• Un homme digne de son peuple

    Dernier membre vivant de l’état-major de l’ALN, membre du CNRA, le commandant Azzedine a vécu dans la douleur les derniers jours de la colonisation. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur la zone autonome qu’il a reconstituée pour neutraliser les cellules de l’OAS, mais aussi sur les guerres fratricides qui ont éclaté à la veille de l’indépendance. Pour lui, toutes les tragédies qu’a vécues le pays depuis 1962 ont deux responsables : Ben Bella et Boumediene, que l’amour du pouvoir a pervertis…

    -Entre le 19 mars, marquant le cessez-le-feu et le 5 juillet date de l’indépendance, l’Algérie a traversé une des périodes la plus difficiles. Comment l’avez-vous vécue ?

    En 1961, j’étais à l’éat-major de l’ALN et je suivais de près les massacres qui étaient commis contre la population algérienne. A l’époque, les négociations entre le FLN et le gouvernement français commençaient à être sérieuses et l’indépendance se dessinait à l’horizon. L’OAS (Organisation armée secrète) est entrée dans une stratégie de folie meurtrière qui n’avait aucune limite. Avec un groupe de valeureux combattants comme Omar Oussedik, Moussa Charef, que Dieu ait leur âme, Ali Lounici et Boualem Oussedik, ainsi que d’autres intellectuels qui devaient rentrer au pays, comme Zerdani, Toufik Bouatoura, et  Harbi, mais qui ne l’ont pas fait, de répondre aux actions de l’OAS, il y avait Mustapha Leblidi, Hamid Dali et Nachet qui formaient l’aile militaire, et les autres qui constituaient l’aile politique.

    Nous avons pris contact avec Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne), pour l’informer de notre action et il a promis de nous aider. Il nous a mis en contact avec Hafid Kerramane, qui devait grâce à ses réseaux nous faire passer la frontière franco-suisse par train, puis rejoindre l’Algérie par avion. Nous devions rentrer à Alger deux par deux et moi, mon binôme était Moussa Charef. J’avais des papiers au nom de Cerrano Georges, gendarme auxiliaire, et Charef avait un autre nom dont je ne me rappelle plus. Nous sommes arrivés au boulevard  des Invalides à Paris, puis nous nous sommes dirigés vers l’aéroport d’Orly, d’où nous nous sommes envolés sur Alger. Mes papiers étaient détenus par une française, présentée comme ma fiancée, que je n’ai jamais revue une fois à destination.

    Dès mon arrivée, j’ai pris contact avec la wilaya IV, et je l’ai trouvée dans une situation des plus catastrophiques. Vers la fin de 1961 et 1962, les maquis étaient désertés par les militaires français lesquels ont concentré leurs forces surtout dans les villes. Durant les négociations d’Evian, les opérations se sont arrêtées. Nous nous sommes mis d’accord avec toutes les wilayate afin de descendre à Alger et de reconstituer la zone autonome. Avec Ali Lounici, Omar Oussedik et Bouchafa Mokhtar, nous avons commencé à organiser la résistance contre l’OAS. A cette époque, les attentats commis par cette organisation criminelle faisaient entre 60 à 80 victimes par jour uniquement à Alger. Les victimes se comptaient surtout parmi les «Fatma», comme ils les appelaient, les petits pharmaciens, les vendeurs de cigarettes, de propriétaires des «quatre saisons», etc.

    Nous étions en plein dans les délits de faciès. Nous avions été aidés par Mohamed Berrouaghia, par ses contacts. Par voie rapide, j’ai informé Benyoucef Benkhedda, alors président du GPRA, de la reconstitution de la zone autonome d’Alger, et l’ordre de mission qu’il m’avait établi faisait état du maintien de l’ordre dans la capitale jusqu’au référendum. Il fallait faire en sorte que le cessez-le-feu soit respecté jusqu’à ce qu’a la tenue du référendum afin de ne pas faire capoter les accords d’Evian. Les consignes étaient surtout de ne pas répondre aux provocations de l’OAS qui avait pour objectif à travers les attentats qu’elle commettait de faire descendre la population algérienne sur les quartiers européens et de provoquer la réaction de l’armée coloniale. Il fallait que nous arrivions à mettre un terme rapidement à la machine meurtrière de l’OAS, et ce, dans la discrétion totale.

    -Aviez-vous ressenti le souci de faire respecter les accords d’Evian chez la partie française ?

    Nos interlocuteurs représentaient la France officielle à travers le préfet d’Alger, Vitalis Cros, le capitaine Lacoste de la gendarmerie, Lucien Biterlin, des barbouzes et le général Capodano. Après l’installation de l’Exécutif à Rocher Noir, nous avons organisé la zone autonome sur le plan sanitaire, militaire, logistique et nous avons tissé un réseau de renseignements des plus extraordinaires depuis cette période à ce jour..  

    -Grâce à qui ?

    Grâce à nos mères et nos sœurs. A l’époque, chaque famille européenne avait sa «Fatma» qui connaissait tout ce qui se passait dans les foyers et les deux communautés (arabe et européenne) vivaient chacune isolée de l’autre. Nous ne pouvions entrer chez eux, comme eux ne pouvaient s’aventurer dans nos quartiers. Avant de rentrer chez elles, ces «Fatma» venaient nous rendre compte de tout ce dont elles ont été témoins, et elles nous aidaient à localiser, grâce aux photos que nous leur montrions, les activistes de l’OAS. Nous avons communiqué toutes les informations recueillies à l’exécutif à travers Abderrahmane Fares et Chawki Mostefaï.
    Le capitaine Lacoste, le préfet Vitalis Cros et le général Capodano étaient également informés afin qu’ils mettent un terme aux activités de l’OAS.

    Nous, nous ne pouvions entrer dans les quartiers européens, parce que vite repérables. Il fallait que ce soit la partie française qui le fasse. Mais rien n’a été fait. L’armée française était devenue putschiste et personne ne pouvait agir. Les accords d’Evian avaient prévu la mise en action de la force locale à Alger (composée d’algériens encadrés par des officiers français), mais également les ATO (Agents temporaires occasionnels), une sorte de police temporaire. Ces forces fidèles à De Gaulle, devaient servir pour le maintien de l’ordre jusqu’à l’indépendance, mais aucune d’elles n’a été mise en place. Nous avions attiré l’attention de l’exécutif de Rocher Noir, mais aucune réaction n’a été enregistrée. Toutes les informations que nous leur transmettions sur les activistes de l’OAS restaient sans réponse. Il fallait riposter parce que la population voyait ses enfants mourir chaque jour dans des attentats. Les criminels de l’OAS voulaient déverser un camion citerne d’essence sur le haut de La Casbah pour brûler tout le quartier.

    Les plasticages, les tirs au bazooka, au mortier, à la mitraillette lourde ébranlaient la capitale. C’était un cauchemar pour la population  au point où celle-ci a commencé à douter de l’efficacité de la zone autonome, accusée d’impuissance. Au niveau du PC (poste de commandement), chaque soir nous nous réunissions pour établir les listes des extrémistes de l’OAS avec leur adresse, et le lendemain j’organisais des enlèvements de personnes ciblées et celles-ci sont faites prisonnières. Elles sont déférées devant un tribunal populaire qui décidait soit de leur libération soit de leur condamnation à mort. Ceux qui étaient exécutés, l’étaient pour leurs crimes abominables. Notre action avait pour objectif de stopper les massacres de l’OAS et faire respecter les accords d’Evian. Nous ne pouvions rester inertes face à la machine meurtrière de l’OAS.

    L’attentat contre les travailleurs du port d’Alger, avec plus de 70 morts et de nombreux blessés a soulevé les habitants de Clos Salembier et de La Casbah. Ces derniers ont commencé à descendre sur les quartiers européens pour se venger. Nous avons eu du mal à les convaincre de rentrer chez eux. Nous leur avons promis de riposter violemment à cet acte ignoble. Et il y a eu l’action du 14 mai 1962 qui a été menée sans qu’elle soit autorisée par le GPRA ni le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne) ou par les wilayate.

    -Aviez-vous peur qu’ils ne soient pas d’accord avec votre démarche ?

    Comme nous étions tout le temps en contact avec les autorités françaises, nous savions que le pouvoir officiel voulait en finir avec l’OAS, d’autant plus que l’armée française était devenue putschiste et De Gaulle voulait s’en débarrasser, alors nous avons organisé une action militaire sur tout le territoire de la zone autonome dirigée contre tous les PC de l’OAS. Il y a eu une vingtaine de morts et beaucoup de blessés. Ce qui a bouleversé la donne.

    Les Français ne s’attendaient pas à une telle riposte. A partir de Genève,  M’hamed Yazid décline  toute responsabilité du GPRA dans ces actions. Les représentants de l’exécutif le suivent en disant que les auteurs ne sont ni de l’ALN ni du FLN. Mais, le lendemain, j’ai animé une conférence de presse où j’ai annoncé la responsabilité de la zone autonome sur les attentats, commis en réponse au non-respect des accords d’Evian par la partie française. J’ai dit aux journalistes que j’étais membre du CNRA et à ce titre le CNRA était au courant de ces opérations, au même titre que les wilayate, puisque moi aussi j’en fais partie. Omar Oussadik a été contacté par les représentants de l’exécutif comme le préfet d’Alger, Vitalis Cros, et le capitaine et il s’est entendu avec eux pour une réunion le lendemain.

    Durant cette réunion, nous leur avons fait beaucoup de reproches dont celui de n’avoir rien fait contre les activistes de l’Algérie française en dépit du fait qu’ils aient été informés de toutes leurs activités et leurs adresses. Nous avons obtenu satisfaction dans tous les domaines. Et juste après, les autorités ont arrêté et envoyé au sud, dans des camps, plusieurs activistes de l’OAS, alors que de nombreux européens avaient été expulsés d’Algérie. Ces mesures ont fait basculer le rapport de force. Mais, à partir de là l’exode a commencé…

    -Des européens ?

    Bien sûr. Nous, nous n’avons jamais voulu que les européens partent. C’était notre grande préoccupation parce qu’ils faisaient fonctionner le pays. Ils détenaient tout entre leurs mains. Comment allions-nous faire fonctionner les centrales électriques, téléphoniques, les réseaux d’assainissement ? Comment faire arriver l’eau dans les robinets, ou encore organiser la rentrée scolaire ? Le suicide collectif des européens a été organisé par l’OAS à travers sa politique de terre brûlée et par le slogan qu’elle a mis sur notre dos, celui : «La valise ou le cercueil».

    -Jusqu’au début du mois de juillet 1962, croyiez-vous réellement à l’indépendance du pays ?

    Tout le monde croyait au commencement de la fin. Les accords d’Evian ont été ratifiés par tous, exception faite pour quatre responsables, Gaïd Ahmed, Mendjeli, le commandant Nacer de la wilaya V, et Boumediene. Sauf pour ces derniers, tous croyaient à la fin de la guerre. Pour la petite histoire, Omar Oussadik et moi-même étions à Alger et en tant que membres du CNRA, nous avions reçu des convocations pour aller au congrès de Tripoli, où tout a éclaté au grand jour. C’était en juin 1962. Nous avons réfléchi à la réponse. Nous avons décidé d’écrire une lettre dans laquelle nous leur disions qu’il y avait des choses plus importantes à faire à Alger avec les activistes de l’OAS, tout en délivrant des procurations à des compagnons pour nous remplacer.  Nous leur avions proposé la chose suivante : à partir du moment que le 1er congrès de l’ALN-FLN a eu lieu à Ifri dans la Soummam, le 20 août 1956 en pleine guerre, pourquoi ne pas convoquer tous les membres du CNRA à Alger maintenant que la guerre était finie.

    Ce congrès, leur avions-nous ajouté, pouvait être enrichi par les cadres formés dans les djebels et les villes par la Fédération de France, de Tunis et du Maroc, et il pourrait, par la suite, se dégager une assemblée constituante d’où émanerait un gouvernement.  Malheureusement, chacun faisait ses comptes. Notre proposition a été refusée. Le congrès de Tripoli  a capoté. C’était le premier coup de force contre le GPRA. Ils disaient que la crise était celle des wilayate. Ce n’est pas vrai. La crise a commencé à Tripoli. Les wilayate s’entendaient bien. Ce sont eux qui nous ont divisés. Les wilayas VI, I et V étaient avec Boumediene et Ben Bella, mais les autres, les II, III et IV étaient avec l’ordre instauré à travers le GPRA. Ils ont fait éclater l’harmonie qui existait entre les wilayate…

    -Malgré cette crise, vous avez vécu la journée du 5 juillet 1962 à Alger. Quelle était l’ambiance dans les rues ?

    C’était un moment d’euphorie et de folie. Pendant 4  jours et 4 nuits, les gens dansaient dans les rues d’Alger. Ils ne dormaient pas, ne mangeaient pas, ne travaillaient pas. Ils ne faisaient que festoyer. Benyoucef Benkhedda, qui était toujours président du GPRA, a pris la parole à partir de la wilaya. Il a dit : «Si Azeddine, ça suffit, le peuple doit retrousser ses manches dès demain.» J’ai pris la parole moi aussi, et j’ai demandé aux gens de rejoindre leur poste de travail. Le lendemain, plus personne n’était dans la rue.

    -Comment Alger a été gérée juste après le départ des français ?

    Les départs des Français ont duré 3 mois durant lesquels les ports et aéroports étaient bondés d’européens. Ils savaient ce qu’ils ont fait et ils n’ont pas accepté l’indépendance du pays. Au fond, ils savaient que leurs voisins étaient témoins de leurs actes. Ils ont eu peur. Dès la journée du 5 juillet, nous avons commencé à nous organiser. Nous avons reçu les membres du GPRA et il fallait les loger tous parce qu’ils n’avaient pas de logements. Mais il y avait aussi la guerre entre les dirigeants : le groupe de Tlemcen et celui de Tizi Ouzou, et il y a eu également les appétits dévorants de nos frères de l’intérieur. Après le 3 juillet 1962, il n’y avait plus rien à libérer. La wilaya IV à laquelle j’ai appartenu et où j’ai reçu 13 blessures a vu que les villas et les appartements ne se trouvaient pas dans les maquis mais à Alger. J’ai été informé de la décision de ses dirigeants de marcher sur la capitale. Au niveau de mon PC, le débat tournait autour de la nécessité d’organiser la résistance. J’ai dit : jamais je ne prendrai cette responsabilité de tirer sur un algérien…

    -Qui a eu cette idée ?

    Le colonel Hassen, Lakhdar Berrouaghia, Omar Ramdane, enfin tout le PC de la Wilaya IV. Nous n’avions tiré aucun coup de feu, et dès qu’ils sont arrivés ils nous ont mis en prison  Omar Oussedik et moi. Je me suis évadé le lendemain et j’ai commencé à organiser la libération d’Oussedik à travers la presse. Yacef Saâdi qui se trouvait à Oran avec Ben Bella et Boumediene a été dépêché par ces derniers pour organiser la résistance à La Casbah. Le sang de nos frères a coulé au mois d’août 1962. Y avait-il quelque chose à libérer au mois d’août 1962 ? Rien. Ce qui a poussé le peuple à sortir dans la rue pour crier : «sept ans barakat !». Il y a eu trop de morts…

    -Combien ?

    Je ne sais pas parce que je n’ai pas tenu cette comptabilité macabre, d’autant plus que j’étais éliminé des circuits. Dans quelle case faut-il mettre tout ce sang qui a coulé ? Dans celle des pertes et profits ? Et le sang qui a coulé entre l’armée des frontières et la wilaya IV, dans quelle case va-t-on le mettre ? Pourquoi ne parle-t-on pas de ces victimes ? Mon combat est justement pour la vérité sur ces gens...

    -Justement, la révolution a ses côtés sombres que les jeunes générations vous reprochent à vous en tant qu’acteurs de ne pas l’avoir dévoilée. Pensez-vous qu’il est temps d’ouvrir le débat sur cette question ?

    Je milite pour un débat sur cette question parce que nous n’avons pas le droit de laisser notre histoire, 50 ans après l’indépendance, entre les mains des révisionnistes. Aujourd’hui, je viens d’acheter une cinquantaine de livres édités en France à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, et il y en a eu que pour les harkis et les pieds-noirs. Ils ont oublié que le colonialisme, c’est eux. Ils étaient là en occupants et ils veulent fausser le débat sur la colonisation. Mais qu’avons-nous fait de notre côté ?

    -Et si nous revenions sur le 5 juillet 1962 et surtout la rentrée scolaire de cette année-là. Comment a-t-elle été organisée ?

    La rentrée s’est faite grâce à la mobilisation populaire. Tous ceux qui avaient un brevet ont été recrutés comme instituteurs et ceux qui avaient un diplôme plus important en tant qu’enseignants. Ainsi, les élèves ont pu intégrer les bancs des écoles et ni la langue française ni la langue arabe n’ont été diabolisées.

    -Quel a été le sort des harkis ?

    A Alger, il n’y en avait pas. Mais dans les maquis, et pour l’histoire, nous avons toujours transmis des messages à ces derniers leur exigeant de rallier leurs frères dans leur combat libérateur avant l’indépendance, parce qu’au-delà, ils n’allaient pas être épargnés. Ils savaient très bien qu’après le 5 juillet nous n’allions pas les décorer. La France coloniale a abandonné ses soldats sur un champ de bataille. C’est elle qui a trahi les harkis et les chiffres les concernant ont été pervertis. A l’indépendance, nous avions entre harkis, goumis et mekhezni 96 000 hommes, recensés et dont les listes ont été remises à l’armée française. Combien sont-ils partis ? Benjamin Stora parle de 30 000, et les autres ont-ils tous été tués ? je ne le pense pas. Beaucoup ont été certes arrêtés sous le règne de Ben bella et Boumediene, mais après ils ont été relâchés. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de morts. Il y en a eu.

    A la libération de la France, n’y a-t-il pas eu de liquidation des collabos ? N’y a-t-il pas eu des femmes auxquelles on a rasé le crâne juste parce qu’elles s’étaient éprises de militaires allemands ? Ce sont nos traîtres, et ils ont été parqués comme des animaux lorsqu’ils ont rejoint la France. Je n’ai rien à reprocher à leurs enfants, mais je ne peux accepter ces jérémiades pour les harkis. Nous avons gagné la guerre au prix fort. Ceux qui disent que nous l’avons perdue militairement se trompent. Lors du déclenchement de la révolution, nous n’avons jamais dit que nous allons vaincre l’armée française. Notre objectif était l’indépendance. Il est vrai que De Gaulle est un grand patriote français, et nous l’avons connu à deux reprises.

    Le 8 mai 45, avec le massacre de 45 000 algériens, et en 1958 après le putsch des généraux lorsqu’il a lancé les plus grandes opérations militaires pour réprimer la révolution. Il est vrai qu’ils ont laminé les maquis et nous ont occasionné de nombreuses pertes. Cependant, il faut rappeler dans quelles conditions. Les frontières doublement fermées, 2,25 millions d’algériens parqués dans des camps, des prisons pleines à craquer en France et en Algérie, 8000 villages rasés et incendiés, un millions d’hectares de forêts brûlés et 500 000 soldats mobilisés. L’Algérie était devenue une zone interdite, une colonie de peuplement avec un million de pieds-noirs. Comment la France peut-elle dire qu’elle a gagné militairement et nous politiquement ?

    -Certains disent que c’est De gaulle qui a donné l’indépendance aux Algériens…

    De gaulle n’a jamais voulu l’indépendance de l’Algérie. Elle lui a été imposée par le terrain. Il a donné tous les moyens nécessaires et imaginaires à l’armée afin qu’elle mène toutes les opérations possibles dans le seul but de réprimer la révolution. La souffrance qu’il nous a fait endurer était terrible durant ces années. L’armée française s’est transformée en putschiste pour garder l’Algérie, et Michel Debré disait : «Allez tous à cheval et à pied pour garder l’Algérie». Nous avons fait tomber la 4e République, et de nombreux gouvernements avant que l’indépendance ne soit arrachée. Nous avons fait la plus belle révolution dans le monde. Notre liberté a été arrachée et non pas octroyée. Ce qui explique que 50 ans après, elle n’est toujours pas digérée par les nostalgiques de l’Algérie française. Ils me choquent lorsqu’ils disent que nous vivions comme des frères et sœurs. Ce n’est pas vrai. J’étais soudeur de 1re catégorie chez Caterpillard, et mon salaire était de 18 000 FF de l’époque, alors qu’un espagnol, du nom de Petit, qui avait les mêmes qualifications, touchait 32 000 FF. où est la fraternité ? Si la France était restée en Algérie, vous ne seriez pas journaliste, mais une Fatma chez un européen, et moi un soudeur dans une société au sud du pays, avec une maladie dans les poumons.

    -Est-ce que l’Algérie de 2012 est celle dont vous rêviez avant l’indépendance ?

    Vous savez, lorsqu’on avait un moment de répit et qu’on se réunissait autour d’un feu, nous parlions de l’Algérie de nos rêves entre compagnons d’armes. Jamais nous n’aurions pensé qu’avant même le recouvrement de l’indépendance, nous nous entretuerions.
    Je vous rappelle que Bouteflika a été envoyé par Boumediene en France pour voir Boudiaf dans sa prison en 1962. Il lui a proposé un coup de force contre le GPRA. Boudiaf était hors de lui, il lui a dit : «Tu viens me vendre un coup d’Etat alors que le sang des martyrs n’a pas encore séché ? Je ne suis pas preneur.»

    Il est revenu, et Boumediene l’a envoyé vers Ben Bella qui, dès qu’il l’a vu, lui a lancé : «Al Hamdoullah, j’ai vécu pour voir de jeunes officiers prendre le relais. Je suis votre homme et je peux mourir en paix maintenant.» Avant même l’indépendance, ils étaient déjà dans les complots. Le colonel Hassene et le colonel Boubnider ont été voir Khider, je crois au Maroc, pour lui demander ce qu’il y a lieu de faire pour arrêter l’effusion de sang et que leur a-t-il répondu ? «Une bonne saignée au peuple ne peut que lui faire du bien». 7,5 années de guerre et ils continuent à parler de «bonne saignée».

    -Pourquoi tous ces complots et ces coups de force ?

    Pour le pouvoir. Je ne peux pas dire que leur engagement pour la révolution était intéressé, mais l’appétit vient en mangeant. Ils ne s’entendaient pas entre eux, mais aussi avec la direction qui gérait le pays, le CCE (Comité de coordination et d’exécution) et le GPRA. Il ne faut pas oublier aussi que le congrès de la Soummam a été organisé par des hommes merveilleux tels que Abbane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, et de ce congrès sont sorties des décisions historiques,  la primauté du politique sur le militaire, de l’intérieur sur l’extérieur, et la direction collégiale. Elles n’ont pas plu à Ben Bella...

    -Visiblement, il était le plus controversé…

    Ben Bella était à l’extérieur et il a échoué dans sa mission de ravitailler l’intérieur en armements et en munitions. Il n’a rien fait pour les moudjahidine. Il est vrai qu’il a joué un rôle dans le mouvement national, il a été responsable de l’OS (Organisation secrète), et accepté de déclenchement de la lutte armée alors qu’il était au Caire. Ben bella a échoué dans sa mission et il en a voulu à Abbane Ramdane et Ben M’hidi, et en plus il a une responsabilité directe dans l’assassinat de Abbane…

    -De quelle manière ?

    C’est lui qui avait donné son accord à Boussouf. Ce dernier ne faisait rien sans prendre sons avis. Avant même l’indépendance, les tueries ont commencé entre les frères. J’étais au CNRA, et à chaque réunion, nous recevions des lettres dans lesquelles ils se chamaillaient comme les masseuses de bains maures. Le pouvoir les a pervertis. Ils nous l’ont fait payer très cher. Avant même qu’ils ne rentrent au pays, les affrontements fratricides avaient déjà commencé. Le CNRA n’a même pas terminé son assemblée générale, à ce jour, elle n’a pas été clôturée à cause des complots. Le départ de l’Algérie a été très mauvais. Ferhat Abbas, qui était avec eux, a été emprisonné, tout comme Bentoumi ou encore Khobzi. Une vingtaine de députés, dont Boumala, Oussadik, ont été incarcérés. Qu’avons-nous fait pour aller en prison ?

    Toutes les tragédies que le pays a vécues sont liées à ce mauvais départ, et les grands responsables sont Benbella et Boumediène. Comment le peuple algérien, qui était majeure durant la révolution, puisse-t-il devenir mineur à l’indépendance au point de décider de son sort ?  Il ne faut jamais oublier que le FLN, à travers la plume de Abane Ramdane, avait appelé tous les Algériens de toutes les obédiences à rejoindre le combat libérateur, et à l’indépendance libre, à chacun de revenir à sa famille politique afin de couper l’herbe sous les pieds du colonisateur qui voulait créer la troisième force. Mais dès l’indépendance, ils ont trahi le peuple en imposant le FLN comme parti unique. De quel droit privent-ils les gens de la liberté de constituer un parti ? La légitimité révolutionnaire durant les combats était entre les mains du CNRA qui a délégué une partie au GPRA et à son exécutif. A partir de 1962, ils ont rayé le CNRA et le GPRA pour gérer seuls le pays à ce jour. La seule légitimité qu’ils ont est celle de la mitraillette..

    -Pouvons-nous comprendre que leurs agissements ont rendu amer le goût sucré de l’indépendance ?

    Il n’y a aucune mesure la colonisation faite d’injustice et de souffrance et les abus dont nous souffrons aujourd’hui. Nous avons arraché notre liberté, et c’est à la nouvelle génération de conquérir la démocratie. Nous aurions évité beaucoup de crises au lendemain de l’indépendance parce que notre peuple était prêt à tout en 1962. Mais il a vu que le poisson était pourri de la tête. Notre peuple a résisté héroïquement aux 7,5 années de guerre totale, et a fini par obtenir son indépendance. Il faut en être fier.

    -Quel message donneriez-vous aux jeunes d’aujourd’hui ?

    Le pouvoir n’a jamais laissé faire l’écriture de la révolution. Les décideurs disaient que celle-ci était la leur. Ils refusent la vraie histoire.
    Celle où ils n’ont laissé aucune trace. Des années après l’indépendance, la population voulait s’identifier à un héros de la révolution. Il lui fallait une histoire et un homme. Boumediène est allé à des milliers de kilomètres en Syrie pour chercher les ossements de l’Emir Abdelkader et planter sa statue au cœur d’Alger. Pourtant, les héros ne manquaient pas. Si El Houes et Amirouche étaient de ceux-là et leurs corps ont été cachés dans des casernes jusqu’en 1982. Est-ce normal ? A-t-il eu peur de montrer que ces hommes ont des faits d’armes qu’il n’a pas ? Il n’avait pas intérêt à raconter leur histoire ou à les glorifier. Ils ont écrit l’histoire avec une gomme et non pas un stylo. Ce ne sont pas les acteurs qui refusent d’écrire l’histoire, mais plutôt les décideurs qui refusaient toute histoire qui les dérange. Je dis aux jeunes d’aujourd’hui que vos mères et vos pères ainsi que vos ancêtres ont joué un rôle extraordinaire dans la libération de votre pays. C’est à vous de prendre le relais pour construire la démocratie. L’Islam est notre religion, mais il doit être protégé du politique. Regardez ce qui se passe dans certains pays arabes, et sachez que l’indépendance a été arrachée  par nos propres moyens ni l’Egypte, ni les USA et encore moins les Russes ne nous ont aidés.                          

    Salima Tlemçani
     Note perso :Une interview historique avec un homme d'une intégrité ,d'une modestie ,extraordinaires .Un digne fils de L'Algérie que je salue profondément ,avec ses compagnons de lutte disparus ou en vie . L'heure juste par un JUSTE .Hommage à tous nos combattants ,nos martyrs ,et à notre merveilleux peuple !Merveilleux ? Oui ,fantastique ,malgré tous les malgré ! Le Temps use le mensonge et polit la Vérité .
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