• Nasr Hamid Abu Zayd

    Nasr Hamid Abu Zayd

    Par R. L.

    Nasr Hamid Abu Zayd est une figure de l’exégèse coranique du XXe siècle. Cet Egyptien passionné par la littérature arabe entre dans l’étude du Coran par la voie littéraire et herméneutique.

     

    Cette passion colorera en très grande partie ses recherches futures. C’est ainsi que son approche du Coran se fera avant tout littéraire. Il choisit de considérer le texte coranique comme un texte littéraire qui, comme tout texte, doit être soumis à des interprétations. C’est en raison de cette approche libérale que Abu Zayd connaîtra des problèmes en Egypte, et sera contraint de fuir le pays dans les années 1990, à la suite d’une affaire restée célèbre.

    De la littérature arabe aux études islamiques

    Abu Zayd est né en 1943 à Quhâfâ, en Egypte, dans une famille de paysans. Sa famille est pieuse, et il commence sa scolarité dans une école coranique. À l’âge du huit ans, il connaît le Coran par cœur. Il est un élève brillant et son père nourrit pour lui de grandes ambitions, il rêve de pouvoir l’envoyer un jour à al-Azhar. Mais ce dernier tombe malade et meurt prématurément, ce qui contraint Abu Zayd à suivre une formation technique afin de subvenir aux besoins de sa famille. Il confiera plus tard qu’il continuait alors à étudier la nuit.
    Il a un goût prononcé pour la littérature arabe qu’il considère comme « la première porte vers le monde de la civilisation et de la pensée ». Il anime des rencontres littéraires avec des amis et découvre les écrits de Sayyid Qutb sur l’interprétation littéraire du Coran. En 1968, il est admis au département de langue et de littérature arabes de l’université du Caire. On lui offre un poste d’assistant à l’université en 1972 et lui sont confiées les études islamiques et coraniques comme domaine de recherche, alors qu’il aurait préféré les études de littérature et de critique arabes. Son mémoire de maitrise est consacré aux mou’tazilites et ses recherches doctorales portent sur l’interprétation soufie du Coran.

    L’usage de l’herméneutique

    De 1978 à 1979, il étudie à l’université de Pennsylvanie, où il s’initie à la science de l’herméneutique en découvrant entre autres Dilthey et Gadamer. Quand il rentre en Egypte, il publie son premier article sur l’herméneutique. Tout juste docteur, il devient professeur assistant à l’université d’études étrangères d’Osaka au Japon. Il y reste quatre ans, et c’est durant cette période qu’il rédige une œuvre majeure : « Le concept du texte. Etudes sur les sciences du Coran ». En rentrant en Egypte, il est encore plus sensible qu’avant aux limites du discours religieux dominant. Il est frappé par les manipulations dont l’islam fait l’objet.

    Toute son œuvre témoigne d’une seule préoccupation : créer un paradigme pour comprendre et expliquer l’islam. Une question parcourt son œuvre : dans quelle mesure les textes religieux se prêtent-ils à l’exégèse ?
    Il note qu’au cours des siècles, « l’effort herméneutique » n’a pas été absent de l’histoire de l’islam. Mais avec le temps, le renforcement et l’augmentation des pouvoirs politiques ont provoqué l’effacement de la dimension critique de l’herméneutique. Abu Zayd entend renouer avec une tradition d’érudits musulmans, notamment ceux qui se sont attachés à l’étude littéraire du Coran.
    Il a mené des recherches sur l’émergence du concept de « métaphore », notamment chez les mou’tazilites, qui ont utilisé ce concept comme outil linguistique pour interpréter les versets qu’ils considéraient ambigus. Il estime, comme Mohammed Arkoun, que certaines interprétations du texte saint peuvent refléter les conflits sociopolitiques. Ainsi, il considère par exemple que l’idée de prédétermination divine a été l’expression théologique de la domination politique absolue des Omeyyades.

    L’une des question qu’il se pose est la suivante : qu’est-ce que le texte ? Le Coran est selon lui un Livre saint, mais aussi une œuvre littéraire, un texte en langue arabe, qui ne peut être limité à un rôle de prescription ou d’interdit, mais qui a pour vocation d’être productif pour l’essence de la culture et des arts. S’abstenir de considérer le Coran comme un document linguistique contribue à figer sa signification. Il considère ainsi le Coran comme une source de culture avant tout : « Je traite le Coran comme un texte en langue arabe que le musulman, mais aussi le chrétien ou l’athée, devrait étudier parce que la culture arabe est réunie en lui et parce qu’il est encore capable d’influencer d’autres textes dans la culture […]. Je vénère le Coran plus que le font tous les salafistes [1] »

    Selon lui, pour étudier le texte coranique, il faut se concentrer sur le contexte historique de la Révélation. Dire que le Coran est historique ne signifie pas le réduire à un texte simplement humain. Le texte coranique est le résultat d’une dialectique entre le texte et la réalité. Il parle du Coran comme d’une « production culturelle ». L’Absolu s’est révélé aux humains à travers son discours, mais il n’a pu le faire qu’en « s’abaissant jusqu’à eux », en employant le système d’interprétations culturelles et linguistiques des humains. Choisir une langue n’est pas choisir un récipient vide, la langue étant l’instrument le plus important d’une communauté pour saisir le monde et lui donner de l’ordre dans la conscience.

    L’« affaire » Abu Zayd

    Les années 1990 seront marquées par ce que l’on appelle « l’affaire Abu Zayd ». En 1992, deux faits importants se déroulent. D’une part, il épouse en secondes noces Ibtihâl Yûnis, qui enseigne le français et la littérature comparée à l’université du Caire. D’autre part, il candidate au poste de professeur titulaire, au moment où paraît son ouvrage Critique du discours religieux.
    Cette candidature va déchainer le mouvement de critique à son égard. Certains, partisans d’un islam radical, lancent des poursuites judiciaires contre lui, jugeant ses écrits hétérodoxes et diffamatoires. Une grande polémique naît alors, à la suite de laquelle Abu Zayd est déclaré apostat, en 1995. Les magistrats ordonnent une hisba, c’est-à-dire une procédure d’annulation de son mariage, une musulmane ne pouvant être l’épouse d’un non-musulman, en l’occurrence un « apostat ».
    Selon ses opposants, Abu Zayd aurait porté atteinte à ce que Dieu est seul est en mesure de connaître. On l’accuse de présenter le Coran comme un « texte humain » et de préconiser l’usage de la raison pour l’interpréter. Un groupe de professeurs de l’université Al-Abû Zaydhar demande son exécution. Sous la pression grandissante, il n’a pas d’autre choix que de fuir le pays. Il est finalement invité par l’université de Leyde, aux Pays-Bas, comme professeur associé. Son épouse et lui s’y rendent, et il y enseignera pendant les années 1990.

    Nasr Hamid Abu Zayd fait ainsi partie de ceux que l’on rassemble après Rachid Benzine sous le nom de « nouveaux penseurs de l’islam ». Il appartient à cette tradition qui court tout au long du XXe siècle, qui se caractérise par l’application de méthodes nouvelles à la lecture du texte religieux, sans toutefois se rattacher à un courant doctrinal précis. Ainsi, alors que Mohammed Arkoun privilégiait les apports des sciences sociales afin de comprendre le Coran comme un texte conçu dans un certain contexte sociopolitique, Abu Zayd privilégiera quant à lui la forme littéraire. S’il accorde un rôle fondamental à la situation politique dans laquelle le texte a été reçu, il met l’accent sur la forme proprement littéraire du texte, et fait ainsi appel aux outils que lui offre l’herméneutique moderne. Il s’est éteint en 2010.

    Bibliographie :
    - Rachid Benzine, Les nouveaux penseurs de l’islam, Albin Michel, 2004.
    - N. H. Abu Zayd, Rethinking the Qur’an : Towards a Humanistic Hermeneutics, 2004.

    Note :

    [1Cité par R. Benzine, in Les nouveaux penseurs de l’islam.

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