• Ibrahim Maalouf

    Portrait d’Ibrahim Maalouf

    Propos recueillis par Mathilde Rouxel

    Fils du trompettiste Nassim Maalouf et neveu de l’écrivain Amin Maalouf, le trompettiste Ibrahim Maalouf a rapidement su se distinguer de ses aînés et s’imposer sur la scène culturelle française et internationale. Né en 1980 à Beyrouth, Ibrahim Maalouf propose une musique métissée, à la rencontre du jazz, de la musique classique, de la musique orientale, du rock et des musiques urbaines. Il a mené de nombreuses collaborations avec des artistes de la scène musicale française et internationale (Matthieu Chédid, Eddy Mitchell, Grand Corps Malade, Vincent Delerm, Selif Keita, Toufic Farroukh, Sting, Marcel Khalifé, etc.) et a produit depuis 2007 onze albums – le douzième, « Levantine Symphony No. 1 » sortira à l’automne 2018. Il travaille également comme arrangeur et comme compositeur de musique de film – il reçoit en 2017 le César de la meilleure musique de film pour Dans les forêts de Sibérie de Safy Nebbou. Ibrahim est aussi un grand défenseur de la pratique de l’improvisation pour laquelle il consacre une bonne partie de son temps.

     

    Quelle a été votre formation ?

    J’ai appris la musique à la maison, puis mon père m’a présenté au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris où j’ai fait mes études. Cela m’a conduit à passer des concours internationaux, par lesquels j’ai commencé à me faire connaître.

    Vous êtes aujourd’hui un musicien très écouté en France et à travers le monde. Quelle a été votre parcours au préalable ?

    J’ai eu un parcours qui pour certains peut paraitre évident mais qui n’a rien d’évident. Mon père m’enseignait la musique arabe quand j’étais tout petit. La musique classique arabe est vraiment ma langue maternelle, musicalement parlant – je chantais du tarab (1). Avec lui, j’ai ensuite commencé à travailler la musique classique, et précisément sur la trompette qu’il avait lui-même étudiée au même Conservatoire de Paris, 30 ans plus tôt. Pendant longtemps, la musique classique européenne a été ma deuxième langue maternelle. Cela a marqué mon parcours jusqu’à ce que je découvre autre chose, durant l’adolescence. Je composais beaucoup, en mêlant mes diverses influences : la musique classique arabe d’un côté, européenne classique de l’autre, et le jazz, que j’écoutais un peu plus tard quand j’avais quinze ou seize ans. J’ai été aussi guidé par le Conservatoire de Paris et les concours internationaux que je préparais, ce qui ne m’empêchait pas de composer déjà de mon côté de la musique aux accents orientaux-pop depuis l’âge de 8 ans. J’ai passé ensuite un Baccalauréat Scientifique spécialité mathématiques. Puis finalement, à un moment donné, tout cela a pris forme. Je me suis trouvé comme un cuisinier ayant durant toute son enfance goûté diverses cuisines et qui un jour crée un plat ou un type de cuisine qui lui ressemble et qui rassemble toutes ces influences.

    Vous menez une carrière très prolifique, qui a beaucoup évolué au fil de vos travaux. Pourriez-vous nous parler de votre musique aujourd’hui ?

    C’est une évolution qui me semble saine et naturelle. Je ne fais jamais deux fois le même album, j’essaie de ne pas raconter toujours la même histoire, ne pas refaire le même film. Certains puristes du jazz me reprochent de toucher aux fondements du jazz. Personnellement, je ne m’attache plus à ces définitions. Si des gens disent de ma musique que c’est du jazz, tant mieux, je n’ai pas de honte, c’est tout à fait valorisant. Mais si certains me refusent cette définition, je n’y vois aucun problème.

    Du coup, je mène de nombreuses collaborations avec des artistes de tous les horizons. Je trouve que plus les artistes avec lesquels je travaille sont éloignés de mon univers, plus c’est inspirant. C’est dans la difficulté de la rencontre de deux univers complètement différents que surgissent les choses les plus intéressantes. Je recherche un peu cette contrainte-là, qui m’oblige à improviser sur de l’imprévu. « Improviser » vient d’ailleurs d’« imprévu » en latin. C’est ce que je trouve le plus excitant dans la créativité de ces rencontres.

    En ce moment, je travaille sur quatre musiques de films. Ce type de collaboration m’enthousiasme beaucoup. J’aime travailler main dans la main avec les réalisateurs, depuis le premier scénario jusqu’au mixage du film – ceux-ci sont ravis, car très souvent les compositeurs n’acceptent pas de travailler comme ça. C’est un processus qu’ils trouvent intéressant, et c’est devenu un peu ma marque de fabrique dans le cinéma. Je me sens plus fiable si je suis à côté du réalisateur, je n’ai pas peur d’improviser, d’inventer, de me tromper. Ma musique est comme une résultante qui n’est pas trop désagréable, et qui suit une recherche qui va souvent, et c’est l’ironie de la chose, d’échec en échec et d’essais ratés en essais ratés !

    Quelle est votre plus belle rencontre artistique ?

    Il y a une artiste, qui était d’ailleurs d’origine libanaise, qui s’appelait Lhasa de Sela, et qui nous a malheureusement quittés il y a quelques années. J’ai travaillé avec elle au tout début alors que j’étais encore tout jeune. Je faisais encore des concours internationaux à cette époque. Elle avait remarqué quelque chose en moi grâce à un autre musicien extraordinaire, Vincent Segal. Travailler avec elle a été un vrai moment de libération artistique. Je pense qu’il s’agit de la plus belle rencontre artistique de ma vie. C’est difficile de dire cela, parce que j’ai fait de magnifiques rencontres tout au long de ma petite carrière, mais celle-ci me touche particulièrement parce que c’était la première, et que c’était une rencontre assez forte. Elle m’a fait confiance alors que personne ne me connaissait vraiment : elle avait viré toute son équipe française sauf moi, qu’elle a emmené avec elle pour l’enregistrement de son album à Montréal. À cette époque-là, je vivais par ailleurs des choses assez fortes. J’étais en pleine préparation de mon dernier concours international de musique classique, c’était une période charnière dans mon rapport à la musique. C’est d’ailleurs avec ses deux musiciens, Alex Mc Mahon et François Lalonde, que j’ai enregistré mon premier album Diasporas. Lhasa fait partie de ces personnes qui ont confiance en toi plus que toi-même et qui savent te mener dans un endroit qu’elles voient mais que tu ne vois pas forcément encore. Elles te guident de manière extrêmement bienveillante vers des chemins qui s’ouvrent à toi.

    En enseignant l’improvisation, j’essaie de suivre son exemple et d’être à la hauteur de tout ce qui m’a été transmis.

    Note :
    (1) Le « tarab » désigne en arabe une « extase poétique ». Type de chant oriental, dans lequel s’étaient spécialisés des chanteurs comme Oum Kalthoum, Mohamed Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez ou Farid El Atrache.

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