• La génération post-Octobre 1988 fait avancer la sociéte.

     

    Docteur Rachid Tlemçani. Enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques d'Alger

    « La génération post-Octobre 1988 fait avancer la société »

    Le Dr Rachid Tlemçani, enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques d'Alger, revient avec sa perspicacité habituelle sur l'événement de la semaine : la qualification de l'équipe nationale au Mondial 2010 et la grande joie qui l'a suivie. Avec lucidité, il analyse aussi cette crise diplomatique entre l'Algérie et l'Egypte suscitée par une simple compétition sportive.

     

     

    Comment expliquez-vous cette explosion de joie qui s'est emparée des Algériens à la fin du match d'appui opposant l'Algérie à l'Egypte ?

    De par le monde, la qualification d'une équipe de football au Mondial est un grand événement national. Le football est devenu le sport fétiche de tous, même les Américains se mettent à jouer au « soccer ». Les Algériens ne font pas exception à la règle. L'explosion de joie qui a eu lieu à la fin du match est une réaction naturelle, saine. Le peuple algérien n'est pas un « peuple malade », contrairement à un certain discours émanant des milieux politiques. Certes, les Algériens sont un peuple brimé, mais en bonne santé. Toutefois, ce qui est vraiment extraordinaire, c'est lorsque des millions de personnes à travers le territoire national ont spontanément accaparé, en quelques secondes, l'espace public. Les Algériens n'ont demandé à personne l'autorisation pour faire la fête. Tout le monde, groupes politiques et individus, y compris le président de la République et le chef de la police politique voulait faire une vraie fête. Les Algériens en ont assez de l'état de siège, du cycle violence-répression, du terrorisme d'Al Qaîda au Maghreb islamique, de l'Islam politique, des prêches incendiaires des vendredis, des grèves récurrentes, du contrôle identitaire à chaque coin de rue, des émeutes, de la surveillance des caméras, du retrait du permis de conduire, de l'ENTV, de la « tchipa », des programmes scolaires archaïques, de la fraternité officielle des peuples, de la « harga », de la malvie, de la « hogra »... Les Algériens veulent être un peuple ordinaire, comme tous les autres êtres humains : travailler, rire, s'amuser et faire la fête, tard dans la nuit s'il le faut.

    Le drapeau national a flotté partout à travers le territoire national ces derniers mois, comme ce fut le cas en 1962. Les jeunes Algériens ont-ils renoué avec le nationalisme de leurs aînés ?

    Je ne suis pas vraiment d'accord avec cette explication que je trouve un peu de type journalistique. Les Algériens ne sont ni plus nationalistes ni moins nationalistes que les autres jeunes du monde. La jeunesse algérienne, comme toutes les autres jeunesses, est apolitique. Elle n'adhère d'ailleurs à aucun parti politique ou à aucune structure formelle. Elle est contre les carcans bureaucratiques et institutionnels. C'est pourquoi d'ailleurs elle se sent étrangère aux cérémonies protocolaires ringardes. Elle veut s'épanouir pleinement, elle veut être libre. Ce qui s'est donc passé ces derniers jours est plus fort que le nationalisme révolutionnaire du siècle passé. Le FLN, à son apogée, n'avait pas atteint une telle mobilisation. Le football a réussi à fédérer toutes les générations, sans distinction de sensibilité politique ni de sexe. La qualification à la prochaine Coupe du monde a donné un grand moment de bonheur et de solidarité partagée ; un moment historique, phénoménal. La jeunesse algérienne, en s'emparant pacifiquement de la sphère publique, vient de définir les contours d'une modernité au diapason avec son temps. Il appartient désormais aux élites de la conceptualiser et de la mettre en pratique. En quelques jours, la génération post-Octobre 1988 a considérablement fait avancer la société, elle a fait reculer, du moins pour un laps de temps, des intégrismes sectaires imposés par des hommes politiques sans vergogne. Le message qu'elle a envoyé aux pouvoirs publics est clair et sans ambiguïté de langage : les casseurs d'hier sont les bâtisseurs de demain, il faut désormais compter avec eux.

    Les régimes autoritaires ont tendance à manipuler le sport, particulièrement le football. Quelle relation faites-vous entre le football et la politique ?

    Effectivement le football, comme sport favori de la jeunesse, est souvent instrumentalisé à des fins de politique politicienne par les régimes autoritaires. Il peut devenir dans certaines circonstances un vecteur de forte mobilisation populaire, plus fort que la religion. Chez nous, le football a été de tout temps un facteur de mobilisation, il est même plus fort que l'Islam politique et les autres discours violents. « One, two, three, viva l'Algérie », un mot d'ordre qui a fait vibrer tout un peuple au-delà des frontières nationales, est neutre. Il n'a aucune connotation politique. Il n'y a eu aucun slogan politique ni pour ni contre l'Etat. Dans les rues d'Alger comme dans les villages les plus reculés du pays, les foules ont spontanément chanté à tue-tête et dansé à ce mot d'ordre durant plusieurs jours. La liesse populaire est indescriptible. Les étrangers ont d'ailleurs du mal à expliquer un tel comportement pour un match de football. La chose la plus extraordinaire, c'est qu'il n'y avait pratiquement pas de violence et de casse durant ces jours. La jeunesse algérienne a montré, une fois de plus, aux bureaucrates qu'elle a l'âge de raison et qu'elle n'a pas besoin, pour s'exprimer, de tuteur politique.

    Source :Extrait article du quotidien El-Watan .

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