• Un monde sans l'islam

    Un monde sans Islam
    Graham E. Fuller

    Foreign Policy

    Jan-Fév. 2008

    Imaginez, si vous le souhaitez, un monde sans l'Islam - une situation, il faut l'admettre, inconcevable, vu la place centrale qu'il occupe dans nos titres de nouvelles quotidiennes. L'Islam semble être derrière un large éventail de désordres internationaux : attentats suicides, voitures piégées, occupations militaires, luttes de résistance, émeutes, fatwas, jihad, opérations de guérilla, vidéos de menace et le 11/9 lui-même. « L'Islam » semble offrir une pierre de touche (un standard de mesure) analytique simple et instantanée, nous permettant de bien comprendre le monde convulsif d'aujourd'hui. En effet, pour quelques néoconservateurs « l'Islamofascisme » est maintenant notre ennemi juré dans une imminente « troisième guerre mondiale ».

    Mais permettez-moi un peu. Et s'il n'y avait pas une telle chose comme l'Islam ? Et s'il n'y avait jamais eu de Prophète Mohammed, ni de saga de propagation de l'Islam à travers des grandes parties du Moyen Orient, de l'Asie et de l'Afrique ?

    Etant donné notre actuelle focalisation sur le terrorisme, la guerre et l'antiaméricanisme rampant - l'un des sujets internationaux le plus émotionnel aujourd'hui -, il est vital de comprendre les vraies sources de ces crises. Est-ce l'Islam la source du problème, ou est-ce que cette source ne se trouve plutôt du côté de facteurs moins clairs et plus profonds ?

    Pour l'intérêt de l'argumentation, dans un effort d'imagination historique, faites-vous une image d'un Moyen Orient dans lequel l'Islam n'est jamais apparu. Serions-nous alors épargnés de beaucoup des défis qui se trouvent aujourd'hui devant nous ? Le Moyen Orient serait-il plus pacifique ? De combien le type des relations Est-Ouest serait-il différent ? Sans l'Islam, il est sûr que l'ordre international présenterait une image très différente de celle d'aujourd'hui. Ou le ferait-il ?

    ET SI PAS D'ISLAM, ALORS QUOI ?

    Depuis les premiers jours d'un large Moyen Orient, l'Islam a visiblement façonné les normes culturelles voire même les préférences politiques de ses disciples. Comment pouvons-nous alors séparer l'islam du Moyen Orient ? Comme il s'avère, ce n'est pas très difficile à imaginer.

    Commençons par l'aspect ethnique. Sans l'Islam, le visage de la région va rester complexe et confus. Les groupes dominants au Moyen Orient -- Arabes, Perses, Turcs, Kurdes, Juifs (est-ce un groupe ethnique ? et que représente ce groupe quantitativement ?, ndt.), voire Berbères et Pachtounes - continueront à dominer la scène politique. Prenez les Perses à titre d'exemple : Longtemps avant l'Islam, les empires persans successifs se sont étendus jusqu'aux portes d'Athènes et étaient les rivaux perpétuels de quiconque habita l'Anatolie. Des peuples sémites contestant cette hégémonie ont combattu les Perses à travers le croissant fertile jusqu'à dans l'Irak. Et puis il y a les forces puissantes des diverses tribus et des commerçants arabes s'étendant et migrant dans d'autres régions sémites du Moyen Orient avant l'Islam. Les Mongoles auraient tout de même envahi et détruit les civilisations de l'Asie centrale et beaucoup du Moyen Orient dans le 13e siècle. Les Turcs aurait aussi conquis l'Anatolie, les Balkans jusqu'à Vienne et une grande partie du Moyen Orient. Ces luttes -- pour le pouvoir, le territoire, l'influence et le commerce - existaient bien avant l'arrivée de l'Islam.

    Cependant, c'est trop arbitraire d'exclure complètement la religion de l'équation. Si en réalité l'Islam n'a jamais émergé, la majeure partie du Moyen Orient serait restée essentiellement chrétienne avec ses diverses sectes comme cela a été le cas à l'aube de l'Islam. En dehors de quelques Zoroastriens et un petit nombre de Juifs, pas d'autre religion majeure n'était présente.

    Mais est ce que l'harmonie avec l'Ouest aurait-elle régné si le Moyen Orient était resté chrétien ? On va trop loin. Nous devrions assumer que le monde européen médiéval agité et expansif n'avait pas étendu son pouvoir et son hégémonie à ses voisins de l'Est, en recherche des prises économique et géopolitique. Après tout, qu'est ce que ce seraient les Croisades si ce n'étaient pas une aventure occidentale menée essentiellement par des besoins politique, social et économique ? La bannière du christianisme était un peu plus qu'un symbole fort, un cri mobilisateur pour bénir les besoins profanes des Européens puissants. En effet, la religion particulière des autochtones ne figurait jamais en tête des causes de l'expansion impériale de l'Occident à travers la planète. L'Europe a pu parler d'une manière édifiante de porter « les valeurs chrétiennes aux autochtones », mais l'objectif évident était d'établir des avant-postes coloniaux comme sources de richesse pour la métropole et des bases pour l'expansion du pouvoir occidental.

    Ainsi il est improbable que les habitants chrétiens du Moyen Orient aient bien reçu le flux des flottes européennes et leurs marchands soutenus par les fusils occidentaux. L'impérialisme aurait prospéré dans le mosaïque ethnique complexe de la région--La matière brute du vieux jeu de diviser pour mieux régner. Et les Européens auraient toujours installé les mêmes dirigeants locaux pliables pour satisfaire leurs besoins.

    Avançons l'heure à l'époque du pétrole au Moyen Orient. Les états du Moyen Orient, même si chrétiens, aurait-ils bien accepté l'établissement des protectorats européens sur leur région ? Certainement pas ! L'Occident aurait toujours construit et contrôlé les mêmes points d'étranglement comme le canal du Suez. Ce n'était pas l'Islam qui a fait que les états du Moyen Orient résistent vigoureusement au projet colonial avec son nouveau traçage des frontières selon les préférences géopolitiques européennes. Non plus, ces états chrétiens du Moyen Orient n'auraient-ils bien accueilli les compagnies pétrolières occidentales impériales, soutenues par des administrateurs européens, des diplomates, des agents de renseignements et des armées, pas plus que ce qu'ont fait les Musulmans. Regardez la longue histoire des réactions des Américains latins à la domination des Américains étatsuniens sur leurs pétrole, économie et politique. Le Moyen Orient serait toujours aussi motivé pour créer des mouvements nationalistes anticolonialistes pour arracher le contrôle sur leurs terres, marchés, souveraineté et destinée de l'emprise étrangère - tout comme les luttes anticolonialistes dans l'Inde hindou, la Chine confucéenne, le Vietnam bouddhiste et l'Afrique chrétienne et animiste.

    Et certainement les Français se seraient, tout aussi volontiers, étendus sur l'Algérie chrétienne pour s'emparer des ses riches terres agricoles et établir une colonie. Aussi, les Italiens ne se sont pas fait gênés par le christianisme de l'Ethiopie pour transformer ce pays en une colonie violemment administrée. En bref, il n'y a pas de raison pour croire que la réaction du Moyen Orient à l'agression colonialiste européenne aurait changé significativement de la manière dont elle s'est effectivement déroulée sous l'Islam.

    Mais peut-être le Moyen Orient serait plus démocratique sans l'Islam ? L'histoire des dictatures en Europe elle-même n'est rassurant sur ce point. L'Espagne et le Portugal ont fini avec leurs violentes dictatures seulement en milieu des années 1970. La Grèce s'est libérée d'une dictature liée à l'église il y a quelques dizaines d'années. La Russie chrétienne ne s'en est toujours pas sorti. Jusqu'à récemment, l'Amérique latine accablée par les dictateurs, qui souvent régnaient avec les bénédictions des USA et avec le partenariat de l'église catholique. La plupart des nations africaines chrétiennes n'ont pas eu de meilleure réussite. Pourquoi un Moyen Orient chrétien se présenterait différemment ?

    Et puis il y a la Palestine. C 'étaient évidemment les Chrétiens qui ont, honteusement, persécuté les Juifs durant plus qu'un millénaire culminant par l'Holocauste. Ces exemples horrifiques d'antisémitisme étaient bien enracinés dans la culture et les terres chrétiennes occidentales. Les Juifs auraient donc continué à chercher une patrie en dehors de l'Europe ; le mouvement sioniste aurait de toute façon vu le jour et aurait cherché une base en Palestine. Et le nouvel état juif aurait toujours déplacé les mêmes 750 milles Arabes natifs de la Palestine de leurs terres même s'ils avaient été des Chrétiens--en effet une partie parmi eux étaient des Chrétiens. Et ces Arabes chrétiens n'auraient-ils pas combattu pour protéger ou regagner leur propre terre ? Le problème israélo-palestinien reste au fond un conflit nationaliste, ethnique et territorial, renforcé seulement récemment par des slogans religieux. Et n'oublions pas que les Chrétiens arabes ont joué un rôle majeur dans les débuts du mouvement nationaliste arabe au Moyen Orient ; en effet, Michel Aflaq, le fondateur idéologique du premier parti panarabe Al-Baath, était un Chrétien syrien formé à la Sorbonne.

    Mais les Chrétiens du Moyen Orient seraient certainement prédisposés religieusement envers l'Occident ? N'aurions-nous pas évité tous ces conflits religieux ? En effet, le monde chrétien lui-même a été déchiré par des hérésies depuis les premiers siècles du pouvoir chrétien, des hérésies qui étaient devenues des véhicules des oppositions politiques au pouvoir romain ou byzantin. Loin d'unir sous la religion, les guerres religieuses de l'Occident cachaient toujours des luttes plus profondes, ethnique, stratégique, politique, économique et culturelle pour la domination.

    En vérité cette même référence à un « Moyen Orient chrétien » cache une animosité vilaine. Sans l'Islam, les peuples du Moyen Orient seraient restés comme ils étaient à la naissance de l'Islam--la plupart des disciples du christianisme orthodoxe oriental. Mais c'est facile d'oublier que l'une des controverses historiques la plus violente, la plus virulente et la plus durable fut celle entre l'église catholique à Rome et le christianisme orthodoxe oriental à Constantinople - une rancune qui persiste toujours. Les Chrétiens orthodoxes orientaux n'ont jamais oublié ou pardonné le sac de Constantinople la chrétienne par les croisés occidentaux en 1204. Presque 800 ans plus tard, en 1999, le pape Jean Paul II chercha à faire quelques petits pas pour cicatriser la plaie dans la première visite d'un pape catholique au monde orthodoxe en mille ans. C'était un début, mais le désaccord entre l'Orient et l'Occident dans un Moyen Orient chrétien serait plutôt resté comme il est aujourd'hui. Prenez la Grèce par exemple : La cause orthodoxe a été un puissant mobile derrière le nationalisme et le sentiment anti-occidental là bas, et les passions anti-occidentales dans la politique grecque, il y a seulement une dizaine d'années, résonnaient des même suspicions et vues virulentes de l'Occident que nous entendons aujourd'hui de la part de beaucoup de chefs islamistes.

    La culture de l'église orthodoxe diffère nettement de la philosophie occidentale de l'après siècle des lumières, qui insiste sur la laïcité, le capitalisme et la primauté de l'individu. Elle a encore des peurs résiduelles à propos de l'Occident similaires dans différents aspects les incertitudes des Musulmans d'aujourd'hui : des craintes du prosélytisme missionnaire occidental, la perception de la religion comme un vecteur clé pour la protection et la préservation de leurs propres communautés et culture, et une suspicion du caractère « corrompu » et impérial d l'Occident. En effet, dans un Moyen Orient chrétien orthodoxe, Moscou aurait joui d'une influence spéciale, même aujourd'hui, comme le dernier centre important de l'Orthodoxie orientale. Le monde orthodoxe serait resté une arène géopolitique clé pour la rivalité Est-Ouest dans la guerre froide. Après tout, Samuel Huntington, a inclut le monde chrétien orthodoxe parmi les plusieurs civilisations impliquées dans le choc culturel avec l'Occident.

    Aujourd'hui, l'occupation US de l'Irak ne serait mieux accueillie si les Irakiens étaient des Chrétiens. Les Etats-Unis n'ont pas renversé Saddam Hussein, un chef profondément laïque et nationaliste, parce qu'il était musulman. D'autres peuples arabes auraient toujours soutenu les Arabes irakiens dans leur traumatisme de l'occupation. Nulle part les gens ne se réjouissent de l'occupation et la tuerie de leurs concitoyens aux mains des troupes étrangères. En effet, des groupes menacés par de telles forces externes s'efforcent toujours de trouver des idéologies appropriées pour glorifier leur lutte de résistance. La religion est l'une de telles idéologies.

    Voilà donc le portrait d'un putatif « monde sans Islam ». C'est un Moyen Orient dominé par le christianisme orthodoxe oriental -- une église historiquement et psychologiquement méfiante de, voire hostile à, l'Occident. Même déchiré par des différences importantes ethniques, voire sectaires, ce Moyen Orient possède un sens aigu de conscience historique et de griefs contre l'Occident. Il a été envahi à plusieurs reprises par des armés impérialistes occidentaux ; ses ressources pillées ; ces frontières redessinées par des décrets occidentaux en conformité avec les différents intérêts de l'Occident ; et des régimes installés accommodants aux dictats occidentaux. La Palestine brulerait toujours. L'Iran serait toujours profondément nationaliste. Nous verrions toujours les Palestiniens résister contre les Juifs, les Tchéchènes résister contre les Russes, les Iraniens résister contre les Britanniques et les Américains, les Cachemiris résister contre les Indiens, les Tamiles résister contre les Cingalais au Sri Lanka, et les Uigurs et les Tibétains résister contre les Chinois. Le Moyen Orient aurait toujours un modèle historique glorieux--le grande empire byzantin avec plus de 2000 ans d'histoire--avec lequel il s'identifierait comme un symbole historique et religieux. Ceci, à plusieurs égards, perpétuerait le fossé Est-Ouest.

    Ceci ne présente pas une image réconfortante et complètement pacifique.

    SOUS LA BANNIERE DU PROPHETE

    Evidemment, il est absurde de prétendre que l'existence de l'Islam n'a pas eu d'impact indépendant sur le Moyen Orient ou sur les relations Est-Ouest. L'Islam a fourni une force unificatrice d'un haut niveau à travers une large région. Comme une foi universelle, elle a créé une vaste civilisation qui partage des principes communs de philosophie, arts et société ; une vision d'une vie morale ; un sens de justice, jurisprudence et une bonne gouvernance - le tout dans une culture raffinée profondément enracinée. Comme une culture et une force morale, l'Islam a aidé à combler les différences ethniques entre les divers peuples musulmans, les encourageant à se sentir concernés comme une part d'un plus grand projet civilisationnel musulman. Rien que cela donne à ce projet un poids important. L'Islam a également affecté la géographie politique : S'il n'y avait pas eu d'Islam, les pays musulmans de l'Asie du Sud et du Sud-est--notamment le Pakistan, le Bangladesh,la Malaisie et l'Indonésie-seraient aujourd'hui enracinés dans le monde hindou.

    La civilisation islamique fournissait un idéal commun auquel tous les Musulmans pouvaient faire appel au nom de la résistance contre l'empiètement occidental. Même si cet appel échouait à arrêter la marée impériale occidentale, il a créé une mémoire culturelle d'un destin généralement partagé qui n'a pas disparu. Les Européens étaient capables de diviser et conquérir beaucoup de peuples africains, asiens et américains latins qui sont tombés séparément devant la puissance occidentale. Une résistance transnationale unie entre ces peuples, était difficile à atteindre dans l'absence de tout symbole commun ethnique ou culturel pour la résistance.

    Dans un monde sans Islam, l'impérialisme occidental aurait trouvé la tache de diviser, conquérir et dominer le Moyen Orient et l'Asie, bien plus facile. Il n'y aurait pas eu de mémoire culturelle collective d'humiliation et de défaite à travers une vaste région. Cela est la raison principale qui explique pourquoi les Etats-Unis sont en train de se casser les dents sur le monde musulman. Aujourd'hui, les intercommunications globales et les images satellitaires partagées ont créé une forte auto-conscience parmi les Musulmans et un sens d'un plus grand siège impérial occidental contre une culture islamique partagée. Ce siège ne concerne pas la modernité ; il concerne la quête occidentale incessante pour la domination de l'espace stratégique, les ressources et même la culture du monde musulman--le trajet pour créer un Moyen Orient « pro-américain ». Malheureusement, les Etats-Unis supposent naïvement que l'islam est tout ce qui se met sur son chemin menant au prix à gagner.

    Mais quid du terrorisme--la question la plus urgente que l'Occident associe presque immédiatement avec l'Islam aujourd'hui ? Dans une nette franchise, le 11/9, aurait-il eu lieu sans l'Islam ? Si les griefs du Moyen Orient, enracinés dans des années de colère émotionnelle et politique contre les actions et la politique US, ont été enveloppés dans une autre bannière, est ce que les choses auraient-elles largement différentes ? Encore, il est important de se rappeler combien facilement la religion peut-elle être invoquée même si d'autres rancunes de longue-date sont à blâmer. Le 11 septembre 2001 n'était pas le début de l'histoire. Pour les pirates de l'air d'al-Qaïda l'Islam jouait le rôle d'une loupe dans le soleil, rassemblant ces griefs collectifs répandus et partagés, et les concentrant dans un rayon intense, un moment de clarté de l'action envers un envahisseur étranger.

    Dans la focalisation de l'Occident sur le terrorisme au nom de l'Islam, les mémoires sont courtes. Les guérillas juives utilisaient le terrorisme contre les Britanniques en Palestine. Les Tamiles hindous sri-lankais « Tigers » ont inventé l'art du gilet du suicide et pendant plus d'une décennie ils ont dirigé le monde dans le recours aux attenants suicides--dont l'assassinat du premier ministre indien Rajiv Gandhi. Les terroristes grecques ont effectuée des opérations d'assassinat contre les officiels US à Athènes. Le terrorisme organisé sikh a tué Indira Gandhi, semé le chaos en Inde, instauré une base extérieure au Canada et abattu un vol Air India sur l'Atlantique. Les terroristes macédoniens étaient largement craints tout à travers les Balkans à la veille de la première guerre mondiale. Des douzaines d'assassinats majeurs à la fin du 19e et au début du 20e siècles ont été exécutés par des « anarchistes » européens et américains semant une peur collective. La l'Armée de la République Irlandaise (IRA) a développé un terrorisme effective brutale contre les Britanniques durant des décennies, tout comme ont fait les guérillas communistes et les terroristes au Vietnam contre les Américains, les communistes malais contre les soldats britanniques dans les années 1950, les terroristes Mau-Mau contre les officiers britanniques à Kenya--et le liste continue. Il n'y a pas besoin d'un Musulman pour faire du terrorisme.

    Même l'histoire récente de l'activité terroriste n'est pas très différente. Selon Europol, 498 attaques terroristes ont eu lieu dans l'Union Européenne en 2006. Parmi elles, 424 étaient perpétrées par des groupes séparatistes, 55 par des extrémistes de la gauche et 18 par divers d'autres terroristes. Seulement un attentat a été commis par des islamistes. Pour être complet, il y avait un nombre d'attentats déjoués dans une communauté musulmane hautement surveillée. Mais ces nombres révèlent le large éventail idéologique des terroristes potentiels dans le monde.

    Est-il alors très difficile d'imaginer les Arabes--chrétiens ou musulmans--, en colère contre Israël ou les invasions, les renversements et les interventions perpétuelles de l'impérialisme, faisant recours à des actes similaires de terrorisme et de guérilla. La question pourrait être plutôt, pourquoi ceci n'a pas eu lieu plus tôt ? Comme les groupes radicaux expriment les griefs dans notre monde globalisé, pourquoi nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'ils portent leur lutte au cœur de l'Occident ?

    Si l'Islam déteste la modernité, pourquoi il avait attendu jusqu'au le 11/9 pour lancer ces attaques. Et pourquoi des penseurs islamiques majeurs au début du 20e siècle parlèrent du besoin d'adopter la modernité tout en protégeant la culture islamique ? La cause d'Oussama Bin Laden dans ses premiers jours ne concernait pas la modernité du tout--il a parlé de la Palestine , des bottes américaines sur les terres de l'Arabie Saoudite, des gouverneurs saoudiens sous le contrôle des Etats-Unis, et des « croisés » modernes. Il est frappant qu'il fallait attendre aussi tard que 2001 pour voir la première grande ébullition de la colère musulmane sur le sol des Etats-Unis, en réaction à la politique US et à des événements accumulés tout autant historiques et récents. Si ce n'était pas le 11/9, un événement similaire était fatalement à arriver.

    Et même si l'Islam comme un vecteur de résistance n'avait jamais existé, le Marxisme l'a fait. C'est une idéologie qui a engendré un nombre incalculable de terroristes, de guérilla et des mouvements de libération nationale. Il a façonné l'ETA basque, le FARC en Colombie, le Shining Path en Pérou, et la Faction de l'Armée Rouge en Europe pour ne nommer que quelques uns en Occident. George Habash, le fondateur du meurtrier Front Populaire de la Libération de la Palestine , était un chrétien grec orthodoxe et un marxiste qui avait étudié à l'université Américaine de Beyrouth. Dans une époque où le nationalisme arabe en colère flirtait avec un Marxisme violent, beaucoup de Palestiniens chrétiens ont accordé leur soutien à Habash.

    Les gens qui résistent des oppresseurs étrangers cherchent des bannières pour propager et glorifier la cause de leur lutte. L'internationale lutte des classes pour la justice fournit un bon élément mobilisateur. Le nationalisme est encore mieux. Mais la religion fournit le meilleur de tous, en faisant appel aux plus hautes énergies pour défendre sa cause. Et partout, la religion peut toujours servir pour soutenir l'ethnicité et le nationalisme alors même qu'elle les transcende--notamment si l'ennemi est d'une religion différente. Dans de tels cas, la religion cesse d'être essentiellement la source d'affrontement et de confrontation mais plutôt son véhicule. La bannière du moment peu disparaître mais les griefs demeurent.

    Nous vivons une époque où le terrorisme est l'outil de choix du faible. Il entrave déjà la puissance sans précédent des armés US en Irak, Afghanistan et ailleurs. Et c'est ainsi que Bin Laden dans beaucoup de sociétés non-musulmanes fut appelé le « prochain Che Guevara ». Ce n'est rien moins que l'attrait d'une résistance réussie contre le pouvoir américain dominant, le faible contre-attaque. Un attrait qui transcende l'Islam ou la culture du Moyen Orient.

    ENCORE PLUS DE LA MEME CHOSE

    Mais les questions demeurent, si l'Islam n'a pas existé, le monde serait-il plus pacifique ? Devant ces tensions entre l'Est et l'Ouest, l'Islam ajoute incontestablement un élément supplémentaire émotionnel, une couche supplémentaire de complications pour trouver des solutions. L'Islam n'est pas la cause de tels problèmes. Cela peut paraître raffiné de chercher des passages dans le Coran qui semblent expliquer « pourquoi ils nous haïssent ». Mais cela s'éloigne aveuglement de la nature du phénomène. Quelle idée confortable que d'identifier l'Islam comme la source « du problème » ; c'est certainement bien plus facile que d'explorer l'impact de l'empreinte globale massive de l'unique super puissance du monde.

    Un monde sans Islam verrait toujours la plupart des rivalités tenaces meurtrières dont les guerres et les malheurs dominent la scène géopolitique. Si ce n'était pas la religion, tous ces groupes auraient trouvé d'autres bannières en dessous desquelles ils exprimeraient leur nationalisme et leur quête pour l'indépendance. Bien sûr, l'histoire n'aurait pas suivi exactement le même chemin comme elle l'a fait. Mais au fond, le conflit entre l'Est et l'Ouest reste toujours à propos des grandes questions historiques et géopolitiques de l'histoire humaine : l'ethnicité, le nationalisme, l'ambition, l'avidité, les ressources, les chefs locaux, le territoire de domination, le profit financier, le pouvoir, les interventions et la haine des étrangers, des envahisseurs et des impérialistes. Confronté à des questions intemporelles comme celles-ci, comment le pouvoir de la religion pourrait-il n'être pas invoqué ?

    Souvenons-nous aussi que pratiquement tous les principaux horreurs du 20e siècle vinrent presque exclusivement des régimes strictement laïques : Léopold ii de Belgique au Congo, Hitler, Mussolini, Lénine et Staline, Mao et Pol Pot. C'étaient les Européens qui ont imposé leurs « guerres mondiales » par deux fois au reste du monde--deux conflits globaux dévastateurs sans aucun vague parallèle dans l'histoire islamique.

    Quelques-uns aujourd'hui pourraient souhaiter un « monde sans Islam » dans lequel ces problèmes n'auraient vraisemblablement jamais eu lieu. Mais, en vérité, les conflits, les rivalités et les crises d'un tel monde pourraient ne pas apparaître si largement différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui.

     

     

    * Graham E. Fuller est un précédent vice président du conseil national des renseignements « National Intelligence Council » à la CIA , chargé des prévisions stratégiques à long terme. Il est actuellement professeur adjoint d'histoire à l'université Simon Fraser à Vancouver. Il est l'auteur de plusieurs livres sur le Moyen Orient, dont « L'Avenir de l'Islam Politique » (chez Palgrave Macmillan, New York, 2003).

     

    http://www.foreignpolicy.com/users/login.php?story_id=4094&URL=
    http://www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=4094

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