazlollah Zhedi.

    En effet, si Khomeyni refuse de devenir un nouveau Bashani, incompris par les hautes autorités religieuses de Qom et Téhéran, il est également trop jeune pour devenir marja-e taqlid, « modèle d’inpiration », c’est-à-dire le plus haut rang accordé à un ayatollah, et ainsi choisir sa propre voie. Il évite donc d’intervenir dans le domaine politique jusqu’à obtenir son rang de matja-e taqlid en 1961, à la mort de son mentor, l’ayatollah Borujerdi.

    1961-1979 : le renversement du shah et la révolution islamique

    Si l’ayatollah Borujerdi considère que la religion est dépendante de la coopération des ayatollahs avec le shah, Khomeyni estime pour sa part que la foi ne peut s’imposer que par la confrontation avec le régime séculier. C’est pourquoi lorsque le shah lance sa « révolution blanche » en 1962, Khomeyni choisit d’entrer en politique. L’accord du droit de vote aux femmes s’opposant, selon lui, aux préceptes du Coran, lui sert de prétexte. Il envoie alors une lettre au shah lui exposant ses revendications mais ce dernier n’y prête pas attention, de même que le Premier ministre lorsque Khomeyni s’adresse également à lui.

    Néanmoins, Khomeyni devient chaque jour plus influent car il sait s’entourer. Il s’allie en particulier aux chefs des principaux bazars du pays. En outre, il tente de séparer le shah de ses appuis parmi la communauté religieuse. Toutes ces manœuvres politiques lui permettent de faire fermer les bazars de Téhéran et de Qom, la capitale et la principale ville sainte du pays, pour organiser le 23 janvier 1963 un grand rassemblement s’opposant au référendum que le shah organise afin de recueillir l’avis de la population sur ses réformes. Cependant, les forces gouvernementales réagissent à ce rassemblement par la force, ayant pour conséquence de radicaliser davantage les positions de Khomeyni et de ses partisans.

    Le 3 juin, il prononce un discours dans lequel il critique le shah, Israël et les Etats-Unis. Il est arrêté deux jours plus tard, le 5 juin et la loi martiale est déclarée dans tout le pays. Des centaines de manifestants continuent cependant à descendre dans les rues, en particulier à Téhéran et à Qom, pour protester contre cette arrestation considérée comme un abus de pouvoir. Commencent alors plusieurs semaines de grève dans la plupart des bazars du pays et le gouvernement se voit obligé de relâcher Khomeyni. Il est alors assigné à résidence sous surveillance de la Savak, les services secrets iraniens. Mais cet éloignement de la scène politique ne limite pas son influence sur la population. Et, le 22 octobre 1964, lors du pèlerinage dans la ville de Qom pour l’anniversaire de la naissance de Fatimah, la fille du prophète, plusieurs pèlerins se réunissent devant la résidence de Khomeyni. Il apparaît d’ailleurs à sa fenêtre et déclame un sermon. Il est alors exilé en Turquie, à Barsa. Cependant, les bonnes relations entre la Turquie et le gouvernement du shah ne permettent pas aux Turcs de garder un ennemi si notoire du régime sur leur territoire. Khomeiny est donc envoyé en Irak, tout d’abord à Bagdad le 6 octobre 1965, puis dans la ville sainte chiite de Nadjaf. Là, il entreprend de discuter avec les principaux mollahs sur l’utilité de se mêler de la politique mais l’ayatollah Hakim, le plus respecté d’entre eux, refuse d’intervenir dans les affaires iraniennes. Khomeyni choisit donc de se tourner vers les étudiants iraniens à l’étranger (en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne…). En effet, ceux-ci, malgré des sympathies politiques plutôt gauchistes, sont très opposés au régime du shah et se rapprochent de Khomeyni dans un premier temps.

    Mais, ces contacts ne suffisent pas et son exil se prolongeant, son influence diminue en Iran. Il se sert alors de la mort de son fils Mostafa dans d’étranges circonstances le 23 octobre 1977, pour revenir sur le devant de la scène, sans pour autant revenir en Iran, le shah ne le permettant pas. Comme son exil en Irak ne lui convient, il choisit de suivre un autre de ses fils, Ahmmad, en banlieue parisienne à Neauphle-le-Château le 12 octobre 1978. Les 10 et 11 décembre, son influence ayant de nouveau atteint une large proportion de la population iranienne, lors des cérémonies religieuses de Tasua et d’Ashura, des marches pacifiques exigeant l’abdication du shah se déroulent dans tout le pays. Des milliers de personnes descendent dans les rues et Khomeyni estime qu’il s’agit là de la réponse au référendum souhaité par le shah : le peuple ne veut plus de lui. Cependant, les représailles du gouvernement, en particulier lors du célèbre « vendredi noir » sur la place Jabeh à Téhéran, ont pour conséquence un cycle de violence. Le 16 janvier, le shah doit quitter le pays. Le 1er février, Khomeyni rentre alors triomphant à Téhéran.

    1979-1989 : l’époque de la république islamique

    Au moment de son retour au pays, Khomeyni est un modèle, un symbole pour la population iranienne. Le 1er mars 1979, il prononce un discours dans lequel il déclare vouloir rompre avec la civilisation occidentale, affirmer la suprématie des valeurs de l’islam, maintenir l’unité du peuple pour reconstruire le pays sur de nouvelles bases, augmenter la vigilance contre les ennemis de l’intérieur comme de l’extérieur et instaurer une république islamique. Un référendum sur cette question est organisé les 30 et 31 mars. 97% de la population y répond favorablement. En septembre 1979, l’ayatollah Taleghani, chef des religieux modérés, meurt, laissant le champ libre à Khomeyni pour diriger le pays selon ses souhaits. Ainsi, par exemple, les relations avec les Etats-Unis deviennent très rapidement difficiles lors de la prise en otages des employés de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran le 4 novembre 1979. Cet événement marque d’ailleurs le début du règne de la terreur avec une augmentation des arrestations et des exécutions, peu après que Khomeyni ait obtenu « par référendum » le titre d’imam ou « guide de la révolution », lui donnant la quasi-totalité des pouvoirs. Ainsi, malgré l’élection de Bani Sadr à la présidence de la république le 27 janvier 1980, c’est Khomeyni qui dirige le pays. Bani Sadr est lui-même vite évincé du pouvoir en juin par décision des Majles, les chambres parlementaires, sur demande de Khomeyni. Khomeyni place en effet au pouvoir ses collègues ayatollahs, les considérant seuls capables de suivre la sharia, la loi islamique, sans se laisser corrompre par l’Occident. Il utilise également la guerre contre l’Irak de Sadam Hussein pour fortifier l’unité nationale à travers le patriotisme. Il fait ainsi de cette guerre sa croisade contre le sécularisme et la modernisation à l’occidentale et ce, aux dépens des finances du pays. Cette politique provoque en 1982 une tentative de coup d’Etat contre lui de la part d’un ayatollah plus modéré. La guerre prend fin le 18 juillet 1988, la défaite iranienne devenant de plus en plus évidente, la population ne soutenant notamment plus ce conflit sanglant. Khomeyni accepte la fin des combats, à contrecœur, sous peine de perdre ses soutiens à l’intérieur du pays.

    Khomeyni, malade depuis le printemps 1988, meurt le 3 juin 1989, laissant sa place à l’ayatollah Ali Khamenei. Le 6 juin, des obsèques nationales mobilisent des milliers de personnes dans le pays, et sont comparées à celle de Nasser en Egypte.

    Bibliographie :
    - Article “Khomeyni” de l’Encyclopédia Universalis.
    - Moin Baqer, Khomein : the life of the Ayatollah, Londres, 1999.
    - Montazam Mir Ali Asghar, The life and times of Ayatollah Khomeini, Londres, 1994

    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    votre commentaire
  • Inoubliable .

    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire
  • Nasr Hamid Abu Zayd

    Par R. L.

    Nasr Hamid Abu Zayd est une figure de l’exégèse coranique du XXe siècle. Cet Egyptien passionné par la littérature arabe entre dans l’étude du Coran par la voie littéraire et herméneutique.

     

    Cette passion colorera en très grande partie ses recherches futures. C’est ainsi que son approche du Coran se fera avant tout littéraire. Il choisit de considérer le texte coranique comme un texte littéraire qui, comme tout texte, doit être soumis à des interprétations. C’est en raison de cette approche libérale que Abu Zayd connaîtra des problèmes en Egypte, et sera contraint de fuir le pays dans les années 1990, à la suite d’une affaire restée célèbre.

    De la littérature arabe aux études islamiques

    Abu Zayd est né en 1943 à Quhâfâ, en Egypte, dans une famille de paysans. Sa famille est pieuse, et il commence sa scolarité dans une école coranique. À l’âge du huit ans, il connaît le Coran par cœur. Il est un élève brillant et son père nourrit pour lui de grandes ambitions, il rêve de pouvoir l’envoyer un jour à al-Azhar. Mais ce dernier tombe malade et meurt prématurément, ce qui contraint Abu Zayd à suivre une formation technique afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il confiera plus tard qu’il continuait alors à étudier la nuit.
    Il a un goût prononcé pour la littérature arabe qu’il considère comme « la première porte vers le monde de la civilisation et de la pensée ». Il anime des rencontres littéraires avec des amis et découvre les écrits de Sayyid Qutb sur l’interprétation littéraire du Coran. En 1968, il est admis au département de langue et de littérature arabes de l’université du Caire. On lui offre un poste d’assistant à l’université en 1972 et lui sont confiées les études islamiques et coraniques comme domaine de recherche, alors qu’il aurait préféré les études de littérature et de critique arabes. Son mémoire de maitrise est consacré aux mou’tazilites et ses recherches doctorales portent sur l’interprétation soufie du Coran.

    L’usage de l’herméneutique

    De 1978 à 1979, il étudie à l’université de Pennsylvanie, où il s’initie à la science de l’herméneutique en découvrant entre autres Dilthey et Gadamer. Quand il rentre en Egypte, il publie son premier article sur l’herméneutique. Tout juste docteur, il devient professeur assistant à l’université d’études étrangères d’Osaka au Japon. Il y reste quatre ans, et c’est durant cette période qu’il rédige une œuvre majeure : « Le concept du texte. Etudes sur les sciences du Coran ». En rentrant en Egypte, il est encore plus sensible qu’avant aux limites du discours religieux dominant. Il est frappé par les manipulations dont l’islam fait l’objet.

    Toute son œuvre témoigne d’une seule préoccupation : créer un paradigme pour comprendre et expliquer l’islam. Une question parcourt son œuvre : dans quelle mesure les textes religieux se prêtent-ils à l’exégèse ?
    Il note qu’au cours des siècles, « l’effort herméneutique » n’a pas été absent de l’histoire de l’islam. Mais avec le temps, le renforcement et l’augmentation des pouvoirs politiques ont provoqué l’effacement de la dimension critique de l’herméneutique. Abu Zayd entend renouer avec une tradition d’érudits musulmans, notamment ceux qui se sont attachés à l’étude littéraire du Coran.
    Il a mené des recherches sur l’émergence du concept de « métaphore », notamment chez les mou’tazilites, qui ont utilisé ce concept comme outil linguistique pour interpréter les versets qu’ils considéraient ambigus. Il estime, comme Mohammed Arkoun, que certaines interprétations du texte saint peuvent refléter les conflits sociopolitiques. Ainsi, il considère par exemple que l’idée de prédétermination divine a été l’expression théologique de la domination politique absolue des Omeyyades.

    L’une des question qu’il se pose est la suivante : qu’est-ce que le texte ? Le Coran est selon lui un Livre saint, mais aussi une œuvre littéraire, un texte en langue arabe, qui ne peut être limité à un rôle de prescription ou d’interdit, mais qui a pour vocation d’être productif pour l’essence de la culture et des arts. S’abstenir de considérer le Coran comme un document linguistique contribue à figer sa signification. Il considère ainsi le Coran comme une source de culture avant tout : « Je traite le Coran comme un texte en langue arabe que le musulman, mais aussi le chrétien ou l’athée, devrait étudier parce que la culture arabe est réunie en lui et parce qu’il est encore capable d’influencer d’autres textes dans la culture […]. Je vénère le Coran plus que le font tous les salafistes [1] »

    Selon lui, pour étudier le texte coranique, il faut se concentrer sur le contexte historique de la Révélation. Dire que le Coran est historique ne signifie pas le réduire à un texte simplement humain. Le texte coranique est le résultat d’une dialectique entre le texte et la réalité. Il parle du Coran comme d’une « production culturelle ». L’Absolu s’est révélé aux humains à travers son discours, mais il n’a pu le faire qu’en « s’abaissant jusqu’à eux », en employant le système d’interprétations culturelles et linguistiques des humains. Choisir une langue n’est pas choisir un récipient vide, la langue étant l’instrument le plus important d’une communauté pour saisir le monde et lui donner de l’ordre dans la conscience.

    L’« affaire » Abu Zayd

    Les années 1990 seront marquées par ce que l’on appelle « l’affaire Abu Zayd ». En 1992, deux faits importants se déroulent. D’une part, il épouse en secondes noces Ibtihâl Yûnis, qui enseigne le français et la littérature comparée à l’université du Caire. D’autre part, il candidate au poste de professeur titulaire, au moment où paraît son ouvrage Critique du discours religieux.
    Cette candidature va déchainer le mouvement de critique à son égard. Certains, partisans d’un islam radical, lancent des poursuites judiciaires contre lui, jugeant ses écrits hétérodoxes et diffamatoires. Une grande polémique naît alors, à la suite de laquelle Abu Zayd est déclaré apostat, en 1995. Les magistrats ordonnent une hisba, c’est-à-dire une procédure d’annulation de son mariage, une musulmane ne pouvant être l’épouse d’un non-musulman, en l’occurrence un « apostat ».
    Selon ses opposants, Abu Zayd aurait porté atteinte à ce que Dieu est seul est en mesure de connaître. On l’accuse de présenter le Coran comme un « texte humain » et de préconiser l’usage de la raison pour l’interpréter. Un groupe de professeurs de l’université Al-Abû Zaydhar demande son exécution. Sous la pression grandissante, il n’a pas d’autre choix que de fuir le pays. Il est finalement invité par l’université de Leyde, aux Pays-Bas, comme professeur associé. Son épouse et lui s’y rendent, et il y enseignera pendant les années 1990.

    Nasr Hamid Abu Zayd fait ainsi partie de ceux que l’on rassemble après Rachid Benzine sous le nom de « nouveaux penseurs de l’islam ». Il appartient à cette tradition qui court tout au long du XXe siècle, qui se caractérise par l’application de méthodes nouvelles à la lecture du texte religieux, sans toutefois se rattacher à un courant doctrinal précis. Ainsi, alors que Mohammed Arkoun privilégiait les apports des sciences sociales afin de comprendre le Coran comme un texte conçu dans un certain contexte sociopolitique, Abu Zayd privilégiera quant à lui la forme littéraire. S’il accorde un rôle fondamental à la situation politique dans laquelle le texte a été reçu, il met l’accent sur la forme proprement littéraire du texte, et fait ainsi appel aux outils que lui offre l’herméneutique moderne. Il s’est éteint en 2010.

    Bibliographie :
    - Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Albin Michel, 2004.
    - N. H. Abu Zayd, Rethinking the Qur’an : Towards a Humanistic Hermeneutics, 2004.

    Note :

    [1Cité par R. Benzine, in Les nouveaux penseurs de l’islam.

    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    votre commentaire
  • Une reprise d une chanson celebre du marocain Hocine Slaoui . Allah yarham ces deux artistes .

    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks

    votre commentaire
  • Mahdi Amil (1936-1987)

    Par Mathilde Rouxel

    Mahdi Amil, intellectuel libanais, fut l’un des penseurs marxistes et des activistes politiques les plus importants de son époque. Il est parfois considéré comme étant l’Antonio Gramsci du monde arabe (1) et influença durablement l’idéologie communiste au Moyen-Orient. Il fut un membre influent du comité central du Parti Communiste libanais et s’engagea toute sa vie aux côtés des minorités opprimées.

    Vie et activité

    Mahdi Amil était un pseudonyme pour Hassan Hamdan. Il s’agissait d’un hommage à la Jabal Amil, une montagne peuplée de chiites située au sud du Liban. Né en 1936 à Harouf, un village proche de Nabatieh dans le sud du Liban, il déménagea, enfant avec sa famille, à Beyrouth. Il alla au lycée Al-Maqasid à Beyrouth, puis poursuivit ses études à Paris dès 1956. Il obtint son doctorat de philosophie à l’université de Lyon (2), alors que se développaient dans le monde arabe tant la pensée nationaliste que le communisme. Hassan Hamdan rejoignit d’ailleurs en France un groupe clandestin de communistes arabes, et prit position contre la France alors que la guerre d’Algérie battait son plein (3). Il devint membre du comité central du Parti Communiste libanais à son retour au Liban en 1960 et en 1963, il décida de partir en Algérie, où lui et son épouse, Évelyne Brun, s’attelèrent à la construction d’un nouvel État indépendant. Il travailla en tant que professeur d’Al-Qusantiniyah et écrivit plusieurs articles pour le magazine algérien « La Révolution africaine » (4), notamment sur Frantz Fanon (5).

    C’est l’agitation politique qui s’emparait du Liban qui incita Hassan Hamdan à rentrer au pays. Le deuxième congrès du Parti Communiste libanais se tint en 1968, sous l’égide de Kamal Joumblatt. La ligne du parti fut alors affirmée, en rupture avec la perception soviétique de la question palestinienne au profit d’une résistance et de la construction d’un mouvement nationaliste arabe. A partir de 1970, les grèves se multiplièrent dans le pays ; on retient surtout aujourd’hui la grève de la faim des travailleurs de l’usine Ghandour en 1972 ou encore la grève menée au sud du Liban par l’union des cultivateurs de tabac. C’est d’ailleurs à ce moment-là, par solidarité, que Hassan Hamdan pris son nom de plume – les montagnes de l’Amil étant des régions plongées dans une misère profonde (6). Durant cette grande grève, celui qui devint Mahdi Amil voyagea de ferme en ferme pour expliquer le marxisme et la lutte des classes.

    La guerre éclata au Liban en 1975. Mahdi Amil était alors professeur au lycée pour filles de Saïda, avant de devenir professeur à l’université libanaise à l’institut des sciences sociales, où il enseignait la philosophie, les sciences politiques et la méthodologie. C’est également à ce moment-là qu’il commença à travailler pour le magazine Al-Tareeq, pour lequel il écrivait sous son nom de plume.

    Mahdi Amil fut assassiné en pleine guerre à Beyrouth, en 1987, par des extrémistes issus de sa communauté (chiite), comme le rappelle Georges Labica dans la préface à l’édition française de son ouvrage principal, L’État confessionnel. Le cas libanais (7). Il fut victime des luttes menées par les islamistes contre les communistes – athées – pendant la guerre civile libanaise. Il avait 51 ans.

    Œuvre phare : L’État confessionnel. Le cas libanais (1986)

    Le confessionnalisme est une question qui se trouve au cœur du travail de Mahdi Amil. Il la pose particulièrement dans son ouvrage L’État confessionnel. Le cas libanais (publié initialement en 1986), bâti sur une démarche althusserienne, discutant l’aspect crucial de la « lutte des classes » dans la dynamique des conflits qui déchiraient son pays dès le milieu des années 1970. Comme l’écrivait en 1997 Georges Corm, Mahdi Amil avec cet ouvrage « a tenté de penser le dépassement du système communautaire, décrit comme un mode libanais d’exploitation du pays par sa bourgeoisie » (8). Mahdi Amil tente en effet dans son étude de donner la signification du confessionnalisme en cette période de déchirement, précisant que, selon lui, le confessionnalisme apparaissait comme une « menace [pour] les libertés religieuses en confirmant le caractère politique des communautés confessionnelles » (9). Obstacle à la conception d’une société unifiée, le confessionnalisme appelle selon l’auteur à être réformé. Il s’oppose, par ces idées, à une certaine branche du marxisme, qui voyait dans le pluralisme politique libanais (président de la république chrétien maronite, Premier ministre sunnite, président de l’assemblée chiite) une réponse au racisme : selon Mahdi Amil, c’est cette conception de confessionnalisme qui a amené aux dangereuses dérives qui menèrent à la guerre civile que l’on connaît. Il refuse pourtant également la désignation par d’autres groupes marxistes des chrétiens comme responsables de la guerre – là encore, il s’agirait d’une analyse confessionnelle que Mahdi Amil rejette, lui-même souhaitant conceptualiser la confession comme rapport politique. En ces termes, la confession ne peut être comparée à la classe, qui entretient avant toute chose un concept économique. Ainsi, écrit-il, « l’analyse de classe n’a pas de préférence pour une confession » (10). Comme le note le chercheur Kais Firro, chez Mahdi Amil, les communautés et les confessions doivent être pensées en dehors du medium de l’État : il appelle donc à la séparation des conceptions religieuses et politiques de l’État confessionnel en place au Liban afin de pouvoir retrouver une lecture marxiste de la société libanaise – la domination économique de la bourgeoisie, et le système politique, idéologique et constitutionnel qui permet à la bourgeoisie de conserver sa domination (11). Cette conception gramscienne d’une lutte contre le régime confessionnel comme point de départ d’une transformation socialiste du Liban, relativement nouvelle et loin des lectures orientalistes de la situation libanaise, a fait tout le succès de cet ouvrage.

    Mahdi Amil écrit également de très nombreux articles et ouvrages critiques de conception marxiste. En 1974, dans Conflit de civilisation arabe ou conflit de bourgeoisie arabe ?, il écrivait ainsi que la Nahda (mouvement de « renaissance » intellectuelle dans le monde arabe à partir des années 1930) avait échoué en raison du fait qu’elle a été construite et guidée par une bourgeoisie ayant pris le pouvoir pendant le colonialisme. Selon lui, une culture d’une nouvelle forme ne pourra naître que d’une révolution prolétarienne. Il entre en débat avec le philosophe Edward Saïd sur la question marxiste dans un ouvrage intitulé Marx et L’orientalisme d’Edward Saïd : intelligence pour l’Ouest et passion pour l’Est ? (1985). Sur une centaine de pages, Amil pointe quelques problèmes dans l’interprétation de la philosophie marxiste par Edward Saïd dans son ouvrage phare. Il lui reproche notamment de définir l’« Ouest » sans prendre en compte les distinctions de classe – et donc de ne pas considérer la perception de l’Orient par les classes paupérisées ou illettrées (12). Ce livre témoigne de l’importance capitale de Mahdi Amil dans le débat intellectuel de son époque, et dans la pensée marxiste, dont il défend la méthodologie dans chacun de ses écrits.
    Par-delà les essais, Mahdi Amil écrit également deux recueils de poésie en langue arabe, qu’il signe sous son vrai nom, Hassan Hamdan.

    Ses livres, rédigés en langue arabe, sont encore édités et largement diffusés de nos jours. Son influence est encore aujourd’hui considérable – en témoigne le choix des jeunes révolutionnaires tunisiens, en 2011, de représenter son portrait sur les murs de Tunis, comme un hommage aux luttes passées.

    Bibliographie selective (13) :

    - Introduction théorique à l’étude de l’influence du socialisme sur le mouvement national de libération (1972).
    - Conflit de civilisation arabe ou conflit de bourgeoisie arabe ? (1974).
    - Théorie dans la pratique politique : recherche sur les causes de la guerre civile libanaise (1979).
    - Introduction à une critique du confessionnalisme : la cause palestinienne dans l’idéologie de la bourgeoisie libanaise (1980).
    - Marx dans L’Orientalisme d’Edward Saïd : intelligence pour l’Ouest et passion pour l’Est ? (1985).
    - Le processus de l’école de pensée d’Ibn Khaldoun (1985).
    - L’État confessionnel. Le cas libanais (1986).

    Notes :
    (1) Vijay Peashad, « The Arab Gramsci », The Real News, 05/03/2014, disponible en ligne. URL : http://www.therealnews.com/t2/component/content/article/132-more-blog-posts-from-vijay-prashad/1998-the-arab-gramsci
    (2) « Hassan Hamdan ‘Mahdi ‘Amel », Jadaliyya, 03/10/2012, disponible en ligne. URL : http://www.jadaliyya.com/pages/index/7672/hassan-hamdan-mahdi-%60amel_a-profile-from-the-archi
    (3) Vijay Peashad, op. cit.
    (4) Jadaliyya, op. cit.
    (5) Vijay Peashad, op. cit.
    (6) Ibid.
    (7) Georges Labica, « Préface », in. L’État confessionnel : le cas libanais, Mahdi Amil, Montreuil-sous-Bois, Éditions de la Brèche, 1996.
    (8) Georges Corm, « Dépasser le communautarisme libanais », Le Monde Diplomatique, mars 1997, p. 29, disponible en ligne. URL : https://www.monde-diplomatique.fr/1997/03/CORM/4657
    (9) Mahdi Amil, L’État confessionnel : le cas libanais, Montreuil-sous-Bois, Éditions de la Brèche, 1996, p.180-181.
    (10) Mahdi Amil, L’État confessionnel : le cas libanais, Montreuil-sous-Bois, Éditions de la Brèche, 1996, p.264.
    (11) Kais Firro, Inventing Lebanon : Nationalism and the State Under the Mandate, Londres, I.B. Tauris, 2003, p.62.
    (12) Sur la critique de Mahdi Amil d’Edward Saïd : voir Gilbert Achcar, Marxism, Orientalism, Cosmopolitanism, Londres, Saqi Books, 2013, p.167.
    (13) Source : « Mahdi Amil », Wikipédia arabe. Notre traduction. URL : https://ar.wikipedia.org/wiki/%D9%85%D9%87%D8%AF%D9%8A_%D8%B9%D8%A7%D9%85%D9%84

    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique