• Portrait de Wassyla Tamzali

    Portrait de Wassyla Tamzali

    Propos recueillis par Mathilde Rouxel

    Wassyla Tamzali est une personnalité politique et culturelle algérienne. Née en 1941, elle a vingt ans au moment de l’indépendance de l’Algérie. Avocate à la Cour d’Alger à la fin des années 1960, elle est recrutée à l’UNESCO à la fin des années 1970 pour travailler sur les questions de l’égalité en droit des femmes et des hommes ou de la violence contre les femmes. Elle rejoint en 1989 le parti algérien du Front des Forces Socialistes et en occupe des fonctions dirigeantes, puis cofonde en 1992 le Collectif Maghreb Égalité. Écrivain, elle publie de nombreux essais sur la culture algérienne ou sur la question des femmes, avant de fonder en 2015 un centre d’art à Alger, Les Ateliers Sauvages.

     

    Quelle a été votre formation ?

    J’ai fait des études de droit à Alger, pour devenir avocate.

    Vous êtes aujourd’hui directrice d’un centre d’art. Quelle a été votre carrière au préalable ?

    Après mes études, je me suis inscrite au barreau d’Alger. J’ai exercé en tant qu’avocate à la Cour d’Alger de 1966 à 1977, tout en exerçant une activité de journaliste culturelle. En 1979, j’ai été recrutée au sein de la division des Droits de l’Homme et de la Paix à l’UNESCO pour m’occuper du programme sur les violations des droits des femmes. J’y suis restée jusqu’à ma retraite, en 2001-2002.

    Je suis ensuite rentrée à Alger. J’ai poursuivi évidemment mon travail pour les droits des femmes à travers de nombreuses conférences – je suis devenue une experte de cette question au niveau international. En 2015, j’ai ouvert un centre d’art à Alger, dont je m’occupe maintenant intensément.

    Entre temps, j’ai écrit. J’ai d’abord publié en 1975 un ouvrage sur le cinéma algérien, En attendant Omar Gatlato, regards sur le cinéma algérien. Il s’agit d’un concentré d’articles que j’avais rédigé pour le magazine hebdomadaire Contact, cofondé avec un ami tunisien, et dont j’étais rédactrice en chef entre 1970 et 1973. Il s’agissait du premier hebdomadaire libre maghrébin. Mon second livre était consacré à la parure des femmes (Abzim, parures et bijoux de femmes d’Algérie, 1986), publié avec comme illustrations les photographies faites durant mes recherches : j’avais pris une année sabbatique au cours de laquelle j’ai parcouru l’Algérie pour écrire ce livre en hommage à la créativité des femmes.

    J’ai ensuite écrit beaucoup de livres de ce que l’on appelle la « littérature grise », c’est-à-dire des rapports, des contributions à plusieurs ouvrages sur la condition des femmes. Je distinguerai cependant deux rapports très importants, pas seulement pour moi, mais qui ont véritablement marqué mon parcours à l’international. Je noterai d’abord celui de 1986 sur la constitution comme violation des droits de l’homme : c’était la première fois que l’on parlait ainsi aux Nations unies. Le deuxième rapport que je souhaite mentionner, et qui est important pour moi, est celui de 1995 sur le viol systématique des femmes musulmanes comme arme de guerre en Bosnie-Herzégovine. J’ai par ailleurs écrit de très nombreux rapports sur différentes questions concernant l’égalité de droits des femmes et des hommes ou sur les violences faites aux femmes, et ai endossé tous les rôles que confère un poste de direction, qui demande à initier, créer, inventer et mettre en œuvre des programmes.

    Ensuite, je me suis peu à peu tournée vers une écriture plus autobiographique, surtout pour raconter l’histoire de l’Algérie à travers moi - ou moi à travers l’Algérie, on ne sait pas dans quel sens le prendre. J’ai ainsi publié Une éducation algérienne (2007), puis Une femme en colère : lettre d’Alger aux Européens désabusés (2009) sur l’Islam en France. Avant cela, j’avais déjà publié avec Christine Ockrent L’Énigme du Maghreb (2006), puis j’ai dirigé en 2012 un livre dont je suis très fière, parce qu’il est encore très vivant : Histoires minuscules des révolutions arabes, avec une trentaine d’auteurs maghrébins et arabes.

    Aujourd’hui, j’écris sur l’art. Je dirige Les Ateliers Sauvages, centre d’art dont je suis la fondatrice, avec beaucoup de passion, et de manière assez intrusive puisque je lance moi-même des projets.

    Comment définiriez vous votre engagement aujourd’hui ?

    Mon engagement politique aujourd’hui se fonde sur des idées tout à fait contradictoires : l’idée à la fois que tout est en marche et que tout arrivera, mais avec une vision très négative et un grand désespoir face à ce qui se passe dans le monde. La chose qui m’affecte sans doute le plus étant la disparition programmée des Palestiniens.
    Concernant la situation dans le monde arabe, mon pays par exemple, comme les autres pays arabes, je retiens avant tout l’échec des années d’espoir de la décennie de 1970 qui nous affecte jusqu’à aujourd’hui. La seule lueur qui subsiste – la « luciole » de Pasolini – serait à mon sens la Tunisie, qui est un pays vivant, un pays qui avance. Il rencontre bien sûr des difficultés, mais les gens que je connais sont engagés et prêts à faire avancer les choses.

    Quel est votre plus beau souvenir ?

    Mon plus beau souvenir n’est pas très ancien, mais il est important car il reste très présent. Autrefois, mon père avait fondé un club de football, le MOB (Mouloudia Olympique Bougiote à Béjaïa). Il a été assassiné en 1957 par une jeune recrue du FLN et la ville est restée silencieuse, par peur, peut-être par jalousie. Cinquante ans après, la même équipe m’a demandé de donner le coup d’envoi d’un match. Quand je suis entrée dans le stade, vingt mille jeunes personnes se tenaient debout et scandaient le nom de mon père. C’était incroyable.
    Pour moi, la reconnaissance de tout ce que j’ai fait, de tout ce que j’ai essayé de mettre en œuvre, par mes écrits, par mes actions, mais aussi ma recherche de vérité, de transparence, de pardon, est arrivée dans ce stade. C’est pour cette raison que je peux considérer qu’il s’agit du plus beau souvenir de ma vie.

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