• Alger ,Une ville Passionnante .

    Le développement et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960

    Écrit par Georges Mercier. 

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    par Georges Mercier

     

    Cent trente ans de présence française en Algérie ont profondément marqué le pays, ainsi, la petite cité pirate berbéro-ottomane moyenâgeuse devait sortir de ses enceintes dès 1830 sous l'impulsion des Français. Elle devait s'étendre vers l'est et les hauteurs de la baie, vaste amphithéâtre ouvert au levant et à la mer. Le Second empire allait être l'âge d'or de sa métamorphose en osmose avec l'ère moderne et industrielle européenne.

    La République ensuite continuera de bâtir, poussée par une démographie sans cesse croissante, nécessitant de réaliser tout ce qu'une ville jeune et moderne du Xxe siècle devait comporter.

    Alger, jouissant d'un doux climat, devint une ville belle et gaie, active, dotée de tous les bienfaits des nouvelles énergies et technologies.

    Après avoir été au côté de la métropole dans tous les conflits d'Europe et d'Outre-mer, elle fut la « capitale de la France libre » lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis oubliée, meurtrie, humiliée par la lâcheté et la folie des hommes, elle devait être aban­donnée « clés en mains » en 1962 pour un autre destin. Toutefois son domaine bâti et son port resteront les témoignages de l'œuvre française.

     

    De « El Djezaïr à Alger la Blanche »

     

    «...Si Alger nous était conté... », Solin le grammairien latin et géographe du IIIe siècle raconte que Hercule, célèbre héros de la mythologie grecque qui recherchait « les pommes des Hespérides » (îles imaginaires) longeait la baie avec ses vingt compagnons. Or ces derniers, las de ces recherches sans fin, trouvant le site accueillant décidèrent d'y rester pour y fonder une cité, laissant Hercule poursuivre ses voyages.

    Ne pouvant s'accorder sur le nom à donner à la cité, ils l'appelèrent Eikusi signifiant « vingt » en grec, que les Romains latinisèrent ensuite en Ikosium, nom de la colonie que Vespasien fonda (Pline)...

    Selon d'autres sources, Icosium vient du mot phénicien Icos signifiant dans les vieilles langues aryennes « enceinte sur une hauteur ».

    Plus tard, le professeur Cantineau, spécialiste de langues anciennes examina quelques pièces de monnaies antiques découvertes fin XIXe siècle lors de tra­vaux dans le vieux quartier de « La Marine » d'Alger et sur lesquelles il décou­vrit des caractères puniques signifiant Icosim, c'est-à-dire « l'île aux mouettes ». Ce qui peut faire rêver à une cité vieille de 3 000 ans.

     

    alger2-Pierre-Dicosium Pierre d'Icosium
    (cliché Willy Guedj)

    P (UBLIO) SITTIO. M. (ARCI). F (ILIO). QVIR (INA)
    PLOCAMIAN (o) ORDO
    ICOSITANOR (UM) M. (ARCUS) SITTIVS, P (UBLII)
    F (ILIUS) QVIR (INA) CÆCILIANVS
    PRO FILIO PIENTISSIMO
    H (ONORE) R (ECEPTO) I (MPENSAM) R (EMISRR)

    « A Publius Sittius Plocamanius, fils de Marcus de la tribu Quirina
    le Conseil Municipal d'Icosium.
    Marcus Sittius Cǽcilianos, fils de Publius de la tribu Quirina,
    au nom de son fils très cher,
    ayant reçu l'honneur, a assumé la dépense »

     

    D'autre part on découvrit dans les fondations d'un vieil immeuble une ins­cription romaine sur un dé de piedestal (0,65 x 0,32) portant le nom Icositanus signifiant habitant de Icosium. Cette pierre a été encastrée sur un pilier des arcades de la rue Bab-Azoun à l'angle de la rue du Caftan à Alger (1).

    La destruction de Carthage par les Romains ayant entraîné le partage de l'Empire carthaginois entre Rome et les rois de Numidie et de Mauritanie, Rome aurait bien entendu latinisé le nom de la cité. La « pax romana » avait alors assuré la prospérité d'Icosium comme le démontre la découverte de l'épigraphe précitée.

    La cité était dotée de magistrats et de fonctionnaires. Elle s'est aussi trouvée animée par le clergé donatiste (2) dont l'évêque Larentius en 419 et l'évêque Victor en 484 que les Vandales persécutèrent. Le chroniqueur arabe du IXe siècle El-Bekri relève dans la cité les substrats d'une église et d'un théâtre romain.

    La cité romaine devait être anéantie par les invasions vandales et byzantines. Elle tomba alors dans l'oubli du Ve siècle au Xe siècle, ne devenant qu'un lieu de rencontres pour les tribus de l'intérieur du pays, les navigateurs et les mar­chands venant d'Hippone et de Carthage.

    C'est alors que s'y installèrent dès le IXe siècle de l'hégire (Xe siècle de l'ère chré­tienne) les Berbères de la tribu des Beni Mezr'anna dont le chef Bologguin donna à la cité le nom d'« El-Djezaïr Beni Mezr'anna » « les îles des enfants de Mezr'anna » en raison des îlots qui protégeaient la baie en formant d'après El­Bekri « un très bon mouillage ».

    La cité devait se construire à l'intérieur de remparts bâtis à l'aide des matériaux de ruines romaines provenant de la ville de Tamenfus située à l'est. Travaux qui furent achevés par Keir-ed-Din vers 1590.

     

    alger3-dessin-vuedelaMarine-1830

    Alger
    vue de la Marine
    1830

     

    Du Xe siècle au XVIe siècle El-Djezaïr, cité berbère, changera bien souvent de maître et de fortune selon la « course » qui s'y pratiquait depuis le XIIIeFernand Braudel (3) écrit que « la piraterie en Méditerranée est aussi vieille que l'his­toire. Elle est chez Boccace, elle sera chez Cervantès, mais elle était déjà chez Homère ». Vers la fin du XVe siècle la chute de Grenade (1492) provoqua l'exode de milliers d'Andalous musulmans, emmenant avec eux leur culture et traditions vers les principales villes du Maghreb. Les récits d'un des plus illustres d'entre eux, Léon l'Africain, feront référence. Ce dernier visita plusieurs fois El-Djezaïr entre 1510 et 1518 lors de ses voyages de Fez à Tunis (4). siècle.

    Il décrira les monuments et constructions de la ville, ses « souks » et ses « fon­douks », et dénombrera environ quatre mille feux groupés à flanc de colline « à l'intérieur d'une enceinte en grosses pierres ».

    Des récits encore plus marquants d'anciens captifs racontent leurs mésaventure chez les barbaresques.

    Citons d'abord Diego de Haedo (5), abbé de Fromesta, qui fit paraître son ouvrage à Valladolid (Espagne) en 1612. Sa captivité avait duré de 1578 à 1581. Peut-on imaginer qu'il ait connu au bagne Cervantès, le célèbre auteur de Don Quichotte, qui fut lui aussi captif des pirates barbaresques de septembre 1575 au début de 1580 et qui écrivait un autre ouvrage La vie à Alger ?

    L'évêque Jean-Baptiste Grammage, capturé en 1619, écrira deux récits de sa mésaventure, le second portera surtout sur les constructions principales de la cité.

    Un autre captif, Mascorennas qui y séjournera de 1621 à 1626 décrira la régen­ce turque, ses rues et leur surveillance de jour comme de nuit.

    Les mémoires du père Pierre Dan, supérieur de l'Ordre de la Trinité et de la Rédemption attaché au rachat des captifs, parues en 1637, seront aussi de bonnes descriptions de la cité sur le plan architectural.

    D'autres encore complèteront ces témoignages comme le médecin hollandais Olfert Dapper qui publia ses récits en 1668, Jean-André Peyssonnel (1694-1759), l'anglais Thomas Shaw professeur à Oxford en 1710-1732 ou encore René Louiche Desfontaines (1750-1833) membre de l'Académie des sciences. Jean-Michel Venture de Paradis (1739-1799) s'attachera particulièrement à décrire les grandes demeures et maisons à patios de la cité.

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    Alger - vue de la villa du raïs Hamidou,
    futur emplacement de l'ensemble immobilier
    Diar-el-Mahçoul

     

     

    Toutefois il n'existe ni dessin ni peinture de l'époque berbéro-ottomane de par l'interdiction qui est faite par le Coran de telles représentations.

    Ainsi, la cité d'El-Djezaïr sera assez bien connue quand la France prendra pied au Maghreb en 1830. Les armées seront accompagnées de nombreux artistes et scientifiques, archéologues, architectes, peintres et dessinateurs, corps des « peintres officiels de la marine », écrivains, géologues, pépiniéristes et botanistes, un organisme le « Dépôt de la guerre » est créé. Ces talents qui accepteront l'aventure rapporteront de précieux témoignages de l'époque. En février 1835 le maréchal Clauzel créera le musée lapidaire, en 1837 la « commission scienti­fique de l'Algérie » afin de déployer des champs d'investigations du pays dans tous les domaines, et la bibliothèque dirigée par M. Adrien Berbrügger. Ainsi de très nombreux relevés architecturaux et archéologiques de grande valeur seront exécutés par les architectes Amable Ravoisié et Adolphe Delamare. Plus tard Stéphane Gsell, chargé de cours à l'école des lettres d'Alger, publiera son Exploration scientifique de l'Algérie.

    Amable Ravoisié utilisera le daguerréotype (6). Ce procédé sera largement employé plus tard lors du voyage de Napoléon III en Algérie.

    Dès 1838 Adolphe Otth publiera quelques lithographies et Adrien Berbrügger regroupera plusieurs croquis d'édifices. L'attrait d'un certain orientalisme va attirer des hommes de lettres, des peintres ou des musiciens parmi lesquels Théophile Gautier, Alexandre Dumas, les frères Edmond et Jules de Goncourt, Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, Théodore Chasseriau, Isabelle Eberhardt, Pierre Loti... L'influence de ces personnages déjà célèbres contribuera à attirer bien des aventureux, et suscitera l'implantation des colons. Mais pour eux, rien ne sera facile.

     

    L'occupation et les premières explorations

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    Jean-Jacques Germain Pelet

    La prise d'Alger fut accompagnée d'une entreprise de propagande par l'image. Depuis le XVIe siècle, c'était la coutume de représenter les hauts faits militaires à la gloire du roi mais ce qui est nouveau, c'est la représentation de l'adversaire et le ter­ritoire de la conquête. C'est ainsi que des témoignages visuels, pris sur le vif, des villes occupées et des combats menés par l'armée française ont été réalisés, essentielle­ment entre 1830 et 1837 et poursuivis jusqu'en 1857 sous la responsabilité du général baron Pelet, directeur du Dépôt de la Guerre. Les dessins et les croquis des mili­taires, s'ils représentaient surtout des batailles, mention­naient aussi les monuments et les vestiges romains. Ces dessins, pour la plupart peu connus, sont conservés dans la collection du ministère de la Défense. Ils étaient le plus souvent accompagnés de descriptions et de mémoires, et servaient de documents de base pour les artistes chargés de les finir à l'aquarelle dans les ateliers du Dépôt de la Guerre.

     

    Clichés sur El-Djezaïr en 1830

     

    La baie d'Alger est un vaste amphithéâtre naturel face à la mer et au levant, offrant un saisissant et permanent spectacle du Cap Matifou à la Pointe Pescade. En 1830 la cité berbero-ottomane n'occupait que l'ouest de la baie, et son front de mer ne faisait tout juste qu'un kilomètre.

    La création des peintres officiels de la Marine et du « dépôt de la guerre » (la photo n'existant pas encore) devait laisser des témoignages précieux (7).

    La Casbah s'accrochait sur les hauteurs en une masse compacte descendant vers la mer jusqu'aux falaises dominant la darse barbaresque qui allait très vite se révéler insuffisante pour les navires de la « Royale ». Aussi dès 1830 devint-il urgent de procéder à des aménagements. L'ingénieur Noël, détaché de Toulon, fut chargé d'améliorer la jetée Keir-ed-Din (8) sur laquelle allait être bâtie la rampe de l'Amirauté, et plus tard la gare maritime sur le môle El-Djefna dont la réalisation fut l'oeuvre de l'architecte Petit. Après la terrible tem­pête de 1835, ces travaux portuaires seront poursuivis par les ingénieurs Poirel, Raffeneau de Lisle, Bernard et Liénonn afin de développer le trafic maritime du port.

    La cité basse du quartier de « La Marine» recevait un afflux de peuplement sans cesse croissant se concentrant dès 1831 autour des consulats et des anciennes administrations ottomanes de ce quartier.

    S'y trouvaient notamment les belles demeures de ces dignitaires et hauts fonc­tionnaires que l'administration française avait remplacés.

    Ces demeures étaient en général caractérisées de patios entourés de galeries à deux ou trois niveaux sur colonnes de marbre ou de bois. Conception faite pour une vie intérieure intime et fraîche autour d'une fontaine destinée aux ablu­tions. Il n'est pas douteux que ce type d'architecture, adapté au climat et au mode de la vie orientale, allait séduire plus d'un nouvel occupant. Quelques-unes de ces demeures comme Dar Ariza Bey qui devaient être attribuées à l'Archevêché, Dar Es Souf, Dar Assan Pacha, Dar Mustapha Pacha qui devint la Bibliothèque nationale, Dar El Hava ou encore les Palais du Bastion 23. Bien d'autres demeures magnifiques appelées « fahs » se trouvaient dans la campagne environnante, en dehors de la Casbah, du quartier de La Marine et de la Jenina (jardins du Dey). Ces belles demeures se trouvaient en général au milieu de jardins arborés.

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    Le môle et le port d'Alger

     

    La Marine, quartier résidentiel, ne manquait pas d'édifices du culte musulman comme la « Grande mosquée » « Djemaâ el-Kebir », dont la construction remonte au XIe siècle et la mosquée neuve El-Djedid au XIVe siècle. Ces édifices du culte musulman seront épargnés des restructurations qui allaient être le départ de l'expansion future et inévitable de la cité. Rue des Consuls au quar­tier de La Marine se trouvait aussi la mosquée El-Kechach de style berbère. Dès 1831 elle fut occupée par un dépôt de l'armée avant de devenir un hôpital mili­taire. Elle devint finalement l'école *des Beaux-Arts sections architecture, dessin, céramique, modelage, sculpture, céramique(9).

    Proche de cette mosquée se trouvait la célèbre « rue Socgemah » dont le nom n'est que la contraction de « Souk el Djemaâ » c'est-à-dire, le marché du ven­dredi. Dans cette rue devait être installée en 1839 la première mairie dans la très luxueuse demeure Dar-Bakri.

    La cité et les « fahs » des environs étaient alimentées en eau par des aqueducs et de nombreux puits (10) et galeries de captage des eaux souterraines. Nombre de ces aménagements dataient d'ailleurs de l'époque romaine dont la majeure partie avait été remise en état par les « Andalous » installés en El-Djezaïr après la « reconquista ». D'ailleurs les hauteurs d'El-Biar (ce nom signifiant « les puits »)(11) révèlaient d'ingénieux captages des eaux tout comme la localité de Bir-Traryah signifiant « puits de fraîcheur » et son aqueduc destiné aux cultures maraîchères alimentant la cité. L'abondance du débit de cette adduction devait inciter le baron Pichon, dès 1832, à promouvoir la « Pépinière centrale » qu'Auguste Marty devait plus tard transformer en « Jardin d'Essai », dont la configuration définitive intervint bien plus tard encore en 1920 sur les dessins des architectes Regnier et Guion.

    Dès 1832, alors même que le pays était loin d'être pacifié, les initiatives d'équipements et de restructurations de la ville étaient engagées comme par exemple le tracé des « Tournants Rovigo » et des rampes « Valée » qui emprun­taient en grande partie une ancienne voie romaine. Par la même occasion, furent créés des îlots de verdure comme le jardin Marengo, créé en 1833, avec son petit kiosque de la Reine. Au dessus de ce jardin et le long des remparts nord sera créé le boulevard de Verdun dont les escaliers donnaient accès à la rue des Victoires.

    Si, en ces toutes premières années, les ingénieurs Poirel et autres s'affairaient aux transformations du port, les généraux Clauzel et Berthezène devaient faire entreprendre en urgence les premières restructurations de la cité.

    En effet il n'existait en 1832 aucun espace suffisant pour le rassemblement des troupes en cas d'urgence ou pour organiser les diverses manifestations. Aussi fut-il décidé de créer une « place d'Armes ». Ce sera la « place Royale » avant de devenir la « place du Gouvernement » en 1848 avec la statue du duc d'Orléans (12), œuvre du sculpteur Marochetti, fondue par Sauer, dont les huit tonnes nécessiteront en sous-sol un énorme pilier de 20 m de profondeur.

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    La Mosquée Neuve (Djemaâ el Djedid)
    et la Grande Mosquée (Djemaâ el Kébir)

     

     

    Toutefois la réalisation de la « place d'Armes » entraînera bien des démolitions dans la basse Casbah. Pierre Auguste Guiauchain, architecte formé à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, sera désigné pour ces travaux avec le titre d'« architecte des bâtiments civils » (quelle exaltation et quel bonheur pour un architecte de recevoir une telle mission sur un tel programme!). Guiauchain recevait également la mission de restaurer la mosquée de la Pêcherie, Djemaa el-Djedid dont le chantier devait durer jusqu'en 1839, y compris les escaliers la reliant au plan supérieur où se trouve la statue équestre (13).

    L'administration se mettait en place dans l'objectif de restaurer la cité et le pays. Aussi, par décision ministérielle des 25 mars et 5 août 1843, était créé le Service des bâtiments civils et de la voierie dont M. Guiauchain reçut le titre d'« architecte en chef ». Il sera secondé par son confrère Auber et Charles Tixier, autre confrère désigné au poste d'inspecteur des travaux. Toutes ces disposi­tions démontraient l'intérêt que l'administration portait au développement de la ville ainsi qu'au patrimoine du pays. Et d'ailleurs de la Société des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts créée en 1848, allait naître un grand mouvement artistique qui animera plus tard la société algéroise. L'aménagement de la « place Royale » nécessitera les démolitions des mosquées Es-Sida et AI-Chaouch, de l'ancien arsenal ottoman, des marchés Souk al-Djedid, Dar al­Sekka, etc.

    La mosquée de la « Pêcherie » sera rénovée par Guiauchain ainsi que l'ancien marché aux captifs et esclaves de l'époque ottomane.

    La « place Royale » ou future place du Gouvernement allait devenir le premier coeur de ville. Il connaîtra, outre les célébrations annuelles de la Fête-Dieu des 14 juin, le banquet civique de 1848 après l'abdication de Louis-Philippe, la proclamation de l'Empire en 1852, la célébration du retour des troupes de la guer­re de Crimée en 1855, le retour des Zouaves de la Grande Guerre en 1919, etc. L'espace ainsi créé était délimité au nord par le « café d'Apollon », datant de 1838, haut-lieu de l'intelligentsia, la librairie Jourdan, la maison de la Tour du Pin avec ses belles boutiques à rez-de-chaussée et « l'hôtel de la Régence » en étages.

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    La place d'Alger
    (place du gouvernement)
    le marché et la Djenina

     

    Côté ouest, c'était le départ des rues montantes vers la vieille ville et les empla­cements des « corricolos » précurseurs des transports en commun des tramways algérois et des Chemins de fer sur routes de l'Algérie. Ces derniers étaient en fait des voitures hippomobiles pour quatre ou six personnes, à deux ou quatre chevaux conduits par un cocher.

    Au sud, il y avait le « café de Bordeaux » et la maison Lesca dont l'étage accueillait le « Cercle d'Alger » où se réunissait le gratin administratif, indus­triel, commerçant et financier. Au nord-est, il y avait la balustrade de la place dominant la mosquée de la Pêcherie et ses escaliers.

    En ces premières années, la ville nouvelle n'était constituée que du quartier de La Marine entre le boulevard Amiral-Pierre, la rue des Consuls, la rue Bab-el-Oued, la rue Vollard, l'ancienne ville et la Médina, ville essentiellement berbé­ro-arabo-israëlite, et enfin le troisième espace de la basse ville en pleine restruc­turation de la place Royale, quartier franco-européen qui ne pouvait se déve­lopper que vers l'est et partiellement vers l'ouest.

    Il fut donc décidé de reculer l'enceinte de la ville, tâche qui fut confiée au géné­ral Charras. Ce dernier commença donc par détruire les anciens remparts turcs côté mer qui devenaient inutiles, ainsi que les pittoresques portes d'Azoun et de l'oued. Ensuite le général fit ouvrir et percer en pleine Médina trois rues : la rue de La Lyre, la rue et la place Randon, et le boulevard du Centaure qui deviendra plus tard le boulevard Gambetta avec ses escaliers. Les deux pre­mières rues furent destinées au commerce avec de nombreux magasins et échoppes, des places de marchés où se mêleront berbères, arabes et une forte communauté israélite.

    Pour clore cette première partie sur la première décennie de la présence fran­çaise en El-Djezaïr, le nom d'« ALGÉRIE » avait été parfois employé lors de dis­cussions diplomatiques. Ce n'est que dans la correspondance du 29 décembre 1837 du général Valée que la désignation du pays par « ALGÉRIE » fut employée. Il sera dès lors utilisé dans les discussions parlementaires, mais sera définitivement ordonné par le général Schneider, ministre d'Etat à la guerre, au maréchal Valée le 14 octobre 1839 en ces termes: « le pays occupé par les Français dans le nord de l'Afrique sera à l'avenir désigné sous le nom d'ALGÉRIE... ».

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    La porte Bab-Azoun

     

    In « L'Algérianiste » n°127

     

    La métamorphose

     

    La France avait donc pris pied sur El Djezaïr « la barbaresque » depuis une décade et demie. A n'en pas douter les aménagements du port et du quartier de la marine en basse Casbah formaient l'embryon d'un développement qui allait accélérer par nécessité tant vers l'est que vers l'ouest.

    En effet, accrochée à la colline et emmurée depuis des siècles, la Casbah ne pouvait s'adapter à une société moderne à l'européenne.

    La ville indigène n'était qu'un labyrinthe de ruelles tortueuses et étroites toutes en pentes et en escaliers que seuls les piétons et les petits ânes « de service » pouvaient emprunter.

    D'ailleurs deux siècles après, elle demeure toujours dans son état typiquement pittoresque.

    Si le règne de Louis-Philippe fut relativement court, un « plan général d'alignement » avait été partiellement adopté le 10 décembre 1846.

    Ce plan manquera toutefois d'ambition car il se limitait aux tra­cés des « nouveaux remparts » prévus par le général Charras. Une première extension vers l'est à partir de la « place Royale » devait ouvrir des rues commerçantes et des places de marchés comme la place de Chartres et la place du Soudan.

    La Djenina avait été partiellement ravagée par un incendie en 1844. Aussi décida-t-on d'y faire une trouée pour y créer une rue commerçante sous arcades qui reçut le nom devenu célèbre de « rue Bab-Azoun ».

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    Les trois horloges
    (extrait de Alger de ma jeunesse 1945-1962,
    de Jean-Charles Humbert, éd. Gandini)

     

    Les chantiers ne cessaient de s'activer. Le baron Baude écrira que les travaux s'effectuaient « dans une poussière suffocante qui obscurcissait les rues ».

    Rien ne pouvait être laissé en attente, et il fallait bien nettoyer ou remplacer les anciennes canalisations d'eau en terre par de la fonte. On en profitera pour implanter un sérieux réseau d'égouts. M. Guiauchain architecte des bâtiments civils et le baron Voirol vont décider d'imposer une unité architecturale par une rédac­tion précise des règlements de voirie édictés par l'Intendant civil (1.1). Et c'est ainsi que les nouveaux immeubles allaient être pour­vus au rez-de-chaussée de galeries « à couvert » avec arcades en façade sur chaussées. Directives destinées à abriter le public et permettre l'installation de commerces pour faire vivre la ville, tout en assurant le brassage de la popula­tion. Les premiers éclairages publics par lampadaires à huile apparurent en 1846 sur la place Royale (1.2) système Bardet et Marcet. Ils seront remplacés six ans plus tard par les fameux « bec de gaz » et en février 1852 la rue de La Marine en fut la première pourvue. On allait très vite !

    La grosse activité de la construction avait remis en exploitation une ancienne carrière turque qui entamait au nord-ouest la colline de la Bouzaréah. Prenant le nom de son propriétaire la « carrière Jaubert » fournissait une pierre dure appelée « pierre bleue » en raison de sa teinte. Aux yeux du public elle était une garantie de solidité et de sécurité.

    Tout immigrant y trouvait un travail immédiat. Ces derniers, en majorité espagnole de la région de Valence ou de l'île de Mahon devaient donner lieu à un nouveau quartier cosmopolite de Bab-el-Oued auquel on prêtera le nom de « La Gantera » (la carrière) ou encore « la Basseta » (la partie basse de la ville). Les hommes travaillaient à la carrière ou au port, et les femmes trouvaient facilement à se faire embaucher chez « Bastos » ou « Job » comme cigarières. Ce quartier allait plus tard au XXe siècle donner une dimension méditerranéenne vivante et colorée d'Alger avec ses odeurs de cuisine, de café, de kémia, d'anisette et de « brochettes à toute heure ». Tout un petit monde dur à la besogne et fier, composé d'un mélange de Français au patois provençal, de Valenciens, d'Italiens, de Maltais et d'Arabes. Chacun ayant apporté ses expressions, les us et coutumes de ses origines, ses règles de l'honneur, et tout cela dans une joie de vivre ensemble dans ce quartier. Ce petit monde donnera lieu à un langage imagé et truculent « le pataouète » qui inspirera plus tard Gabriel Robinet alias « Musette » pour son personnage « Cagayous », ainsi qu'Edmond Brua qui écrira « La parodie du Cid », et enfin la « Famille Hernandez » de Geneviève Baylac dans les dernières années de l'Algérie Française.

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    Vue panoramique boulevard Carnot, rampe Magenta, gare CFA et maritime
    (extrait de Alger de ma jeunesse 1945-1962,
    de Jean-Charles Humbert, éd. Gandini)

     

    Ce quartier devait aussi inspirer les croquis de Charles Brouty et de l'humoriste-dessinateur Assus, et d'autres peintres ou romanciers. Le n° 82 de l'algérianiste a publié un texte de Marcel Laffont sur « Musette et ses héros ». Bab­-el-Oued qui s'étendait donc au nord-ouest du boulevard de Verdun (anciens remparts) était desservi par les rampes Valée, l'avenue de la Bouzaréah et l'avenue Malakoff, puis le boulevard de Champagne qui allait desservir l'hôpital Maillot (militaire). Encore plus loin c'était les cimetières et en continuant la commune de Saint-Eugène.

    En métropole cependant, les évènements se précipitaient avec la révolution de 1848 et l'abdication de Louis-Philippe. Ces événements devaient entraîner une émigration de peuplement vers l'Algérie, « terre promise » pour de nombreux miséreux et révoltés (1.3).

    Louis-Napoléon Bonaparte élu à la présidence de la République le 10 décembre 1848 proclamera l'Empire le 2 décembre 1852.

    Tout devait s'accélérer à Alger. Le Second Empire allait insuffler un nouvel essor à la ville, bien que le pays fût encore loin d'être pacifié.

    Toutefois le patrimoine berbéro-ottoman de la ville n'avait pas du tout échap­pé aux autorités. De sorte que sera créée une « Inspection générale des monu­ments historiques » sous la houlette du maréchal Randon (1.4).

    L'ère économique et industrielle qui se développait en Europe devait franchir la Méditerranée. La ville de Dakar avait été fondée en 1854 et dans le cadre de l'ère coloniale anglo-française on parlait de plus en plus du percement du canal de Suez aux perspectives économiques prometteuses. Le maréchal Randon se rendit en 1856 à Paris auprès de Napoléon III afin d'accélérer l'essor du pays, d'autant plus que les ambitions et les volontés d'entreprendre ne manquaient pas. Par exemple, et déjà à cette époque, une société de lettres et des Beaux Arts créée en 1848 avait l'ambition de devenir une « académie ». Côté médecine et chirurgie l'hôpital civil de Mustapha avait tout juste un an et l'on y préparait la création officielle de « l’École supérieure de médecine » dont la rentrée solen­nelle aura lieu le 10 novembre 1859.

    En économie et commerce le trafic portuaire était en pleine croissance (1.5). Il fal­lait encore d'autre part la développer pour assurer la liaison avec les autres ports de la côte algérienne et constituer les débouchés de l'arrière-pays. La construction d'une gare sur les quais du port s'imposait et les premiers travaux de terrassement de la voie de chemin de fer Alger-Blida débutaient en 1858. La ligne sera inaugurée dans un climat enthousiaste le 15 août 1862 par le maréchal Pélissier, duc de Malakoff et ministre de l'Algérie. Ce qui permit à Théophile Gautier une belle description de ces réjouissances.

    La gare du port d'Alger sera presque achevée en 1865. Ces travaux devront se poursuivre après la chute du Second Empire de 1870 à 1914. Interrompus pen­dant la Grande Guerre, ils reprirent en 1922 avec la construction de l'avant-port et des deux bassins du Hamma et de Mustapha.

    Mais revenons aux projets de 1858.

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    Construction du boulevard de l'Impératrice

     

    On parlait beaucoup à Alger d'une prochaine visite de Napoléon III. Aussi deux études d'un développement du port et de la ville furent élaborées en 1858. L'une par les architectes Vigouroux et Caillot, et l'autre par un cousin ger­main du peintre orientaliste Théodore, Charles-Henri-Frédéric Chassériau. Ce dernier nommera respectueusement son projet «Napoléon-Ville» qu'il signera toutefois sous sa qualité d'ex-directeur des travaux publics de la ville de Marseille. La ville ancienne étant respectée. Le projet était ambitieux car il ouvrait de larges voies et boulevards bordés d'immeubles d'inspiration et de style très haussmannien.

    Chassériau écrira « Pour nous il nous faut de l'air et du soleil, des boulevards plan­tés d'arbres et des rues à galeries couvertes ». On croit à une description d'une rue de Paris comme la rue de Rivoli.

    Le décret du 12 mai 1860 devait ordonner l'exécution du projet. La ville fut autorisée à traiter « l'assiette » des boulevards et ses soutènements à arcades avec une entreprise anglaise dirigée par Sir Morton Peto après adju­dication. Les travaux seront exécutés sous la direction du Génie et sous contrô­le des Ponts et Chaussées.

    La « première pierre » bénie par Mgr Pavy, évêque d'Alger, sera posée par l'Impératrice Eugénie le 19 septembre 1860, et le boulevard du front de mer prit le nom officiel de Boulevard de l'Impératrice.

    Après la chute du Second Empire il sera débaptisé pour devenir le « boulevard de la République » et sera prolongé par le boulevard Carnot. Napoléon III devait revenir en 1865 et aura l'occasion de voir l'achèvement des travaux sur plus d'un kilomètre et demi. Le boulevard était relié au port et à la gare par des rampes et escaliers. Les emplacements de deux ascenseurs étaient prévus.

    Depuis la mer, « Alger la Blanche » avait désormais son aspect définitif.

    Ces travaux furent une totale réussite compte tenu d'une dénivellation de plus de 20 m (1.6) par rapport aux quais. Le boulevard était non seulement une voie majeure de front de mer, mais l'architecte l'avait bâtie en créant sous cette voie d'immenses entrepôts et magasins pour les compagnies maritimes et les com­merces divers qui s'ouvraient face au port et sur le large. De plus les liaisons étaient directes avec les voies de chemin de fer. Les rampes (Chasseloup-Laubat et Magenta) construites en liaison avec le port n'avaient qu'une faible pente à 3% propre à être empruntées par les véhicules hippomobiles. Elles seront achevées en 1864 et 1866.

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    Boulevard de la République au départ de l'ancien square Bresson
    (extrait de Alger de ma jeunesse 1945-1962, de Jean-Charles Humbert, éd. Gandini)

     

    Le « front de mer » restera dans bien des mémoires comme un superbe balcon face au Levant, la mer et au permanent spectacle du port.

    Si le projet de Chassériau était passé à exécution en 1860, on n'en retint pas moins les idées des projets concurrents de Mac Carthy-Genevey et de Vigiuroux-Caillot.

    Ces projets tenaient compte de l'accroissement de la population européenne. Cette dernière allait d'ailleurs prendre de l'ampleur avec la crise du phylloxé­ra en métropole qui poussait de nombreux viticulteurs vers l'Algérie où les vignobles étaient composés de « plans américains ». Cette émigration devait encore s'intensifier après la chute du Second Empire en 1871 et la naissance de la Ille République, avec les Alsaciens-Lorrains désireux de venir en Algérie se refaire une vie en restant Français (1.7).

    Tout allait très vite. Le premier tramway était inauguré en 1876 et le plan Freyssinet devait accroître le réseau ferré alors que la Chambre de commerce prenait en main l'équipement du port.

    Vers 1875 la ville comptait déjà 75 000 habitants et il était urgent de réserver des emplacements privilégiés pour les édifices de premier ordre, qu'ils soient administratifs, civils, commerciaux ou universitaires. L'emballement de la construction sous le Second Empire avait grandement été inspiré par le style haussmannien qui transformait Paris à cette époque, au point que dans certains quartiers on aurait pu se croire à Paris.

    Cet élan sera encore accéléré avec la révolution industrielle et économique de l'Europe, mais aussi par les perspectives commerciales qu'allait offrir la récen­te ouverture du canal de Suez, inauguré en 1869. En effet la mer Méditerranée n'allait plus être une mer fermée. Alger, Philippeville et autres villes allaient être des étapes de mi-parcours pour tous trafics commerciaux et militaires. De sorte que sur la fin du XIXe siècle, l'Algérie recevait une immigration de plus en plus qualifiée et motivée.

    Un engouement « d'orientalisme » était même observé chez certaines person­nalités du monde littéraire, musical et journalistique. Et Victor Hugo en avait déjà produit un avant-goût avec ses « Orientales » en 1829. Le peintre et écrivain Fromentin qui avait séjourné en Algérie de 1852 à 1853 en produisant quelques œuvres. Même Jules Verne visitera le pays en 1878 et 1884. D'autres écrivains de renom furent aussi séduits par le charme du pays comme Flaubert, A. Daudet, Maupassant etc, et plus tard (1.8) Pierre Loti. Cette séduction orienta­liste devait également gagner des musiciens de talent tel que Camille Saint-Saëns qui s'attacha au pays et mourut à l'hôtel de l'Oasis (square Bresson) en 1921. Le boulevard « Bon accueil » prit son nom après sa mort (1.9).

    D'autre part la luminosité et l'atmosphère limpide des paysages devaient séduire beaucoup d'artistes peintres, lithographes et dessinateurs comme Delacroix, Fromentin, Th. Chassériau, E. Guillaumet, E. Deshayes, E. Dinet, P. Lazerges, Horace Vernet, Etienne Billet et bien d'autres. Ces artistes nous laisseront des témoignages merveilleux de cette époque qu'il est toujours doux de parcourir en feuilletant de beaux albums (1.10).

    Certaines familles illustres s'installèrent à Alger, telle la famille Lung, dans un immeuble du square Bresson près de l'Opéra et du grand café le Tontonville.

    De l'autre côté de l'entrée et sur l'axe du square se trouvait la place de la République et surtout l'Opéra municipal d'Alger inauguré en 1853, incendié vingt ans après, reconstruit à l'identique pour l'extérieur.

    A citer également M. Laperlier, célèbre collectionneur qui livra au Louvre une grande partie de sa collection et qui prit sa retraite à Alger en laissant son nom à une voie montant d'Alger à El-Biar.

    Le courant « orientaliste » avait été grandement influencé par les précieux rele­vés d'architecture et éléments décoratifs de l'art berbéro-turc exécutés par le « corps des monuments historiques » dont les chefs de file furent Bonnaventure, Amable Ravoisié et son confrère architecte et successeur Pierre Auguste Guiauchain, ainsi qu'Edmond Duthoit qui organisa de nombreuses expositions tant à Paris qu'à Alger, et enfin Albert Ballu architecte qui poursuivra cette mis­sion en 1889 aux « monuments historiques ».

    Le patrimoine de l'Algérie allait être en grande partie sauvegardé. Certains particuliers avaient même pris des initiatives de construire en adoptant un style oriental comme la famille Tabet-Cohen qui avait fait bâtir le « Palais Oriental » de 1857 à 1864 dans un style néo-mauresque au 46 de la rue Marengo ou au 16 de la Rampe Valée.

    Dans le cadre de la politique coloniale de la France de cette époque l'art mau­resque ou musulman sera exprimé lors des « expos » de 1885 et 1886 à Paris au « Grand Palais », puis en 1900 et 1906 à Marseille.

    Reconnaissons toutefois que ces louables efforts de représentation de l'art mau­resque resteront sans grand effet dans une métropole et une Europe qui s'ouvraient à de nouveaux matériaux (verre, métal) entraînant des formes nou­velles d'expressions architecturales et industrielles animées par de nouvelles énergies (vapeur, électricité) le béton n'apparaîtra qu'à l'exposition de 1900.

    Toutefois en cette fin du XIXe siècle un engouement local du style « mauresque » devait gagner une petite communauté britannique que l'on nomma vite les « hiverneurs » (1.11). Installés à Alger pour la douceur de son climat propre à soi­gner quelques tuberculoses pulmonaires, terrible maladie de cette époque, ces familles anglaises de condition aisée s'y étaient fermement établies. Elles avaient même leur clinique le « British Cottage hospital » et leur cimetière au boulevard Bru ainsi que leur lieu de culte aux abords du Palais d'Été. Cette communauté avait aussi un hebdomadaire : The Algerian Avertiser. Le bon goût anglais de l'habitat devait conduire à la révélation d'un style qui allait incon­testablement marquer Alger et ses environs. Installée à Mustapha Supérieur, entre le Palais d’Été et les hauteurs de la ville, cette communauté avait été séduite non seulement par le site mais aussi par l'architecture néo-mauresque que l'architecte Georges-Adrien Auguste Guiauchain avait créée sur les côteaux de Mustapha et à El-Biar pour certains hiverneurs, comme la belle demeure de John Bell, le Palais de Mustapha Raïs qu'il avait restauré de belle façon. Guiauchain réalisera aussi de 1887 à 1889 un orphelinat pour jeunes filles sur les restes d'une résidence turque que son fils Jacques devait d'ailleurs transformer plus tard en 1927 en « hôtel Saint-George »...

    Les Britanniques devaient alors faire venir d'Angleterre un architecte de talent, Sir Bucknall qui, effectivement, fut séduit par ce style qu'il adapta au mode de vie de ses commanditaires fortunés. Aussi en cette fin XIXe siècle Mustapha Supérieur était devenu un immense jardin parsemé de somptueuses villas telles que les villas Arthur, Marèse, celle du riche américain Macklay, celle de Savorgnan de Brazza ou encore la superbe villa Montfield au dessus de la villa des Glycines au chemin Beaurepaire à El-Biar.

    A citer aussi à El-Biar la « Villa des Oliviers » où résidèrent les plus grandes personnalités pendant la seconde guerre mondiale.

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    Le consulat d'Angleterre et l'église anglicane (coll. S Dubuisson)

     

    Sir Bucknall joua si bien de ce style qu'il y laissa sa marque pour de nombreuses réalisations, et un charmant chemin ombragé à El-Biar qui portera son nom. Bien des couples d'amoureux s'en souviendront.

    L'entreprise Vidal et ses descendants pratiqueront ce style avec bonheur, ainsi que quelques architectes algérois.

    En cette fin du XIXe siècle l'urbanisation de la ville devenait préoccupante au plus haut point. Les municipalités successives n'avaient cessé de réclamer la cession de terrains du domaine militaire sans grand résultat. Aussi las d'attendre le député Paul Bert, s'appuyant sur la loi du 20 décembre 1879 concernant l'enseignement supérieur réussit à faire adopter le choix du « champ de navets » pour construire l'Université que l'on projetait depuis des années. Il s'agissait d'un terrain très en pente sous le « chemin » du Télemny (ancien aqueduc qui servait au maraîchage). Plans et chantier furent ordonnés. Il en sortit un énorme bâtiment de style néo-classique de 120 m de long par 12 m de large avec quatre ailes perpendiculaires de 32 sur 9. Inauguré le 13 avril 1887 par le gouverneur Tirman, il regroupait médecine et recherches, le droit, sciences et lettres, et bien d'autres services s'y rattacheront au long des années.

    Sa reconnaissance arrivera plus tard en 1909, et dans le langage courant il reçut le nom de « Facs ». Son destin restera attaché aux événements de la fin de l'Algérie française (1.12).

    Toujours par nécessité d'équipements indispensables à une population dont le niveau d'évolution ne cessait de croître, il était décidé en 1889 de bâtir un Palais Consulaire. Son emplacement fut choisi entre les deux mosquées de la place du Gouvernement. Un choix malheureux car de style néo-classique d'aspect massif et même disgracieux, il s'interposait entre les deux mosquées en cassant l'harmonie de l'ensemble.

    En 1891 une convention avec l'autorité militaire était enfin passée pour la ces­sion d'environ 35 ha ce qui allait permettre la création de deux quartiers, celui de Bab-el-Oued et celui de la nouvelle préfecture ainsi que l'achèvement du quartier d'Isly.

    Restait encore en négociation la cession d'une soixantaine d'hectares au Champ-de-Manœuvre, dont cinq seulement furent cédés. La totalité des cessions ne devaient intervenir que trente cinq ans plus tard.

    Entre temps dans le quartier du Hamma on édifiait l'institut Pasteur (1.13) dans l'alignement du Jardin d'Essai. Créé en 1894 par les docteurs Trolard et Soulié, et les docteurs Roux et Calmette, élèves de Pasteur, cet institut devait faire autorité dans la pathologie de l'Algérie et des maladies tropicales.

    Après l'édification des « Facs », les fossés et remparts du général Charras ne servaient plus à rien. Ils devenaient même un obstacle à l'extension de la ville. Aussi décida-t-on en 1897 de les démolir ainsi que la Porte d'Isly qui ne le sera qu'en 1905.

    Le XIXe siècle s'achevait pour « Alger la Blanche » sur de solides perspectives.

     
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    « L'avenue Pasteur avec, au premier plan, l'immeuble de la Dépêche Quotidienne. À droite, on aperçoit
    le haut de l'immeuble de la Grande Poste »,
    in
    Alger de ma jeunesse - 1945-1962, de Jean-Charles Humbert, éd. Gandin.

     

    Alger la Blanche vers le XXéme siècle

     

    En 1830 la royauté française avait mis un terme à la piraterie barbaresque en Méditerranée. La France avait pris pied sur la vieille cité d'El-Djezaïr et s'efforçait de pacifier la partie centrale du Maghreb auquel elle avait donné le nom d'Algérie.

    Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le second Empire avait fait sortir la cité de ses enceintes et étendu l'ancienne darse à galères en un port de commerce florissant. La ville s'étendait et s'équipait en recevant de nouveaux immigrants. Il était certain qu'« Alger la Blanche » était promise à un bel avenir une sorte de capitale française de la Méditerranée côté Afrique du Nord.

    En ce début du XXe siècle, le cœur de ville ne se situait plus sur l'ancienne « place d'Armes » ou « place du Gouvernement ». Il se déplaçait vers les quartiers Est et on détruisait les anciens remparts. « Alger la Blanche » attirait et elle s'étendait.

    A - L'époque de l'orientalisme

    A la visite du président Loubet en 1903, succédait en 1905 celle du couple royal d'Angleterre, Edouard VII fîls de la reine Victoria, accompagné de son épouse la reine Alexandra. Une visite qui devait honorer et renforcer la petite communauté britannique aisée d'Alger installée dans la zone de Mustapha. Ces Anglais attirés par la douceur du climat étaient aussi séduits par une qualité de vie qu'offrait le style architectural néo-mauresque qu'ils avaient découvert et qu'ils avaient fait mettre en « ouvrage » par quelques rénovations et autres constructions de charme. Cet esprit « orientaliste » se développait aussi depuis quelques années dans le domaine artistique et littéraire de la ville, activé par le concours de la presse et de certains intellectuels.

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    Le premiers numéro du journal Akbhar de mars 1902, ainsi que la création de la « Société des artistes algérois «  (précurseur de la Villa Abd-el-Tif), (2.1), puis les Feuillets d'El-Djezaïr en 1905 par Henri Klein, et le « Comité du vieil Alger », devaient sensibiliser l'opinion sur le patrimoine de la ville et du pays. L'Ecole algérianiste devait suivre avec Robert Randau comme chef de file avec l'aide de Pomier, dont l'esprit anime toujours notre Cercle. 

    Ces mouvements culturels étaient soutenus par les éditeurs et imprimeurs de la ville, tels que Fontana, Barnier, Chaix, Soubiron ou Charlot, ainsi que la Maison Valadier fondée en 1884 dans sa spécialité de la restauration des peintures et gravures.

    L'architecte Ballu aux « Monuments historiques » allait aussi participer à la connaissance du style néo-mauresque en construisant les pavillons de l'Algérie aux expositions de 1889 et 1900 à Paris-Saint-Cloud et Marseille en 1906. Séduit par ces courants « orientalistes », et doté d'un budget spécial pour l'Algérie par la loi du 19 décembre 1900, Charles-Célestin Jonnart, gouverneur général allait contribuer au développement du style architectural néo-mau­resque. Il demanda aux constructeurs et architectes de la ville d'étudier leurs projets et de les réaliser dans ce style.

    C'est ainsi qu'en 1904 seront édifiés par l'entreprise Vidal l'immeuble du journal La Dépêche, boulevard Laferrière, sur les emplacements des anciens rem­parts, et la préfecture, boulevard Carnot, avec ses deux petites coupoles. L'architecte Petit sera chargé de construire la « Medersa » située au-dessus du jardin Marengo. Son confrère Gabriel-Marcel-Henri Darbeda, qui s'était déjà fait remarqué en 1902 en construisant le lycée de jeunes filles Delacroix proche des « Facs » ainsi que la partie orientale du Musée des antiquités, était chargé de rénover une ancienne demeure turque du XVIIIe siècle, la villa Abd-el-Tif, délicieux lieu de calme dans un écrin de verdure qui devait être destinée à héberger des artistes dans le but de développer les courants artistiques en Algérie.

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    Le palais d'Eté du gouverneur à Mustapha.
    In Alger et Oran, de Teddy Alzieu, Ed. Alain Sutton

     

    Jouissant de l'estime et de la confiance du gouverneur Jonnart l'architecte Darbeda se vit ensuite confier en 1910 la rénovation du Palais d'Été, une autre demeure prestigieuse de style mauresque datant du XVIIIe siècle, ancienne rési­dence du Dey d'Alger, entouré d'un magnifique parc délicieusement arboré, de quatre hectares, destiné plus spécialement aux réceptions officielles et fêtes. Darbeda sera secondé dans cette tâche exaltante par son confrère Montaland.

    Spécialiste confirmé du style néo-mauresque M. Darbeda sera ensuite attaché à l'équipe d'architectes chargés d'édifier la « Grande Poste » (2.2) dont l'achèvement interviendra en 1913 à la veille de la Grande Guerre sous la direction de Toudoire et Voinot.

    Cet édifice public marquera le cœur de ville avec le square Laferrière, la rue Michelet, les « Facs », et plus tard le monument aux morts de la Grande Guerre et son horloge florale. Un ensemble cohérent et agréable au lieu et place des anciens fossés et remparts. Malheureusement la liste des morts et disparus s'allongera après le second conflit mondial et la guerre d'Indochine.

    D'autre part sur le front de mer s'édifiait le Palais de l'Assemblée Algérienne et au centre-ville, rue d'Isly, le grand magasin des « Galeries de France » et bien d'autres commerces.

    B - Situation avant la Grande Guerre

    Vers 1913 la municipalité venait de terminer le Parc de Galland en haut de la rue Michelet.

    De mauvaises nouvelles parvenaient de la métropole sur la situation en Europe où le conflit semblait inévitable avec l'Allemagne. Cette situation allait entraî­ner un sérieux ralentissement pour les projets de la municipalité d'Alger. Bien des problèmes demeuraient en attente à la veille de la guerre alors même que les premières dispositions de la mobilisation des hommes étaient en cours. Voici la situation de la ville à la veille de la guerre :

    - Avec les communes suburbaines on allait atteindre les 200000 habitants or aucun plan cohérent de zoning ou « zonage » (nom de l'époque pour désigner les secteurs d'activités spécifiques) n'était possible tant que l'autorité militaire ne consentirait pas à céder de vastes terrains à la commune comme, par exemple, le secteur du Champ-de-Manœuvres et autres terrains vers Bab-el oued.

     

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    Vue du Parc de Galland
     

    - Et enfin le quartier vétuste de La Marine qui était à remembrer d'urgence.

    - Une autre zone restait à traiter, celle de Mustapha qui avait été rattachée à la commune d'Alger en 1904 et qui se trouvait dans un état de désordre complexe entravant les communications et qui rendait très difficile la circulation. En effet les rues privées et impasses y abondaient, bien souvent établies suivant les tra­cés fantaisistes des particuliers plus soucieux de leurs commodités que du bien public. Un très gros travail de remembrement et de procédures d'expropriations à entreprendre.

    - Si, jusqu'en 1914, il y avait eu une véritable fièvre de construire, les voiries et équipements publics avaient eu du mal à suivre, et de graves problèmes d'évacuation des déchets et d'assainissement ainsi que des évacuations des eaux pluviales se posaient en raison de la nature déclive de la presque totalité des rues.

    - L'alimentation en eau potable de la ville allait devenir très préoccupante bien que les plus grands espoirs soient apparus par la reconnaissance en 1912 des nappes artésiennes et eaux jaillissantes de la Mitidja qu'une commission de techniciens compétents avait révélées.

    - D'autre part, la ville ne possédait toujours pas de halles centrales et les abattoirs de Belcourt trop exigus et d'une hygiène toute relative méritaient d'être rénovés et agrandis ou d'être transposés ailleurs. La poissonnerie occupait tou­jours des entrepôts malodorants sous les voûtes du boulevard Rampe Anatole France sur le port (2.4).

    - Enfin la topographie très en pente et en amphithéâtre de la ville, imposait des voieries en lacets ou en escaliers bordés d'immeubles pour rejoindre les hau­teurs suburbaines. Un problème qui allait s'aggraver avec l'apparition de l'automobile qui remplaçait progressivement la traction et le transport hippo­mobiles. Une véritable révolution pour la conception et l'organisation des voieries.

    L'exemple des grandes cités européennes était à suivre, et les élus et édiles en étaient parfaitement conscients.

     

    C - L'entre-deux guerres jusqu'à 1940

     

    La paix revenue, le gouvernement votait la loi du 14 mars 1919 sur la nécessité d'un plan d'aménagement, d'extension et d’embellissement de la ville, ainsi que la rénovation du règlement des voieries. Sommairement ces nouvelles dis­positions étaient les suivantes :

    1 - Préciser les « zonings » d'urbanisme en fonction des tendances d'activités animées par leurs populations spécifiques.

    2 - Le remembrement du quartier vétuste de La Marine posait toujours les mêmes problèmes et préoccupations.

    3 - Bien que les négociations de cession de terrains avec l'autorité militaire soient toujours en cours, il était urgent de se préparer pour aménager de nou­veaux quartiers comme au Champ-de-Manœuvres ou encore à Bal-el-Oued y compris les travaux d'enrochement pour gagner sur la mer.

    4 - Il fallait développer les liaisons de voieries tous azimuts et durablement pour la ville et surtout son port avec l'arrière-pays tant vers le Sahel que vers Hussein-Dey à l'ouest que vers Saint-Eugène à l'est.

    5 - Il était nécessaire de réserver et d'aménager des parcs et jardins ainsi que des terrains de sport pour les loisirs de la population, et de développer ceux existants y compris sur les localités des hauts d'Alger.

    Un vaste programme pour un nouvel urbanisme de cet après-guerre. Le temps était aussi venu de panser les plaies de la guerre car les hommes d'Algérie avaient eux aussi contribué au prix du sang. La ville décida donc d'honorer les héros et disparus par des stèles du souvenir et monuments. Décision qui fut d'ailleurs reprise par tous les villages d'Algérie.

    À Alger on commença par le buste de Guynemer, as des combats aériens, qui fut installé boulevard Laferrière et dont le square qui fut aménagé devait por­ter le nom du héros. Enfin le vieux projet du Jardin d'Essai sera repris en 1920 par les architectes Régnier et son beau-fils Guion qui traceront les aménage­ments définitifs « à la française ».

    En cet après-guerre, la municipalité reprend l'initiative avec la foire-exposition de 1921 et l'exposition coloniale de 1922 à Marseille où Jacques Guiauchain architecte réalisera le « café maure » du pavillon de l'Algérie. Et ce sera cette année-là que le président Millerand décida de visiter Alger et ses environs.

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    Alger - Les quartiers ouest

    En ville les chantiers se multipliaient, tant en logements qu'en commerces, donnant du travail à tous. Les grands magasins tels que les « Deux Magots » et « La Belle Jardinière » comblèrent les familles algéroises. Le tourisme et le développement des affaires donnèrent lieu à de nouveaux hôtels sur le boulevard de la République comme celui de la Régence, ceux d'Orient ou de l'Oasis. Les rencontres et réunions se passaient aux cafés à la mode, le Coq Hardi ou le Tantonville à côté de l'Opéra.

    Alger la « Belle Epoque » qui régnait à Paris. La ville s'animait de plus en plus et générait toujours de nouvelles créations et entreprises.

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    Place de la Mairie à El-Biar
    In Alger de ma jeunesse, J Gandini

     

    Hennebique, une entreprise qui connaissait une période florissante en métropole et notamment à Paris va venir s'installer à Alger. Elle diffusera même une revue sur un procédé nouveau de construction, le « béton armé ». Comme en métropole, beaucoup d'architectes locaux seront conquis par cette nouveauté et notamment Petit et Garnier qui construiront en 1921 les grands magasins du Bon Marché, rue d'Isly, inaugurés en 1923. D'autre part les architectes associés Régnier et Guion seront les auteurs des immeubles Lafont au boulevard Saint-Saëns, du grand garage Vinson rue Sadi-Carnot. Puis avec l'architecte Lugan, Hennebique construira l'hôtel d'Angleterre et les immeubles des rues Denfert-Rochereau et Clauzel, ceux des boulevards Victor-Hugo et Edgar-Quinet où l'architecte élaborera un habitat original sur cour. A citer aussi la fameuse Cité Bobillot à Mustapha construite en 1926 réservée aux cadres moyens, et qui annonçait les futurs HLM.

    Et pourtant le « style Jonnart » ou « néo-mauresque » conservera ses adeptes. C'est ainsi qu'en 1925, M. Titre architecte de la commune d'El-Biar, adoptera ce style pour la mairie.

    Dix ans plus tard son confrère Charles Henri Montaland complètera l'ensemble néo-mauresque de la place du village avec la poste et l'école maternelle qu'il construira avec l'entreprise Vidal.

    D'autre part ceux qui ont connu ce charmant village des « hauts d'Alger » se souviendront sûrement du fameux « balcon Saint-Raphaël » magnifique belvé­dère sur la baie d'Alger, son port et l'immensité bleue de la mer. Une vue qui allait du Cap Matifou à la Pointe Pescade et, plus à droite et au loin à la jumel­le, s'étendait la plaine de la Mitidja avec les villes de Rivet et de l'Arba au pied du djebel Zerquela. Cet exceptionnel panorama avait motivé le maître-maçon.

    C - L'entre-deux guerres jusqu'à 1940

     

    La paix revenue, le gouvernement votait la loi du 14 mars 1919 sur la nécessité d'un plan d'aménagement, d'extension et d'embellissement de la ville, ainsi que la rénovation du règlement des voieries. Sommairement ces nouvelles dispositions étaient les suivantes :

    1- Préciser les « zonings » d'urbanisme en fonction des tendances des activités

    animées par leurs populations spécifiques.

    2-Le remembrement du quartier vétuste de La Marine posait toujours la mêmes problèmes et préoccupations.

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    L'horloge florale du monument aux mort (In Alger, les Tournants Rovigo, (tome II), d'Ervé Cuesta

     

    3-Bien que les négociations de cession de terrains avec l'autorité militaire soient toujours en cours, il était urgent de se préparer pour aménager de nouveaux quartiers comme au Champ-de-Manœuvres ou encore à Bal-el-Oued y compris les travaux d'enrochement pour gagner sur la mer.

    4-II fallait développer les liaisons de voieries tous azimuts et durablement pour la ville et surtout son port avec l'arrière-pays tant vers le Sahel que vers Hussein-Dey à l'ouest que vers Saint-Eugène à l'Est.

    5-Il était nécessaire de réserver et d'aménager des parcs et jardins ainsi que des terrains de sport pour les loisirs de la population, et de développer ceux existants y compris sur les localités des hauts d'Alger.

    Un vaste programme pour un nouvel urbanisme de cet après-guerre. Le temps était aussi venu de panser les plaies de la guerre car les hommes d'Algérie avaient eux aussi contribué au prix du sang. La ville décida donc d'honorer les héros et disparus par des stèles du souvenir et monuments. Décision qui fut d'ailleurs reprise par tous les villages d'Algérie.

    À Alger on commença par le buste de Guynemer, as des combats aériens, qui fut installé boulevard Laferrière et dont le square qui fut aménagé devrait por­ter le nom du héros. Enfin le vieux projet du Jardin d'Essai sera repris, en 1920 par les architectes Régnier et son beau-fils Guion qui traceront les aménagements définitifs « à la française ».

    En cet après-guerre, la municipalité reprend l'initiative avec la foire-exposition de 1921 et l'exposition coloniale de 1922 à Marseille où Jacques Guiauchain architecte réalisera le « café maure » du pavillon de l'Algérie. Et ce sera cette année-là que le président Millerand décida de visiter Alger et ses environs. En ville les chantiers se multipliaient, tant en logements qu'en commerces, donnant du travail à tous. Les grands magasins tels que les « Deux Magots » et « La Belle Jardinière » comblèrent les familles algéroises. Le tourisme et le développement des affaires donnèrent lieu à de nouveaux hôtels sur le boulevard de la République comme celui de la Régence, ceux d'Orient ou de l'Oasis. Les rencontres et réunions se passaient aux cafés à la mode, le Coq Hardi ou le Tantonville à côté de l'Opéra.

    Alger suivait la « Belle Epoque » qui régnait à Paris. La ville s'animait de plus en plus et générait toujours de nouvelles créations et entreprises.

    Hennebique, une entreprise qui connaissait une période florissante en métropole et notamment à Paris va venir s'installer à Alger. Elle diffusera même une revue sur un procédé nouveau de construction, le « béton armé ». Comme en métropole, beaucoup d'architectes locaux seront conquis par cette nouveauté et notamment Petit et Garnier qui construiront en 1921 les grands magasins du Bon Marché, rue d'Isly, inaugurés en 1923. D'autre part les architecte Régnier et Guion seront les auteurs des immeubles Lafont au boulevard Saint-Saëns, du grand garage Vinson rue Sadi-Carnot. Puis avec l'architecte Lugan, Hennebique construira l'hôtel d'Angleterre et les immeubles des rues Denfert-Rochereau et Clauzel, ceux des boulevards Victor-Hugo et Edgar-Quinet l'architecte élaborera un habitat original sur cour. A citer aussi la fameuse Cité Bobillot à Mustapha construite en 1926 réservée aux cadres moyens, et qui annonçait les futurs HLM.

    Et pourtant le « style Jonnart » ou « néo-mauresque » conservera ses adeptes C'est ainsi qu'en 1925, M. Titre architecte de la commune d'El-Biar, adoptera ce style pour la mairie.

    Dix ans plus tard son confrère Charles Henri Montaland complétera l’ensemble néo-mauresque de la place du village avec la poste et l'école maternelle qu’il construira avec l'entreprise Vidal.

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    Le balcon de Saint-Raphaël (in Alger de ma jeunesse, Jean-Charles Humbert,éd. Gandini)

     

    D'autre part ceux qui ont connu ce charmant village des « hauts d'Alger se souviendront sûrement du fameux « balcon Saint-Raphaël » magnifique belvédère sur la baie d'Alger, son port et l'immensité bleue de la mer. Une vue qui allait du Cap Matifou à la Pointe Pescade et, plus à droite et au loin à la jumelle, s'étendait la plaine de la Mitidja avec les villes de Rivet et de l'Arba au pied du djebel Zerquela. Cet exceptionnel panorama avait motivé le maître-maçon

    Barthélémy Sébastien Vidal et ancien collaborateur de Sir Bucknall qui venait de lui léguer ses archives, pour bâtir nombre de villas de style, dont la villa Lefevre-Laurens sur le site du balcon dont certains se souviendront.

    Le fils de Sébastien, Barthélémy-Vincent Vidal poursuivra l'œuvre familiale de l’entreprise en bâtissant en ville un grand nombre d'immeubles collectifs rue Michelet et autres artères, ainsi que la gendarmerie du boulevard de Verdun au dessus de la Casbah. La commémoration du « Centenaire » approchait et la municipalité s'y préparait activement. Un timbre commémoratif, rappelant la présence du Président à Alger, était même diffusé.

    En 1928 il était urgent de faire édifier le monument aux morts et disparus de la Grande Guerre. Le site du square Laferrière fut retenu sur les lieux et place des anciens remparts et fossés.

    Le monument sera l'œuvre des sculpteurs Landowski et Bigonnet et autres artistes auxiliaires. Il sera implanté au milieu de jolis jardins avec une magnifique horloge florale d'un diamètre de 5 m.

    Par ailleurs, il était toujours question de construire un « Palais du Gouvernement » (futur Gouvernement général). La municipalité confiait le projet a l’architecte Jacques Guiauchain assisté de son confrère Rotival. Ces derniers s’attacheront en 1930 le concours de l'entreprise des frères Perret spécialistes en béton armé. Cette entreprise s'était déjà fait un nom tant en métropole qu’en Algérie et au Maroc (2.5).

    Cet énorme bâtiment cœur administratif de la ville et du pays sera situé en haut du boulevard Laferrière, anciens fossés et remparts transformés en jardins, esplanades et escaliers où se trouvait d'ailleurs le monument aux morts. L’édifice de style « Perret, », implanté en terrain pentu, recevra 4500 m2 de bureaux et salles diverses sur treize étages d'un côté et huit de l'autre. Vingt-huit ans plus tard dans la phase finale de l'Algérie française, ce sera du balcon monumental dominant la vaste esplanade du Forum noire de monde que De Gaulle achèvera son coup d'Etat sur la France en lançant le 4 juin 1958 son fameux « Je vous ai compris » dont le sens ambigu et trompeur subjuguera la foule algéroise désemparée qui ne demandait qu'assistance pour être déli­vrée du terrorisme (2.6). Cet énorme bâtiment deviendra le G. G, c'est-à-dire le « Gouvernement général » dans le langage courant des Algérois. Sa réalisation demandera au long des années le concours de nombreux architectes comme MM. Luyckx et Forestier et bien d'autres. Donc installés à Alger, les frères Perret se verront aussi confier avec l'architecte Guiauchain les constructions de la Maison de l'agriculture, le Yacht-Club, le collège du Champ-de-Manœuvres ainsi que certains pavillons des hôpitaux Mustapha et El-Kettar. En ces années 1928-1929, sur le boulevard Carnot en front de mer, les architectes Auguste Bluysen et Joachim Richard se verront confier la construction du Casino d Alger jouxtant la préfecture avec l'Hôtel Aletti. Avec le recul du temps on constate qu’une seule décade devait séparer la célébration du Centenaire du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Or, en cette époque des années trente, personne ne pouvait encore prévoir le prochain conflit. Charles Brunel, maire d'Alger, confiait l'étude du « Plan régional » de la ville aux architectes-urbanistes Maurice Rotival, Henri Prost, puis René Danger sur une base photographique de la Compagnie aérienne française. Ce vaste plan d'urbanisme avait pour objectif de créer les liaisons du centre ville avec la périphérie le Port et les communes suburbaines, ainsi que les grandes voies allant vers l'est et l'ouest en prolongeant le front de mer. Vers l'est pour desservir Hussein-Dey, Maison Carrée, Fort de l'Eau, Aïn-Taya, etc., puis vers l'ouest, tout en gagnant sur la mer par des remblais au bas des quar­tiers de Bab-el Oued et ceux de La Consolation, aménager les cimetières et les quartiers de Saint-Eugène, puis poursuivre en corniche jusqu'au village côtier et le port de Guyotville.

    Les voies de bord de mer firent l'objet d'une très grande attention afin d'inclure sur les chaussées les rails et lignes électrifiées des futurs transports en commun destinés à remplacer les fameux « corricolos » à chevaux.

    Les fêtes du Centenaire passées, bien d'autres problèmes allaient se poser aux élus et aux services techniques municipaux toujours installés dans l'ancien hôtel d'Orient alors qu'un concours avait été lancé pour la construction d'un nouvel Hôtel de Ville.

    Les principaux problèmes a résoudre étaient les suivants :

    - La ville, son port et l'immédiat arrière-pays exerçaient une grande attirance pour les populations. Avec les communes suburbaines les derniers recensements de 1933-1935, on atteignait environ 365000 habitants, ce qui plaçait l'agglomération algérois au quatrième rang des villes françaises après Paris, Marseille et Lyon. Or le décret présidentiel du 20 mai 1932 approuvait la création de la « Régie Foncière » qui avait pour vocation de promouvoir des programmes de construction de logements sociaux sous le contrôle des services techniques de la ville conformément à une convention de 1931. Il était donc urgent de lancer ces programmes alors même que la vétusté du quartier de La Marine avait déjà entraîné des sinistres ainsi que des conflits ethniques entre Musulmans et Juifs(2.7).

    Afin de développer les programmes de logements sociaux, il fallait que les négociations avec l'autorité militaire aboutissent pour enfin libérer et céder les terrains qui étaient encore propriété de l'armée, et alors même que les études du « Plan régional d'Alger » étaient en cours dans les cabinets des architectes Rotival, Danger et Prost. Si environ 35 ha avaient été déjà libérés à Bab-el-Oued, il restait encore en négociation plus de 60 ha dans la zone de Mustapha et du Champ-de-Manœuvres. Enfin il fallait « déclasser » définitivement les anciens fossés et remparts et leurs portes qui devaient disparaître pour permettre la libre extension de la ville. Ce sera chose faite en 1935.

    - L'utilisation de l'automobile qui remplaçait peu à peu les véhicules hippomobiles risquait de provoquer à court terme la congestion des voies, et de plus il fallait aussi compter avec l'installation des transports en commun par « tramways » sur la partie basse de la ville.

    - Si cette partie basse en front de mer était pratiquement plate, il n'en était pas de même de la topographie vers les hauteurs de la ville où les voieries étaient toutes en déclivité plus ou moins accentuée et bien souvent en lacets. Cet état topographique posait bien des problèmes pour les égouts et les évacuations des eaux pluviales qu'il était urgent de canaliser et de maîtriser. La station de refoulement des eaux de l'Agha devait être achevée.

    - Depuis quelques années le trafics portuaire commercial et touristique augmentait au point qu'une véritable gare maritime » s'imposait. D'autre part il était urgent de réparer les dégâts de la tempête de 1931 (2.8).

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    Rues de la mystérieuse Casbah
    In Alger d'Alain Sébe


    Il fallait aussi activer le projet d'usine d'incinération des déchets sur la commune d'Hussein-Dey dont la Compagnie générale d'assainissement était en charge.

    - Le ravitaillement de la ville devenait d'autre part problématique en raison de l'accroissement de la population et la création de nouveaux quartiers. Jusqu'à 1930 Alger ne possédait pas de « halles centrales » pour réguler le marché. Il fallait décider de les construire à l'emplacement des anciens abattoirs de Belcourt et transporter ces derniers sur la commune d'Hussein-Dey dans des locaux plus vastes et plus modernes. Quant aux marchés existants de Bab-el-Oued (La Lyre et rue Randon) et ceux de Mustapha (Clauzel et Meissonnier) ils devaient être réorganisés et agrandis. Et enfin sur le port, les locaux nauséa­bonds de la poissonnerie sous les voûtes du boulevard Anatole-France devaient être supprimés pour être regroupés dans, des nouveaux locaux modernes sur les quais, et spécifiquement réservés aux produits de la mer.

    - Le Central téléphonique de Belcourt construit en 1929 donnait des signes de saturation. Une surélévation du bâtiment s'imposait pour une extension des réseaux.

    - Il fallait aussi améliorer et développer le service hospitalier et clinique avec des équipements modernes.

    - Le bien-être de la population et sa distraction devaient voir se développer ins­tallations sportives ainsi que parcs et jardins.

    - Et enfin le patrimoine du « Vieil Alger », constitué par certains musées comme celui des Beaux-arts, le Bardo et Franchey-d'Esperey, aussi que la mystérieuse Casbah dont il fallait conserver le caractère original, permettait aux touristes épris d'orientalisme d'y ressentir les émotions recherchées. Il fallait toutefois y maintenir et améliorer le nettoyage, la salubrité et la restauration des plus belles demeures (2.9).

    Devant la charge d'un tel programme, il faut reconnaître le mérite de tous ceux qui faisaient d'Alger une ville moderne en ces années trente, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Cependant on ne peut passer sur ces années trente à trente-trois, sans rappeler que cette effervescence constructive avait attiré un opportuniste très remuant, un certain Le Corbusier qui s'était déjà fait connaître à l'occasion d'un voyage à Alger en 1929 par quelques « expos » et conférences. Ce dernier poursuivait son action médiatique pour sensibiliser l'opinion algéroise à ses idées, disons « révolutionnaires », dans sa conception de la vie urbaine et de l'habitat collectif. Il y faisait miroiter sa solution pour un « Alger, ville radieuse » (2.10). Si ses théories progressistes et modernistes devaient convaincre et émerveiller certains confrères locaux qui resteront ses « inconditionnels », elles susciteront bien des doutes et méfiances devant la réalité du pays et de la topographie de la ville, et surtout devant les complexités d'un brassage des diverses couches de populations de provenances ethniques et religions opposées. Son utopie ne tarda pas à être stoppée par un opposant de poids en la personne de M. Umbdenstock, professeur à Polytechnique et à l'école des Beaux-Arts de Paris qui n'hésita pas à traiter Le Corbusier de « charlatan » de l'architecture. La fièvre algéroise médiation-politique de ces années trente retomba et Alger échappa sûrement à des bouleversements démesurés autant qu'utopiques. M. Umbdenstock deviendra l'architecte de la Banque de l'Algérie et construira avec L. Pierre-Marie et l'entreprise Vidal le siège général à Alger boulevard Baudin (ossature métallique), ainsi que les succursales d'Oran, de Philippeville et de Bougie. D'autre part Pierre-André Emery chef de file des « inconditionnels » de Le Corbusier recevra commande de l'usine d'incinération des déchets d'Alger dans le secteur d'Hussein-Dey.

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    Le musée du Bardo,
    In Alger de ma jeunesse, Jean-Charles Humbert

    Bien que la fièvre « moderniste » ait marqué les esprits créateurs de ces années trente qui suivaient le centenaire, l'engouement pour le style « Jonnart » n'était pas du tout éteint. Le charme de l'architecture néo-mauresque demeurait dans bien des cœurs. Aussi persista-t-il avec l'architecte Montaland qui sera chargé de construire le pavillon de l'Algérie à l'exposition de 1931. Le style va persis­ter aussi dans la rénovation d'anciennes demeures turques transformées en musées, ainsi que de nombreux particuliers qui firent bâtir leurs maisons en « néo-mauresque ». Ce qui devait contribuer à un certain charme de la ville et de ses environs. Depuis quelques années la municipalité toujours à l'étroit à l'hôtel d'Orient songeait à un nouvel « Hôtel de Ville ». Un concours d'architecture fut donc ouvert en 1931 visant l'espace d'un terrain libéré par l'autorité militaire. Les lauréats en furent les architectes et frères Jean et Edouard Niermans, grands prix de Rome de 1929. Ces derniers s'adjoignirent localement le concours de leur confrère Jean-Louis Ferlié. Le chantier qui ne devait s'ouvrir qu'en 1936 connut bien des aléas et inter­ruptions et notamment celle de la guerre. Aussi le complet achèvement n'eut lieu qu'en 1951 à quelques finitions près. La cession de la presque totalité des terrains du domaine militaire devait libérer le lancement des programmes de constructions sociales (2.11), publiques et hospitalières dont la ville avait un besoin urgent. Ne seront citées que les opérations les plus marquantes de la décade 1930-1940 :

    - Avant la guerre la production de gaz et d'électricité dépendait toujours de sociétés concessionnaires. Or la politique de l'époque posait la question de l'unification des énergies pour une meilleure distribution dans la région visant l'industrialisation et une meilleure répartition.

    - En matière de communications, le Central téléphonique de Belcourt construit cinq ans auparavant par Marcel Christofle, architecte, arrivait à saturation. Aussi était-il urgent d'augmenter la capacité des réseaux par la surélévation du bâtiment. Ce sera le fils du premier architecte Marcel-Henri qui en reçut la mis­sion. Ces travaux seront achevés en 1937.

    - Dans l'axe du Jardin d'Essai il fut décidé de construire un « Musée des Beaux-Arts ». Ce sera l'œuvre de Paul Guion architecte qui recevra également commande de l'Ecole d'horticulture dans le Jardin précité.

    - A partir de 1931 après la cession de terrains militaires, le Champ-de-Manœuvres va se transformer. Les architectes Jean Bevia et Xavier Salvador seront chargés de plus de 2000 logements sociaux. Leur confrère Léon Claro recevra commande d'un Foyer Civique et d'un groupe scolaire.

    - Un peu plus haut vers le quartier de Mustapha, l'architecte François Bienvenu réussira avec succès un habitat « indigène » adapté au mode de vie de la com­munauté musulmane.

    - Quant au recasement de la population du quartier vétuste de La Marine en cours de démolition pour être remembré, il sera effectif entre 1932 et 1935 avec la réalisation du groupe de logements sociaux H.B.M de Malakoff à Bab-el-Oued, œuvre de l'architecte Bienvenu. Ce dernier réalisera aussi la caserne des « gardes mobiles » au quartier des Tagarins, y compris les logements des familles de ces fonctionnaires. - Au nouveau centre-ville les fossés et remparts venant d’être déclassés et cèdés à la ville en 1935, les travaux du boulevards Laferrière en escaliers jardins et esplanades deviendront un chantier permanent jusqu’a l’espace du Forum qui deviendra célèbre vingt-sept ans plus tard. Ces travaux étaient placé sous la direction des architectes Jacques Guiauchain et Maurice Rotival.

    - Ces années 1935-1940 verront un grand effort vers les grands besions en constructions hospitalières. Des architectes comme Guiauchain et Xavier Salvador vont devenir de grands spécialistes de ces équipements. Le premier réalisera le pavillon des tuberculeux de l'hôpital de Mustapha celui des conta­gieux à l'hôpital d'El-Kettar, puis la pouponnière de l’assistance publique à Mustapha supérieur, et le second désigné comme conseiller de la santé publique réalisera de nombreux bâtiments d'extention au sein de ces hôpitaux, ainsi que le préventorium du Cap Matifou, l'Institut des sourds-muets et la clinique infantile de l'hôpital de Mustapha. Cet hôpital civil était devenu une véritable ville dans la ville, avant de devenir hôpital universitaire.

    - Les installations portuaires et ferroviaires ne cessèrent de se développer en fonction du trafic du port d'Alger.

    De 1936 à 1937 le dernier équipement avant la guerre fut la construction de la « poissonnerie » qui remplacera les anciens locaux situés sous les voutes du boulevard Anatole France et les escaliers de la Pêcherie.

    Les voûtes seront dès lors occupées par de fameux restaurants à poissons.

     

    Le tournant de la Seconde Guerre mondiale

     

    Le conflit allait marquer Alger avec des suites et conséquences qui entre­ront dans l'histoire douloureuse de la France et de l'Algérie.

    Bien que ce soit hors de notre sujet il y a lieu de les évoquer sommairement.

    Novembre 1942, les alliés anglo-américains débarquent au Maroc et en Algérie. Les Allemands arrivent en Tunisie (3.1).

    Alger deviendra la « capitale de la France libre ».

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    Itinéraire des attaques allemandes (col. de l'auteur)

     

    Son port militaire est une position stratégique en Méditerranée comme la base de Mers el-Kébir à Oran.Cette position stratégique passait dans le camp des alliés anglo-américains. Ce changement brutal dans la stratégie de la guerre devait attirer sur Alger les bombardements aériens de 1942 à 1944.

    Divers autres types d'attaques seront menés contre la ville et son port (3.2) mais ce sont les raids aériens de nuit qui laisseront un cruel souvenir aux Algérois. Les bombardiers allemands et leurs chasseurs de protection détectés aux radars étaient contraints d'attaquer Alger en contournant le site par le sud en raison de sa topographie d'amphithéâtre. Les équipages ennemis devaient alors traverser de terrifiants rideaux de feux en obus et balles traçantes de la DCA, redoutant de plus d'être pris dans les faisceaux des puissants projecteurs qui balayaient la nuit, et de se voir abattus de façon certaine.

    Les difficultés d'atteindre le port étaient grandes par la configuration même du site. Aussi il n'y eut que peu de coups aux buts. En revanche bien des bombes furent lâchées au hasard sur la ville et ses

    environs. Il paraît que les raids sur Alger étaient redoutés par les équipages de la Luftwaffe, car les avions rescapés de la DCA qui regagnaient leurs bases en Sicile ou en Italie étaient attendus en mer par la chasse alliée. Mai 1945, le monde libre fête la victoire sur l'Allemagne nazie. Cependant des événements dramatiques vont endeuiller l'Algérie dans le (3.3) Constantinois. Le calme reviendra pour accorder un répit de dix ans avant le déclenchement de la rébellion nationaliste algérienne de 1954 qui conduira à l'indépendance algérienne et l'exode des Français d'Algérie. Toutefois, pendant cette décade de 1945 à 1955, Alger fière d'avoir été la « capitale de la France libre » pendant le conflit mondial n'avait pas cessé de construire et de s'équiper malgré une politique gouvernementale très ambiguë. Dès 1947 il était demandé à l'entreprise Perret de construire les hangars de l'aéroport de Maison-Blanche.

    Au sortir de la guerre cette entreprise était certainement la seule capable de traiter de gros chantiers.

    Elle se verra aussi confier quelques bâtiments hospitaliers à Mustapha, ainsi que la gare maritime du port sur les plans de M. Urbain Cassan, ori­ginaire de la ville de Narbonne, dans le Midi de la France. D'autre part toujours en 1947 le décret du 5 juin officialisait la nationalisa­tion d'EGA, Electricité et Gaz d'Algérie, voté par le gouvernement De Gaulle le 8 avril 1946 (3.4). Ce qui devait donner lieu à la construction d'un bel immeuble administratif pour EGA sur le boulevard du Télemly réalisé par l'architecte Marcel-Henri Christofle, mais dont l'achèvement n'interviendra qu'en 1952.

    Le boulevard du Télemly avait pris la place d'un ancien aqueduc romain réutilisé à l'époque turque. Cette voie de crête avait peu à peu perdu de son côté pittoresque aux parcours ombragés et bordés de jardins dans de belles villas qui furent remplacées par des immeubles collectifs représentés sur ces quelques vues : l'énorme masse de l'Aéro Habitat dominant la ville. Bâti dans les années cinquante, l'Aéro Habitat le bien-nommé dominera la ville de sa masse parallélépipédique inspirée des théories de Le Corbusier sur la conception et les plans des architectes associés Miquel, Ernery et Bourlier. Cette expression d'architecture formera exception sur le boule­vard du Télemly.

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    L'Aéro Habitat, Boulevard du Télemly,
    In Alger autrefois, de Teddy Alzieu, éd. Alan Sutton

    Les autres immeubles collectifs seront d'aspect plus traditionnel suivant les diverses personnalités des autres cabinets d'architectes. Le quartier de La Robertsau sur le Télemly sera doté d'un marché. En cette moitié du XXe siècle, Alger était une ville neuve, moderne et dyna­mique où l'on bâtissait encore et encore !

    Afin de consolider l'extension de la ville vers l'est, dans l'après-guerre, Claudius Petit, ministre d'Etat devait faire établir un « Plan directeur » des vastes zones du Champ-de-Manœuvres en englobant dans cette étude les communes suburbaines d'Hussein-Dey et de Maison-Carrée. Le plan en fut confié au cabinet parisien Zerhfus/Sebag.

    Dès 1948 la municipalité ouvrait un grand chantier au cœur de ville. Ce fut le fameux ouvrage du « tunnel des facs » afin de rendre la circulation auto­mobile plus fluide, y compris les transports en commun par trolleybus. Ce tunnel passait sous l'énorme bâtiment des facultés et était doublé d'un autre passage souterrain réservé aux piétons et à quelques commerces. Cette réalisation hardie fut inaugurée ensuite en 1952.

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    Boulevard du Télemly et nouveau marché de la Robertsau
    (archives musée Algérie française, Perpignan) In L'Algérie de ma jeunesse 1950-1962, Jacques Gandini

     

    L'activité constructive algéroise de 1950 à 1960

     

    Les années de guerre avaient entraîné en France un lourd déficit de loge­ments tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Les dispositions gouvernementales avaient conduit M. Claudius Petit, ministre de la Reconstruction, à ordonner en 1948 un « plan directeur » pour Alger et ses communes suburbaines d'Hussein-Dey et Maison-Carrée. Ce plan approuvé, M. Gazagne, maire d'Alger, avait alors lancé dès 1950 plusieurs opérations en secteur public et autorisé quelques promotions de caractère privé. La ville se portait acquéreur d'autre part d'un terrain sur le boulevard du Télemly pour y construire la nouvelle école des Beaux-Arts dont le projet était confié aux architectes Jean-François Darbéda et Léon Claro, professeurs d'architecture de « l'atelier d'Alger », qui occupait tou­jours des locaux vétustés dans le quartier de La Marine destiné à la démo­lition et au remembrement. A rappeler qu'en cette année 1950 le chantier de l'Aéro Habitat démarrait sur ce même boulevard décidément très prisé. L'activité du secteur public devait s'emballer avec :

    - L'OPHBM (Office public d'habitations à bon marché) de la ville qui concrétisait au Champ-de-Manœuvres une première tranche de 1000 loge­ments confiée aux architectes Lathuillière, Luyckx, Emery et Tombarel dont le plan-masse sera organisé autour du Foyer civique de Léon Claro

    d'avant-guerre.

    - La Régie foncière de la ville devait entreprendre à Bab-el-Oued un pro­gramme de 280 logements en un seul bâtiment de dix étages de plus de 120 m de long et 11,25 m de large sur le quartier Léon Roches et qui fut confié aux architectes Daure, Beri, Chauveau et Magrou.

    - La Compagnie immobilière algérienne (CIA) entreprenait de réaliser sur la commune d'Hussein-Dey l'opération « La Montagne » de 2000 loge­ments très économiques, 500 en collectifs évolutifs, puis 1000 logements en individuels et 450 en collectifs y compris tous les équipements publics. Une opération qui sera confiée aux architectes Daure et Beri. Elle s'achèvera en 1955.

    - Toujours à Hussein-Dey en secteur industriel sur la rive gauche de l'oued Harrach, l'OPHLM lancera une opération de 1000 logements avec les architectes Lathuillière, Di-Martino, Dupin et Bettoli. D'autre part, M. Luyckx, architecte, sera chargé des HLM au quartier du Ruisseau, rue Hélène Boucher.

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    Le "tunnel des facs", in Alger, Teddy Alzieu, éd. Alan Sutton

     

    - Afin de résorber les « bidonvilles » de la périphérie, la ville décidait de créer des « Cités d'urgence » et de recasement telles que celle de Maison-Carrée pour environ 700 logements en conception horizontale simplifiée adaptée au mode de vie de la population musulmane, qui respectait une vie intérieure autour d'un patio, une première opération qui sera confiée aux architectes Favette et Magrou.

    Après ce succès, la Régie foncière décida de créer vers Bab-el Oued près de la carrière Jaubert, la Cité Diar-el-Kief de 3 000 logements, et une autre de 207 unités à Djenan-el Hassan, avec les architectes Bodienski, Daure et Beri. Tandis que l'immeuble du « Maurétania » se construisait au carrefour de l'Agha avec les architectes Bize et Ducollet, en ces années 1951-1952, la ville s'enfiévrait d'une campagne électorale politico-médiatique des plus ardentes pour la conquête de la mairie dont les travaux s'achevaient. Il était même décidé d'étendre les enseignements de l'Université d'Alger au domaine nucléaire. Un terrain était d'ailleurs pressenti aux « Quatre Canons », quartier des hauts de ville dominant la baie. M. Michel Luyckx, architecte, fut désigné pour la réalisation.

    En cette année 1952-1953 s'achevait la construction de l'Hôtel du Trésor au quartier de La Marine en cours de reconstruction et s'inaugurait le fameux « tunnel des facs » au cœur de ville. Sans omettre de citer l'imposant ensemble collectif d'appartements du groupe Michelet-Saint-Saëns réalisé par l'architecte-urbaniste Tony Socard.

    La tension des élections municipales retombée fin 1953, le nouveau maire M. Jacques Chevallier, qui avait fait du « logement social » l'un des thèmes favoris de sa campagne allait lancer d'importants programmes sociaux. 1954! La guerre d'Indochine s'achevait. La rébellion armée des nationa­listes algériens musulmans débutait aussitôt. Des événements dramatiques qui ensanglanteront le pays pendant huit ans, mais qui n'auront pas beau­coup d'effets sur la fièvre constructive à Alger. Même les promotions pri­vées se multiplièrent jusqu'en 1959-1960 pour le bonheur des constructeurs qui vivaient une époque bénie où les appartements se réservaient et s'achetaient sur plans.

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    Le Maurétania

     

    A rappeler que l'entreprise des Ateliers Durafour avait participé dans sa spécialité à la construction de la Grande-Poste en 1908. Dès son élection Jacques Chevallier créait, dans le second semestre 1954, un bureau d'urbanisme au sein de la mairie, chargé de le conseiller dans son action municipale. Ce bureau de « conseil » fut vite redouté par les archi­tectes et les promoteurs locaux pour ses avis péremptoires et sans appels(3.5). Jacques Chevallier lançait alors de nouvelles opérations de logements à caractère social qu'il avait fait étudier par Fernand Pouillon, un architecte métropolitain aux ambitions affirmées qui n'allait pas hésiter à concevoir ses projets et réaliser ces opérations en utilisant la pierre d'une carrière des environs de Marseille et que l'OPHLM fit venir par bateaux. Ces opérations de réelle réussite architecturale devaient être construites en un temps record.

    - Diar-es-Saâda (la Cité du bonheur) que l'OPHLM lançait en août 1953 pour 732 logements sur un terrain de 8 ha à l'est de la ville s'achèvera en octobre 1954.

    - Sa sœur jumelle Diar-el-Mahçoul (la Cité de la promesse tenue) que l'OPHLM lançait pour 1550 logements sur un espace de 12 ha et qui s'achèvera en octobre 1955.

    - La troisième opération et la plus importante du couple Pouillon-Chevallier devait être « Climat de France » étalée sur 30 ha pour 4500 loge­ments dont son agora-marché des « deux cents colonnes » et son groupe scolaire.

    Les aménagements complémentaires annexes comprenaient une mosquée, un dispensaire, un bureau de poste, etc. Ces constructions étaient destinées au recasement des habitants de la Casbah et du quartier de La Marine. Vers les années soixante, ces réalisations ambitieuses et généreuses devaient être rattrapées par la démographie galopante de la population musulmane.

    - A citer aussi la « Cité Mahiédine » de Belcourt avec son groupe scolaire destiné au recasement des bidonvilles de ce quartier.

    Les journaux l'Echo d'Alger et la Dépêche quotidienne qui avaient soutenu la campagne électorale de Jacques Chevallier vantèrent les mérites des trois opérations « Pouillon ». Les opérations lancées par la précédente municipalité étaient poursuivies :

    - achèvement par la Régie foncière de la Cité Ferez à Bab-el-Oued avec une tranche de 94 logements complétant le groupe Léon Roches.

    - achèvement du Groupe des « Eucalyptus » d'environ 700 logements à Bab-el-Oued et de 200 derrière le stade municipal du Ruisseau. Opération réalisée par M. Luyckx, architecte, pour l'OPHLM qui s'achèvera en 1956.

    - cette année 1954 verra aussi l'ouverture du chantier de la nouvelle biblio­thèque nationale mené par M. Tombarel architecte.

    En 1955 commencera la construction du Centre des Invalides de l'Afrique française au quartier du Vieux-Kouba qui sera édifié par Marcel-Henri Christofle architecte.

    Son confrère Léon Claro ouvrira le chantier de l'Ecole des Beaux-Arts située sur le boulevard du Télemly.

    On verra aussi s'édifier, en ville, l'immeuble de la Banque de l'Algérie d'une dizaine d'étages par Pierre Vago architecte qui avait pris la suite de son confrère Umbsterstock.

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    Diar es-Saâda, in L'algérie de ma jeunesse 1950-1962, Jacques Gandini

     

    1956 ! Le maire d'Alger Jacques Chevallier devait créer le 1er juin la Société d'équipement de la région d'Alger, la SERA qui comprenait la ville d'Alger, les deux communes voisines de Kouba et Birmandreïs, la Caisse des dépôts et consignations, la Chambre de commerce, les Chemins de fer algériens, la CIA (Cie immobilière algérienne), et enfin l'Algérie dont la présence dans la société devait fournir la preuve que le gouvernement français portait le plus grand intérêt aux projets de la nouvelle municipalité. Aussi le maire relança-t-il une ancienne opération d'importance en loge­ments sociaux encore inégalée en France, sur le « Plateau des Annassers » portant sur un espace de 400 hectares, qui était la reprise d'une étude datant de 1948 qu'avait faite le confrère Tombarel. Il s'agissait d'une future « Cité satellite » de 26000 logements pourvue de tous les équipements publics, sociaux, cultuels et culturels, y compris lycée, hôpital, théâtre et cinémas, commerces et grands magasins. Une véritable gageure que les « événements d'Algérie » allaient engloutir en pure perte. Comme le fameux « Plan de Constantine » entre autres. En 1956, les efforts du ministère de l'Education nationale devait multiplier les réalisations dans l'Algérois avec ces constructions :

    - rectorat (architectes Christofle et Ferrand).

    - Ecole normale d'institutrices, et l'école hôtelière à El-Biar.

    - Ecole normale d'agriculture de Maison-Carrée en extension.

    - groupes scolaires Léon Roches, Frais-Vallon, Diar-el-Mahçoul, Fontaine-bleue (Bize et Ducollet) et musée (architecte Tony Socard).

    Cette année-là vit aussi l'agrandissement de la Grande-Poste par Jacques François Darbéda, qui construira aussi le Central téléphonique d'El-Biar, et enfin à citer aussi le concours d'architecture pour l'immeuble de la rési­dence Shell au lieu-dit du Petit Hydra qui sera remporté par l'architecte Marcel-Henri Christofle.

    Et puis pour finir, en 1956, citons la Compagnie des T. A. (tramways algé­riens) qui devait installer un téléphérique d'une seule portée de 220 m entre les deux cités jumelles Diar-el-Mahçoul et Diar-es-Saâda en passant au-dessus de la rue de Lyon à la hauteur du cimetière musulman du Marabout.

    1957 ! « Les événements d'Algérie » étaient devenus une véritable guerre. Contre toute attente, tant à Alger et autres grandes villes, que dans les com­munes suburbaines, de grosses opérations en logements sociaux étaient lancées. La CIA (Cie immobilière algérienne) va réaliser :

    - à Hussein-Dey: la Cité des Eucalyptus de plus de 2000 logements dont elle confiera la réalisation à l'équipe Bize et Ducollet architectes.

    - à Birmandreïs: la Cité de la Concorde qu'elle confiera aux architectes Daure et Beri pour plus de 1000 logements.

    - à Réghaïa, l'ARMAF sera chargée de réaliser une opération de 400 loge­ments.

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    Diar el-Mahçoul, in L'algérie de ma jeunesse 1950-1962, Jacques Gandini

    En cette année 1957, restait toujours en étude le remembrement du quartier de la Marine. En coordination avec le « bureau du plan » l'architecte et urbaniste Tony Socard va enfin établir le tracé définitif d'urbanisme du quartier. Il en répartira l'exécution des îlots entre ses confrères Lathuillière, Ferrand, Regestre, Lugan, Christofle, Legendre, Engel et Deschly. Le vieux quartier allait être métamorphosé.

    Cette année-là verra la pose de la première pierre de l'Institut nucléaire au quartier des « Quatre canons ». D'autre part M. Tombarel, architecte, sera chargé d'édifier la Maison du bâtiment en ville.

    1958! Tombarel recevra aussi la commande pour édifier la nouvelle Bibliothèque nationale, et l'immeuble-pont routier du Télemly avec le stade Leclerc et l'aménagement du quartier des Tagarins.

    Malgré les très graves événements qui se passaient à Alger en 1958, ainsi qu'en métropole d'ailleurs, les architectes Herbe et Lecouteur, lauréats du concours en 1956 de la basilique chrétienne catholique du Sacré-Cœur, fai­saient démarrer ce chantier exceptionnel en haut de la rue Michelet. La réalisation-chantier devait être suivie par M. Sarger, ingénieur, avec M. Michel Galéa comme chef de chantier.

    1959 ! Le nouveau tripostal d'Alger sera édifié sur les plans et la direction de Léon Claro, architecte. Ce dernier recevra également mission d'architecte d'opération pour la Maison de la Radio et de la TV. Bien que ces deux édifices majeurs pour l'Algérie soient en voie d'achèvement, les événements dramatiques que traversait le pays semblaient avoir marqué un très net ralentissement de l'activité du bâtiment.

    1960 ! M. Emery architecte recevait commande et réalisait un temple pro­testant à Hussein-Dey.

    1961 ! La dégradation de la situation empirait à Alger. Ce qui n'empêcha pas Jacques Vidal architecte de recevoir commande de la municipalité du groupe scolaire de la Rampe Valée, et d'autre part d'être requis pour trans­former l'hôtel Saint-George.

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    Le quartier de Bab-el-oued dominé par la cité des eucalyptus,
    in L'algérie de ma jeunesse 1950-1962, Jacques Gandini

     

    1962 ! La France semblait vouloir terminer généreusement sa présence en Algérie par la construction et la finition de « l'Institut d'études nucléaires de l'Université d'Alger » programmé dans les années 1950. Un programme ayant pour vocation d'étendre et d'intensifier les enseignements dans le domaine de la physique nucléaire et des techniques connexes. Les installa­tions d'équipements adaptés à cette destination, tels qu'un accélérateur électronique, un liquéfacteur mixte d'hydrogène et d'hélium, un microsco­pe électronique, etc., avaient posé de très importants problèmes de struc­tures et de fluides à l'architecte M. Luyckx qui avait dû faire réaliser des murs et dalles en « béton lourd » (béton de baryte) allant jusqu'à 1,50 m d'épaisseur ou encore mettre en œuvre des portes de 120 tonnes, etc.(6). Cette année-là, alors que De Gaulle mettait un point final à cent trente-deux ans de présence de la France en Algérie, le chantier de la basilique du Sacré-Cœur s'achevait comme si les moments dramatiques que vivaient les Français d'Algérie n'existaient pas.

    Une autre ère, un autre destin pour Alger commençait !

    Conclusion :

    Malgré l'indépendance et le temps, Alger conservera son visage de ville française. Certains pourront travestir son histoire et ses fondements, la charnière entre les XIXe et XXe siècles aura marqué Alger du talent des bâtisseurs et architectes de cette époque. Ces derniers auront harmonieuse­ment su s'inspirer tant de l'influence haussmannienne, que d'un courant architectural orientaliste, créant un style néo-mauresque, véritable et déli­cieux joyau pour la ville.

    alger33-BeauxArtsAlger


    L'école des Beaux Arts d'Alger
    in Les Architectes Rapatriés (coll. auteur)

    Georges Mercier


    1- Une inscription épigraphique romaine mentionnant le nom d'Icositanus fut découverte en 1844 dans les ruines d'une maison de la Casbah. Lire aussi dans l'algérianiste: n° 51, 93, 94 et 102.

    2 - Les « donatistes » étaient des chrétiens (fidèles à l'évêque Donat fondateur de cette croyance du IVe siècle) qui se prétendaient seuls héritiers des apôtres. Au Ve siècle, saint Augustin devait lutter contre cette « héré­sie ». L'algérianiste n° 82 sur les évêques d'Algérie de Jean Gueydon.

    3 - F. Braudel est l'auteur de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, A. Colin, Paris. L'algérianiste n° 39 de J. de la Hogue sur les captifs de la régence d'Alger, et n° 58 et 59 - articles de Gaston Palisser.

    4 - Léon L'Africain fut un géographe et conteur musulman du nom de « AI Hassan Ibn Muhamad Al Fassi » né à Grenade au pays de l'Al Andalus qui fut chassé par la « reconquista ». Il devint un voyageur de Fez à Constantinople via EI-Djezaïr, puis à Rome où Léon X, grand pape de la Renaissance le protégea. En 1526 il publia sa Description de l'Afrique qui sera une référence essentielle pour tous les historiens pendant quatre siècles. Amin Maalouf fit de ses aventures une histoire romancée parue en juin 1986.

    5 - L'ouvrage de Haedo Topographie et histoire générale d'Alger , traduit de l'espagnol par le docteur Monnereau et Adrien Berbrügger parut dans la Revue africaine n' 14 en 1870 ainsi que par Albert Devoulx dans « Alger, étude archéologique et topographique aux époques romaine, arabe et turque ». Revue africaine n° 112 de 1975.

    6 - Le procédé daguerréotype (de l'inventeur Daguerre - naissance de la photographie-) apparaîtra en 1838. Ce procédé sera utilisé par l'architecte Amable Ravoisié attaché à la Commission scientifique de l'Algérie en 1837. Avec son confrère et ami Adolphe Delamare, ils laisseront d'inestimables relevés archéologiques publiés aux éditions des frères Firmin Didot à Paris entre 1846 et 1851.

    7 - « Le contexte artistique de l'époque », in « l'algérianiste » n° 105 et 106.

    8 - Keir-ed-Din était le fondateur de la régence El-Djezaïr développant une puissance maritime en Méditerranée qui résista aux Espagnols au XVIe siècle. Il fit relier à la terre les quatre îlots qui se trouvaient devant la baie afin de former une digue de protection. Revues n° 38, 80 et 84 (MM. Nocchi, Vernet et Gaston Palisser).

    9 - L'auteur de ce texte y a fait ses premières années d'études d'architecture avant de « monter à Paris » en section supérieure des Beaux-Arts.

    10 - Quatre ou cinq aqueducs alimentaient la cité en fontaines publiques, et le port pour l'approvisionnement des bateaux, ainsi que les cours des mosquées pour les ablutions des fidèles. À citer l'aqueduc du Télemly qui deviendra plus tard un boulevard.

    11 - À El-Biar, au lieu-dit « Chateauneuf » (nom donné par une famille française originaire de « Chateauneuf-en-Auxois » en métropole), avait existé au temps des Turcs la « ferme des sept puits » attri­buée au consulat de Toscane, puis à la baronne de Stranski et qui deviendra le couvent du Bon Pasteur. Il y avait aussi la « ferme des quatre puits » sur la route allant vers Dely-Ibrahim qui fut remise aux Domaines le 5 mars 1835, et qui sera ensuite vendue sur concession à un particulier.

    12 - La statue équestre du duc d'Orléans élevée par souscription populaire, fut inaugurée le 28 octobre 1845 après sa mort accidentelle survenue le 13 juillet 1842 à Neuilly. Le duc avait fait une guerre de pacification brillante. Le sculpteur et baron Marochetti a été aussi auteur du tombeau de Bellini au cimetière du Père Lachaise, de la statue du duc de Savoie à Turin.

    13 - Djemaâ-el-Djedid, cette mosquée fut sauvée in extremis de la démolition par le commandant du Génie Lemercier. Elle fut dotée d'un minaret qui reçut une horloge lors de sa restauration.

    1.1- Les premiers maires n'exerçaient que des fonctions d'état civil. C'était l'intendant civil qui administrait, et ce n'est que le 28 juillet 1847 que toutes prérogatives furent dévolues aux maires.

    1.2 - Du temps des Ottomans il n'existait aucun éclairage public. Les habitants se déplaçaient la nuit à l'aide de « ballons vénitiens » teintés attachés au bout de bâtons. Un arrêté administratif du 11 juillet 1830 obli­gea chaque demeure à être pourvue d'une de ces lanternes..

    1.3 - L'épopée des misères de ces colons a été racontée par Alain Lardiller sur la revue l'algérianiste 65 de mars 1994, par Marie-Jeanne Groud sur le récit du « Premier convoi de 1848 » au n° 86 de juin 1999, et par Eugène Grand au n° 102 de juin 2003, ainsi que sur l'extrait du Prix algérianiste sur le n° 106 de juin 2004.

    1.4 - À quarante ans de là, ce service deviendra le « Corps des monuments historiques » comme en métropole. S'y illustreront des architectes tels que Boeswillwad, Edmond Duthoit, Albert Ballu et Pierre Guiauchain.

    1.5 - La première ligne maritime Alger-Marseille date de 184r. Par son trafic le port d'Alger allait atteindre le troisième rang des ports français en 1924, juste après Rouen et Marseille. L'extension de l'arrière-port de l'Agha se fera en 1892 et son complet achèvement interviendra en 1912. Les aménagements les plus modernes ne cesseront jusqu'en 1950. Revues n° 34 et 35 de 1986 (articles de M. Nocchi) et n° 51, 52, et 53, 73, 86 et 99 (articles de MM. Scotti et Poutensan).

    1.6 - En 1830 les falaises de bord de mer tombaient à pic d'un dénivelé d'une vingtaine de mètres.

    1.7 - Il y eut même des villages entiers de familles d'Alsaciens-Lorrains regroupés. Revues l'algérianiste n' 52, 53 et 73 (texte de M. Scotti).

    1.8 - M. Georges-Pierre Hourant illustrera les revues n' 40 sur A. Daudet, n° 69 sur P. Lotti, n' 100 sur V. Hugo.

    1.9 - La vie de C. Saint-Saëns nous est relatée sur la revue n° 37 de mars 1987 par Marie-Jeanne Guion de Mériteras.

    1.10 - Les merveilleux albums de Marion Vidal-Bué et de Georges Hirtz à consulter.

    1.11 - La présence de cette petite colonie britannique à Alger coïncidait toutefois avec les rivalités coloniales entre l'Angleterre et la France à la charnière des deux siècles.

    1.12 - Les « Facs » seront le théâtre de la « journée des dupes » du 13 mai 1958, puis des « barricades » du 24 janvier 1960, l'algérianiste 38 de juin 1987, n' 105 de mars 2004, n' 106 de juin 2004, n' 107 de septembre 2004. D'autre part M.1. P Fillard a écrit l'histoire des Facs dans la collection Mémoire d'autrefois.

    1.13 - Revue n° 77. Lire les articles d'Alain Renaud et de Marie-Jeanne Groud sur la lutte contre le paludisme et l'œuvre considérable de l'institut Pasteur. La revue n' 93 de mars 2001 relate l'histoire de la médecine française en Algérie.

    2.1 - Sur la création de la Villa Abd-el-Tif, voir l’Algérianiste n° 65 et 81. La Villa sera classée monument historique en 1922, mais cette institution ne semble été conservée après 1962.

    2.2 - Edifiée sur l'emplacement d'une ancienne chapelle anglicane, la Grande Poste restera attachée au drame du 26 mars 1962, lorsque le gouvernement gaulliste assènera le coup d'arrêt à l'Algérie française. Lire l'algérianiste n° 97, 101, 117 et le présent numéro p. 28. Après ce crime d'Etat la population française d'Algérie, se sentant non seulement abandonnée mais prise entre deux feux sanguinaires, devait entamer un exode sans même une assistance officielle.

    2.3 - Le Champ-de-Manoeuvres faisait 60 ha. S'y trouvaient le parc à fourrage, les casernes de la cavalerie, du train, la cartoucherie, l'Arsenal et le champ d'exercices

    2.4 - La ville ne possédait que les vieux marchés de la rue de la Lyre, et de la rue Randon à la limite de la Casbah, puis sur l'ancienne commune de Mustapha les marchés Clauzel et Meisonnier.

    2.5 - Les frères Perret, Auguste Gustave et Claude s'étaient déjà fait connaître à Alger en construisant le pavillon de l’Algérie lors de exposition coloniale de 1906. Ils avaient aussi beaucoup construit au Maroc et notamment a Casablanca. Ils s'installent à Alger en 1930 pour la réalisation du Palais du « Gouvernement général » sur le projet de l'architecte Guiauchain. L'entreprise réalisera aussi le « Forum ».

    2.6 – Le 13 mai sera pour tous les Français une nouvelle « journée des dupes » qui ne grandira sûrement pas l’histoire de la France dans le monde. D'ailleurs les conditions de la prise de pouvoir par De Gaulle n’est jamais commémorée, ni remémorée par les médias.

    2.7 - Le pogrom de 1934 des musulmans sur le quartier juif de La Marine fut des plus sanglants.

    2.8 - L'algérianiste n° 115. Texte de MM. Palomba et Scotti sur les désastres du ressac des années 1931 et 1934.

    2.9 - Dans les années 1930 des camions citernes du service de nettoiement déversaient chaque nuit de l'eau de mer du haut de la ville. D'autre part, tôt le matin, les petits ânes de service du nettoyement parcouraient les ruelles pour évacuer les détritus.

    2.10 - L'algérianiste n° 45. Texte de Louis Lataillade sur Le Corbusier à Alger

    2.11 - Le déclassement définitif des fossés et remparts n'aura lieu qu'en 1935. Il libérera notamment les terrains en pente du bd Laferrière.

    3.1 - L'algérianiste, revues n° 34, 59, 60, 61, 62, sur les événements capitaux de la Seconde Guerre mon­diale.

    3.2 - Revues n° 86 et 108. De 1942 à 1945 le siège de la France libre se tenait dans le lycée Fromentin à Alger.

    3.3 - Témoignages des dramatiques événements de Guelma et Sétif en 1945 dans les revues n° 72, 73 et 74 de l'algérianiste.

    3.4 - Revue n° 41. Texte sur l’E.G.A.

    3.5 - Revue n° 100. Texte de l’auteur.

    3.6 - Baryte : du grec « barus » signifiant lourd. Densité 5,54. Il semble que ce bâtiment très excep­tionnel ait connu une autre destination après l'indépendance de l'Algérie. Revues n° 99 et 100.

     

    Bibliographie :

    - L'entière collection de la revue trimestrielle de l'nlgérianiste.

    - Les feuillets d'El-Djezaïr (tomes I et II) du Comité du vieil Alger.

    - Esquisses anecdotiques et historiques du vieil Alger, de Fernand Arnaudiès.

    - L'Algérie et son patrimoine, de Ahmed Koumas et Cherazade Hofa. Dessins français du XIXe siècle.

    - El-Djezaïr - La mémoire, de Mohamed Sadek Messikh, éd. el Raïs.

    - « L'école d'Alger -1830 -1962 », Collection du musée national des Beaux-Arts d'Alger - Musée des Beaux-Arts de Bordeaux.

    - Palais et demeures d'Alger à la période ottomane, par Lucien Galvin (Edisud).

    - Mémoire en images, de Teddy Alzieu, éd. Alan Sutton.

    - Alger de ma jeunesse, de Jean-Charles Humbert (deux tomes), éd. Jacques Gandini.

    - Le pays d'où je viens, par Elisabeth Fechner, éd. Calmann-Lévy.

    - Documents personnels.

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