• Mansour Abrous ,Réfexions ouvertes sur l'Art Algérien

    Huile sur toile .Mohamed Aib .Montréal 2011

    MANSOUR ABROUS, ANCIEN ENSEIGNANT À L’ESBA ET DIRECTEUR DE LA CULTURE À CRÉTEIL : «Accompagner le destin de la culture en Algérie» Passionné des arts algériens et sou- cieux de leur devenir, Mansour Abrous, ancien enseignant à l’Ecole supérieure des Beaux-Arts d’Alger et directeur de la culture à la mairie de Créteil, conjugue passion et exigence dans ses travaux, qui portent essentiellement sur les arts algériens. Il est l’auteur de nombreux travaux dont Algérie : Arts plastiques, dictionnaire biographique (1900-2010), Contribution à l’histoire du mouvement étudiant algérien (1962- 1982), Dictionnaire des artistes algériens (1917-2006), l’Annuaire des arts en Algérie (1962-2010) et l’Art en Algérie, répertoire bibliographique (1844-2008).

    Photo :Bounil Mohamed

    Dans cet entretien, il parle de ce travail de recension biographique et bibliographique qui permettra la valorisation du patrimoine artistique algérien, et nous fait part de son regard sur la création artistique en Algérie, un champ où il est encore difficile de déchiffrer les choses tant que la culture n’est pas encore considérée. Il est aussi le fondateur de l’Annuaire des arts en Algérie, une sorte de base de données sur les activités culturelles en Algérie.

    Entretien réalisé par LA TRIBUNE :

    Vous êtes l’auteur de nombreux travaux sur les arts algériens. Votre travail de recension bibliogra- phique et biographique des arts algériens s’inscrit dans la sauvegarde de la mémoire de ses arts.

    Quel est le sens que vous donnez à ce travail ? Est-ce par devoir de mémoire ou encore par volonté de faire connaître les artistes algériens qui, malheureusement, ne sont pas assez médiatisés même si on a de grands artistes ?

    MANSOUR ABROUS : Vous avez de fait répondu à la question. J’entreprends depuis une quinzaine d’années un travail de sauvegarde, je dirai de réconciliation avec la mémoire artistique algérienne, plus particulièrement les arts visuels. L’idée m’en était venue quand j’étais enseignant pédagogue à l’école des Beaux-Arts d’Alger. J’enseignais un cours de psychologie de l’art et j’ai été effrayé – le terme est employé à juste titre – par des étudiants qui faisaient pour certains une post-graduation, eux-mêmes artistes, fréquentant des artistes qui étaient leurs professeurs et dont ils ne connaissaient ni le parcours artistique, ni leur importance au point de vue de leur apport à l’art algérien. Une ignorance troublante. Je m’étais donc juré, intérieurement, de mener un jour un travail qui soit à la fois de sauvegarde, de recension comme vous le disiez, mais surtout de valorisation de l’art algérien. Ce qui me semblait important était de faire la démonstration qu’un pays aussi important que l’Algérie sur le plan de la richesse artistique, de la pratique artistique, complètement effacé à l’international, avait des ressources et des potentia- lités humaines. On parle peu de l’art algérien à l’étranger; le niveau de flux de nos artistes, en termes d’exposition, vers l’étranger, est très faible et il allait de soi qu’il fallait créer des outils, comme un répertoire biogra- phique, qui soit un élément de langage et de communication pour les arts visuels. Ces travaux, que je qualifie d’utilité publique, parce qu’ils permettent la sauvegarde de cette mémoire  artistique, sont également destinés à rendre hommage à tous les artistes – morts ou vivants – et à créer les conditions, à partir de cette base de données, pour donner envie et matière à l’université, aux chercheurs, pour s’emparer, en écritures et en réflexions, de ce patrimoine.

    Le genre biographique est le parent pauvre de la production intellectuelle algérienne, même si on peut citer quelques travaux comme le Dictionnaire des écrivains algériens de Achour Cheurfi, les travaux de Boussad Berrichi sur Mammeri ou bien les travaux de Hamid Nacer-Khodja sur l’œuvre de Sénac, etc.

    Vos travaux sont-ils destinés à tourner le regard vers un genre qui est extrêmement important ?

    Je n’avais pas ces éléments d’analyse; cela dit, ce n’est pas l’aspect «parent pauvre» de la production intellectuelle qui a été déterminant pour mener mes projets. Je vous ai exposé ci-avant les raisons de mon engagement à créer ce type d’outils, de mon investissement intellectuel à me préoccuper de la mémoire artistique. Il est vrai qu’au niveau éditorial en Algérie, il y a très peu de travaux de cette nature, en tous les cas pas assez pour «couvrir» toutes les expressions artistiques et cultu- relles. Je peux comprendre les craintes à s’atteler à de tels projets d’écriture, c’est un travail technique, fastidieux par certains de ses aspects, très compliqué par l’absence en amont de banques de données constituées. Le chercheur est condamné à travailler «sans filet». Le travail est difficile à mener en état en Algérie, car il n’y a pas de tradition de collecte de l’information en Algérie. Par exemple, mon répertoire bibliographique, publié en 2009, m’obligeait, en même temps que je donnais le contenu à mon livre, à créer ma matière d’investigation. Dans un pays à fort potentiel culturel, comme certains pays de la rive nord de la Méditerranée, les bases de données sont disponibles et donnent corps et étaiement pour réaliser un ouvrage. En Algérie, vous confec- tionnez votre ouvrage en même temps que vous architecturez votre base de données. Je pense que le challenge, pour ce type de projet, est à ce niveau- là. Il ne faut pas vous «rater». J’espère que d’autres personnes continueront à travailler dans cette lignée-là, pour fabriquer ces socles essentiels à la fois pour la mémoire et la valorisation de l’art algérien, mais également pour sa survie dans un univers mondialisé où notre pays, sur le plan culturel, aujourd’hui, pèse peu. Ce type d’ouvrage est destiné à la consommation intérieure, bien sûr, mais pas unique- ment, et si l’on fonde une ambition culturelle à l’Algérie, il est nécessaire de mettre en respiration cet art algé- rien extra-muros, d’en porter le savoir-faire. Voilà pourquoi j’ai conçu ces ouvrages. Nous sommes encore très loin de ce qu’on pourrait produire à l’échelle de notre pays, surtout si ces projets d’écriture pouvaient être des projets collectifs, soutenus par la puis- sance publique. Je profite de cette interview pour dire aux artistes et surtout à la nouvelle génération, dès l’entame de leur carrière de penser, de conserver tous les éléments de leur carrière parce que malheureusement, pour certains artistes de l’ancienne génération, quand il a fallu reconsti- tuer leur parcours artistique, cela a été difficile. De ces travaux naîtra sûre- ment l’intérêt pour la recherche, la création. Il ne reste plus qu’à imaginer le «lieu-dépôt» de cette mémoire, un centre de documentation et de recherche dédié aux arts. Vous avez aussi fondé les Annuaires des arts algériens que vous publiez depuis 1998 et là, vous venez d’en publier le dernier numéro.

    Comptez-vous continuer cette entreprise très passionnante qui fait connaître et valoriser l’art algérien seul ou comptez-vous lancer un appel à d’autres personnes ?

      Merci de me rappeler cet annuaire. Tant que Dieu me prêtera vie et tant que les artistes continueront à produire en Algérie, je souhaiterais maintenir en état de veille cet annuaire parce que pour moi, cela procède de la même logique que les travaux biographiques que je publie. Chaque année, le réflexe et l’impératif devoir sont de restituer la richesse de l’expression artistique algérienne. A la fois c’est une richesse artistique que je restitue de la façon la plus littérale, c’est-à- dire je rends compte de l’intégralité des expositions et événements, mais en même temps j’introduis des éléments de langage, une dizaine de pages qui me permettent d’analyser le contexte, une opinion personnelle que j’appelle à discuter parce que l’objectif est de créer un outil qui soit à la fois informatif et collaboratif. Deuxièmement, toujours dans le cas de cet annuaire, mais comme pour les dictionnaires biographiques, c’est un acte de création solitaire, d’une extrême solitude. Il est vrai que j’ai toujours émis le souhait que les auto- rités publiques en Algérie et les universitaires collaborent ensemble pour se donner des moyens et des outils plus performants pour informer et accompagner le destin de la culture en Algérie. Je suis convaincu que demain, pour vaincre ne serait-ce que cet aspect de solitude et puis pour donner plus de force et de corps à nos travaux, nous arriverons à constituer des équipes pluridisciplinaires, porteuses de solidarité et d’intelligence. La culture a été fortement meurtrie ces dernières années par les événements que nous avons tous connus; elle a été aussi meurtrie par un projet de société inhibant, doux euphémisme, pas faci- litateur de l’émergence de la dynamique culturelle. Les artistes n’ont pas encore le souci de s’auto-accompagner dans la valorisation de leur propre expression artistique. Aussi pour toutes ces raisons, il faut multiplier les guetteurs, les accompagnateurs, les facilitateurs de ce destin; et pour cette cause, je revendique plus d’actes collectifs. Il y a autre chose qui exige plus de patience et plus de travail et de réflexion intellectuelle, c’est l’encyclopédie.

    Aura-t-on un jour le bonheur d’avoir une encyclopédie des arts algériens ?

    L’Algérie a-t-elle aujourd’hui les moyens de cette ambition ?

    Il faut donner le temps au temps et de la chair à cette ambition. Il y a beaucoup d’initiatives en Algérie. Ce sont des initiatives, pour l’essentiel, confi- dentielles. La société civile ne les voit pas. L’Etat ne veut pas les voir. Vous savez, les gens les moins visibles sont ceux qui tra- vaillent au corps l’Algérie pour en extraire tout le nectar et le suc possibles. Ils appor- tent une valeur ajoutée. Je ne désespère pas : un, nous avons la logistique pour; deux, nous avons les forces de travail humaines; trois, nous avons tous des ambi- tions fécondes pour notre pays. Il reste à développer les ingrédients de l’intelligence, de l’échange et de la solidarité, parce que nos actes individuels ont leurs limites. Je m’indigne qu’il n’y ait pas plus d’actes citoyens dans le champ culturel et artistique algérien. Et c’est vrai que cette encyclopédie pourrait être la forme la plus aboutie de ce que pourraient être cette recension et cette valorisation du travail artistique algérien. J’ignore ce que seront les facteurs objectifs et subjectifs qui feront le projet «encyclopédie», toutefois il y a déjà aujourd’hui des actes qui y contri- buent très fortement. Les artistes n’ont pas encore le souci de s’auto-accompagner dans la valorisation de leur propre expression artistique. Aussi pour toutes ces raisons, il faut multiplier les guetteurs, les accompagnateurs, les facilitateurs de ce destin; et pour cette cause, je revendique plus d’actes collectifs. Il y a autre chose qui exige plus de patience et plus de travail et de réflexion intellectuelle, c’est l’encyclopédie.

    Quel est votre regard sur la peinture algérienne ?

      Il y a beaucoup de créateurs, malheureusement on ne parle pas assez d’eux. Ce sont toujours les mêmes «stars» qui sont là, il n’y a pas une ouverture pour ses jeune Votre question ouvre une série de ques- tions, mais je vais vite refermer cette série de questions pour répondre à votre question originelle. Effectivement, dans tous les pays culturellement très développés, la culture est un élément de cohésion nationale et un élément de cohésion sociale. En développant la culture, ils ont créé l’architecture du savoir qui accompagne l’émergence de cette dynamique-là. En Algérie, c’est la culture du parti unique, le règne d’une conception unique de la culture en Algérie. Il vrai que l’Algérie officielle n’accompagne que quelques artistes et occulte le reste des artistes. De fait, ces derniers ne sont plus visibles et la traduction nationale et internationale de leur travail est défaillante. L’Algérie a des potentialités très importantes; elle les a intra-muros mais elle les a également à l’extérieur. Alors, il est vrai que les gens qui sont à l’extérieur n’ont pas besoin de l’Algérie officielle pour rayonner. Ils rayonnent grâce à leur talent, leur savoir-faire et leur proximité avec le réseau d’art international. Pour ceux qui sont en Algérie, l’espérance est qu’il n’y ait pas une permanence de l’érosion des talents locaux, grande tradition depuis 1962. Il y a de très jeunes talents qui sont déjà reconnus à l’échelle locale. L’idée est qu’ils s’ouvrent au monde. Pour ce faire, il faut indéniablement l’intervention financière de la puissance publique, mais pas que cela, il s’agit de mettre en ordre de bataille la logistique d’accompagnement : la critique d’art, la médiation des institutions culturelles dépositaires du projet artistique, le mécénat, la recherche universitaire... C’est au prix de tous ces efforts et apports que demain, peut-être, l’ouverture sincère et authentique profitera aux jeunes talents et que l’Algérie s’inventera un avenir.

    A. L

    « Je fais des bulles de savonTrop cogiter peut faire perdre la tete ! »
    Partager via Gmail Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :