• Corps mauresques

    Gilles Boëtsch 

    GILLES BOËTSCH est anthropobiologiste, Dr. au CNRS et Dr de l’UMR 6578 CNRS-Université de la Méditerranée comme du GDR 2322 CNRS « Anthropologie des Représentations du corps ». Ses travaux concernent les constructions bioculturelles des corps, plus particulièrement du corps exotique et du corps obèse ainsi que l’épistémologie de l’anthropologie biologique.gilles.boetsch@medecine.univ-mrs.fr

    La femme mauresque renvoie à un imaginaire de l’ailleurs (Boëtsch & Ferrié, 1993 ; Tharaud, 2003). C’est-à-dire à un monde irréel, essentiellement érotique et féminin, construit par et pour les hommes, visant à édifier une altérité sensuelle et accessible.

    La mise en scène du corps de la femme orientale dans une perspective érotique date de l’école orientaliste du début du XIXe siècle (Thornton, 1993 ; Lemaire, 2000) – inspirée par les contes des Mille et une nuits – qui proposait une initiation à l’Orient par les femmes.

    Les tableaux de Chassériau, Ernst ou Leroy ont montré combien la sensualité de l’Orient était construite (Boëtsch, 2001) et des écrivains comme Flaubert ont évoqué l’érotisme torride des nuits orientales.

    L’introduction de la photographie a permis une massification des images de femmes orientales essentiellement maghrébines et tout un chacun pouvait avoir son harem sagement rangé dans un classeur à une époque où les corps de femmes dévêtus étaient surtout ceux des domaines coloniaux. Les thèmes repris par la photographie rejoignaient ceux de la peinture pour peupler un Orient imaginaire (mais en réalité colonial) de femmes faciles ayant des corps prompts à s’offrir.

    C’est d’ailleurs la caractéristique de ces photographies que de montrer des corps féminins lascifs, dans un monde sans hommes mais pour leurs regards.

    En réalité, ces corps féminins n’étaient pas abandonnés, ni au sens propre, ni au figuré. Ils appartenaient à des femmes vivant dans l’espace très fermé des quartiers réservés (Mathieu & Maury, 2003) voire des bordels de campagne, c’est-à-dire sous haute surveillance.

    Cette mise en scène du corps des « Mauresques » dans l’iconographie coloniale nous étonne encore aujourd’hui. Elle répondait aux phantasmes de l’Occident en matière d’exhibition des corps et de domination sur l’Orient et ses femmes (Saïd, 1978) et leur fausse catégorisation ethnique se veut paradoxalement un gage d’authenticité pour le touriste et le militaire (Alloula, 1981).

    Ainsi, les légendes de ces photographies sont généralement trompeuses (Boëtsch Ferrié, 2001) car elles visaient à faire croire en l’existence d’ « ethnies » au sein des populations algériennes, tunisiennes ou marocaines (berbères, kabyles, femmes du sud...) parmi lesquelles les corps féminins vivraient sans entrave et seraient susceptibles d’être aisément accessibles.

    Il n’en est rien, car il s’agit de corps prostitués offerts à l’appareil du photographe. Celui-ci montrait rarement la vérité factuelle (sauf peut-être Flandrin, photographe de Casablanca autour des années 30, qui localisait ses photographies dans le quartier réservé de Bousbir à Casablanca) pour raconter, à ceux qui les achetaient, en particulier les militaires français, l’histoire imaginaire d’un monde oriental fantasmatique mais qui était réellement celui de la colonisation.

     

    Source :http://www.cairn.info/revue-corps-2006-1-page-83.htm


    « Algérie – Jeune Mauresque », Coll. Idéale PS n˚219, circa1900

    « Les Femmes du Bus 678Adnan Oktar alias Haroun Yahia »
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