• A fonds perdus ,Mohamed Boussoumah

    Panorama : A FONDS PERDUS
    La parenthèse 1992-98
    Par Ammar Belhimer
    ammarbelhimer@hotmail.com


    On croyait les canots de l'intelligence, de la pertinence, de la recherche, de l'érudition, des idéaux et de la liberté de penser définitivement brisés sur les récifs de la canaillerie quotidienne pour des raisons qu'il serait fastidieux d'aligner ici. Quelques hirondelles, qui ne font certes pas encore le printemps, viennent cependant entretenir l'espoir que tout n'est pas perdu.
    Que l'espoir est permis. La dernière en date est porteuse d'une œuvre colossale du professeur Mohamed Boussouma sur "la parenthèse des pouvoirs publics constitutionnels de 1992 à 1998", fraîchement sortie des presses de l'Office des publications universitaires. L'ouvrage, qui est certainement destiné à durer et à faire école, mérite d'être acquis, résumé et conservé ; il fait l'économie de dizaines d'autres essais sur le même thème, parus ici et ailleurs. L'esprit libre est, ici, désintéressé, critique et serein, objectif, donc constructif.

    De l'avis du professeur Boussouma, le processus démocratique ouvert "dans la précipitation et en cercle fermé" à la faveur des événements d'Octobre 1988 a pour autres particularités d'être "jalonné de faux pas", "haché, conflictuel dès son introduction dans l'univers politique national". La parenthèse ouverte le 11 janvier 1992 par la démission illégale du président de la République, précédée de la dissolution clandestine de l'Assemblée nationale, le tout entre deux tours d'élections législatives, et close le 5 janvier 1998, intéresse l'auteur dans ses moindres détails ; il s'y engouffre d'ailleurs avec la méticulosité d'un orfèvre hors pair.

    Certes, la démission du président de la République est "manifestement" un acte volontaire, comme l'avait soutenu bien plus tard le premier intéressé lui-même dans les colonnes du quotidien Le Matin, mais cela n'empêche pas l'auteur de conclure, au terme d'une lecture approfondie de la Constitution, qu'elle a été le catalyseur d'un coup d'Etat et qu'elle a constitué une violation de la Constitution. En cela, cette démission "se double d'un manquement grave aux devoirs de sa charge. Dans un système démocratique, dans un Etat de droit, elle serait passible d'une haute cour de justice par référence à la forfaiture dont parle le code pénal".

    La réaction du Conseil constitutionnel à cette vacance est sommaire, simpliste, ramassée, concise et elliptique. Le conseil fait une lecture "plus politique que juridique du cas d'espèce dont il est saisi", en procédant à une interprétation étroite, littérale, du texte, par opposition à la méthode analogique. De cette faillite, et pour d'autres raisons aussi, émerge, illégitimement, un organe incompétent, le HCS, une excroissance constitutionnelle qui se réunit le 12 janvier 1992 pour faire face à la situation au lieu et place de l'exécutif collégial investi par le Conseil constitutionnel.

    L'incompétence du HCS est établie par l'auteur, en raison de sa substitution à l'exécutif collégial, "en violation flagrante de la déclaration du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1992", mais aussi en raison de son statut d'organe consultatif auprès du président de la République ne disposant pas de pouvoirs de décision. "Le HCS se comporte comme une autorité constitutionnelle dotée de pouvoirs propres alors qu'il n'est qu'un organe secondaire, un appendice de la norme supérieure.

    En agissant de la sorte, il se taille de fait un statut sur mesure. C'est le signe, le début d'une excroissance constitutionnelle du HCS qui sera alimentée par la crise institutionnelle." Le HCS se substitue de manière autoritaire et illégale à ce collège "en s'octroyant unilatéralement la gérance de la souveraineté du peuple et en déclassant du même coup la souveraineté de la nation, la volonté générale en train de s'exprimer". Le HCE est alors un organe de suppléance de la présidence de la République, un gouvernement de fait, imaginé le 14 janvier 1992 par une autorité incompétente, le HCS qui, à défaut de se pérenniser dans son rôle nouveau et de le fortifier, réintègre son statut d'organe consultatif du chef de l'Etat en transférant au premier toutes ses nouvelles compétences juridiques.

    La parenthèse est ainsi ouverte par une première "prothèse constitutionnelle" : la proclamation du Haut-Comité d'Etat, œuvre d'une phagocytose du fonctionnement normal des institutions et du régime constitutionnel par le Haut-Conseil de sécurité. Dans une première transition, la présidence collégiale (le HCE), suppléant le président de la République démissionnaire pour les deux années restantes de son mandat, s'accapare les pouvoirs législatifs et rabaisse le pouvoir judiciaire, d'exécutif collégial il se mue également en autorité souveraine.

    Le HCE quitte le pouvoir dans l'indifférence générale. Une seconde "prothèse constitutionnelle" (la plateforme portant consensus national) verra le jour. Elle est l'œuvre de la commission du dialogue national qui enchaîne une seconde période transitoire, le 14 janvier 1993. Appliquant à la lettre les orientations de la plateforme, le président de l'Etat, M. Liamine Zeroual, réoriente le dialogue, dont il constate l'inanité mais qu'il poursuit y compris à l'ombre avec les dirigeants incarcérés de l'ex-FIS, autour de la préparation politique et technique d'élections anticipées avant la fin de l'année 1995 confiée à deux groupes de travail ad hoc discrets mais influents formés autour de deux chantiers : la révision de la Constitution pour l'avènement de la deuxième chambre, le Conseil de la nation, et la réforme du dispositif juridique, plus particulièrement la loi électorale et la loi sur les associations à caractère politique.

    Des développements très conséquents, fouillés et d'un agencement méticuleux du point de vue chronologique et thématique, sont consacrés à la question du dialogue national. Celui-ci apparaît tantôt inconsistant, tantôt en cascade. Cette étape complexe et dramatique de notre histoire est une expression particulière d'une catégorie de droit constitutionnel qui semble avoir couvert tout le cheminement du jeune Etat algérien : le constitutionnalisme de crise.

    La parenthèse des pouvoirs constitutionnels étudiée sous toutes ses facettes est "la manifestation la plus illustrative et certainement la plus schizophrénique du constitutionnalisme de crise (par opposition au constitutionnalisme classique) qui affecte cycliquement le système politique national". Il a pour fondement deux procédés : l'un extra-légal, résultant d'un coup de force revêtant deux variantes (au sens propre du terme tel le coup d'Etat de 1965 et de coup de force juridique et constitutionnel à l'exemple de celui opéré par le HCS); l'autre purement légal parce qu'il se réfère à la norme constitutionnelle qui énumère dans son dispositif les trois états de crise éventuels (état d'urgence, état de siège, état d'exception).

    Ce constitutionnalisme de crise est un enfant illégitime de l'indépendance du pays, dont peine à se départir le système politique national, des institutions provisoires de la guerre de libération à l'indépendance de l'Algérie avec l'ordre colonial.

    Les éléments relatifs à l'organisation et au fonctionnement des institutions politiques susceptibles d'instaurer la liberté politique et un gouvernement démocratique étant enfermés dans la constitution de 1989 comme celle de 1996, qu'est-ce qui empêche l'instauration d'un Etat de droit ?

    La réponse tient à une réalité "prosaïque", nous dit M. Boussouma : "L'Etat de droit est à peine balbutiant. Il suppose un environnement et d'autres conditions qui n'existent pas encore dans notre pays. Avec plus de sept millions d'analphabètes, le contexte intellectuel de la société est peu propice aux joutes et aux choix politiques autonomes. La religion imprègne fortement le vécu quotidien du citoyen, très attaché par ailleurs aux valeurs traditionnelles.

    L'opinion publique est informe. Corollaire de l'individualisme, la citoyenneté est en butte aux pesanteurs sociologiques, elle se fraie difficilement un statut dans un climat difficile, l'emprise du corps social et de l'esprit du douar est toujours vivace. A l'exception de la minorité moderniste du pays qui revendique et assume sa citoyenneté, le reste de la société est à peine au stade de la prise de conscience de la valeur politico-juridique du principe.

    Ayant, pour la plupart, peu d'ancrage dans la société, les partis politiques ne sont qu'une version édulcorée du parti unique, leur vie intérieure est généralement peu démocratique, leur appareil respectif - lorsqu'il en existe - est au service exclusif du chef. Le système de pensée unique survit malgré les changements introduits dans tous les domaines, il provoque des ravages dans tous les milieux.

    Si la société civile est en gestation, la classe politique ne semble pas avoir encore intériorisé le compromis et le consensus. Quant aux contre-pouvoirs, la plupart font à peine leurs premiers pas dans le champ politique, beaucoup d'entre eux ont été neutralisés par le pouvoir depuis leur apparition, tous ou à peu de choses près servent de décorum démocratique.

    L'éthique du service public est en déliquescence et les gouvernants fonctionnent toujours à l'autoritarisme. La régulation par le droit n'est pas entrée dans les mœurs politiques et citoyennes, d'où la recherche de solutions par des moyens que la morale réprouve.

    A ce faisceau dense de facteurs plus ou moins négatifs qui retardent l'enracinement de la pratique démocratique, se surajoute un élément dont la charge négative est désastreuse tant au plan politique et juridique qu'au plan psychologique. Il s'agit de l'exemple contestable qu'offrent les pouvoirs publics aux citoyens par leur attitude peu formaliste à l'égard de la règle de droit, par leur attitude peu scrupuleuse des règles du jeu politique en vigueur, par leur comportement erratique vis-à-vis de la norme suprême." Le mépris de la procédure et du formalisme mesure la distance qui nous sépare encore de la liberté en général et de la liberté politique en particulier.
    A. B.

    Note perso : J'ai eu le privilège d'etre son élève à l'ITFC à l'époque (Ben Aknoun  ,Alger). Un prof passionnant ,d'une pédagogie naturelle qui forcait au respect . Un grand monsieur spécialiste de la période transitoire des "delegations spéciales " et de l'entreprise Algérienne entre autres .Il m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses et je ne peux que lui témoigner mon profond respect ainsi que mon admiration .Un homme si simple et si ... j'ose le dire : Génial . Il m'avait affublé du surnom de Jaiarzino ( joueur brésilien aux dribbles  diaboliques ) .

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