• Saint Exupéry à Alger

    Dans les méandres du boulevard du Telemly qui s'étiraient à flanc de coteau au-dessus du centre-ville, tout en longueur, d'Alger, on trouvait des culs-de-sac ombragés et sympathiques qui correspondaient aux différents ravins qui dévalaient des collines entourant la ville et que celle-ci tentait d'escalader. 

    Les plus grands d'entre eux s'épanouissaient en quartiers originaux et pleins de charme comme la Robertsau que nous a si joliment décrite notre ami Serge Trani. Ce n'était pas le seul. Le premier sur la liste en remontant le boulevard depuis le square Laferrière, c'était les "7 Merveilles". J'ai oublié l'origine de ce nom que pourtant mon grand-père m'avait expliqué. J'ai un peu oublié aussi les lieux pour n'en retenir que l'atmosphère et la disposition. C'était un curieux endroit. Beaucoup moins imposant et construit que la Robertsau mais plus petit, plus aéré et qui avait gardé une fraîcheur presque naïve, comme un décor de théâtre plaqué en demi-cercle le long du boulevard.

    Il y avait plusieurs magasins dont la "Boucherie des 7 Merveilles" et surtout il y avait, au fond de l'anse, le "Café des 7 Merveilles" qui faisait restaurant à la belle saison sous une tonnelle fraîche et accueillante, à côté de laquelle s'arrêtait le trolleybus de la ligne "G" (Telemly). Au cours des années 50, cette boucle des 7 Merveilles fut comme celle de la Robertsau court-circuitée par un pont plus commode enjambant les rives, ce qui fait qu'on n'y passa plus guère, mais ceci préserva leur identité provinciale et leur charme désuet à ces quartiers où il faisait bon vivre.

    Je me souviens bien de ce café. Les vieux algérois continuaient de l'appeler le "Café des 7 Merveilles" alors que sur l'enseigne on pouvait lire "Bar des Ailes". C'était, en effet, un bar de "vieilles tiges". Il avait été le rendez-vous des pilotes de l'époque héroïque et des "As" de l'aviation.

    C'était d'ailleurs toujours, plus ou moins, un bar de pilotes, qui y venaient sans doute lorsqu'ils voulaient rester entre eux, réservant le bar de l'Aletti et la terrasse du "St-Georges", où ils avaient également leurs habitudes, à leurs hôtesses de l'air et à leurs bonnes fortunes .

    Pimpant et coquet de l'extérieur, ce café était vieillot et désuet à l'intérieur encore qu'il soit chaleureux avec son ambiance début du siècle, ses boiseries aux tons chauds, ses banquettes en moleskine, ses tables rustiques et son vieux bar, haut perché, en bois luisant de cire, méticuleusement briqué. Ce coin du bar était le plus sympathique. Les bouteilles s'alignaient de manière coquette sur des étagères doublées de glace, éclairées par des ampoules et elles témoignaient de l'éclectisme de ces consommateurs un peu particuliers. A côté des liqueurs à la mode, on y trouvait tous les classiques de la "belle époque" : Picon, Suze, Byrrh, Noilly, Dubonnet, Mandarin, Guignolet É plus quelques alcools exotiques comme la Tequila, ou l'Aquavit et bien sûr les incontournables anisettes "Gras" ou "Cristal" et même du "Berger" pour les inconditionnels de la métropole.

    Sur l'un des murs, une glace fanée tentait de renvoyer un peu de la lumière du dehors tandis qu'au plafond une hélice en bois rescapée d'un vieux "coucou" faisait office de ventilateur et tournait lentement. Mais la gloire confidentielle et éphémère de ce café était d'avoir été adopté par Antoine de St-Exupéry lors de sa période algéroise et d'avoir été l'un des rendez-vous des pilotes de l'aéropostale quand ils passaient à Alger. Ce café avait donc eu une âme et il lui en restait une atmosphère indéfinissable qui imprégnait ses murs et s'accrochait à ses rideaux "bonne femme". C'est à mon copain Pierre que je dois d'avoir connu le "Bar des Ailes". Pierre a toujours eu un faible pour les lieux qui respirent leur histoire et il connaissait ce café à travers son père, ancien de "l'Escadrille des Cigognes" qui lui en avait parlé. Un certain nombre de circonstances nous fit passer ensemble, seuls à la maison, au 25 rue Emile Alaux, la fin de l'été 59.

    Les 7 Merveilles étaient sur la route du retour après nos escapades en ville et nous y allions en général boire un verre après un dernier "flipper" au café, rutilant de néons, qui faisait le coin du nouveau pont. Nous allions donc hisser nos fesses et caler nos pieds sur les tabourets de moleskine rouge qui avaient usé des pantalons plus prestigieux en tâchant d'adopter l'attitude nonchalante, virile et décontractée qui convenait à ces prédécesseurs illustres.

    Il y avait là un vieux barman kabyle impeccable dans sa veste blanche et distingué dans sa simplicité impassible. Et il nous prit d'autant plus "à la bonne" qu'en cette fin d'été le bar était pratiquement vide. Cet homme avait la nostalgie des clients illustres qu'il avait servis et, comme il trouvait en nous des oreilles gagnées d'avance à la mémoire des lieux, il nous livrait ses souvenirs tout en ménageant ses effets, ce qui ne l'empêchait sans doute pas de les embellir un peu.

    Saint-Ex, bien sûr était son "client" préféré, et il nous le servait par petites touches négligentes, savamment calculées pour nous tenir en haleine. Pierre, qui a toujours su avoir le geste, lui octroyait (malgré nos maigres ressources) des pourboires royaux et bien que nous consommions assez peu il nous préparait généreusement en guise de "kémia" des sortes de petits canapés abondamment couverts d'une préparation à base de soubressade très parfumée et agréable au goût mais redoutable pour le gosier. "Ça, c'est les Canapés de St-Ex" nous disait-il pour les présenter et il ajoutait que c'était l'appétiseur préféré du grand homme tout en laissant entendre qu'il en tenait la recette de sa bouche, recette qu'il gardait jalousement et dont il préservait ainsi le rite. Bien qu'ils soient des pousse-à-boire redoutables et qu'ils nous laissent la bouche en feu, ces canapés étaient délicieux et ils avaient pour nous, une saveur inimitable de "Courrier-Sud" et de "Terre des Hommes". En les mangeant, nous devenions des familiers de Guillaumet dans les andes et des habitués des latécoères faisant escale à Cap Juby.

    Source :Jean louis Jacquemin ,essmaa free

    Note :L'hotel El Djazair ex Saint Georges 

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