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  • Même s'ils en gardent des cicatrices, les humains peuvent dépasser des traumatismes graves. Telle est l'encourageante conclusion à laquelle aboutissent les travaux sur la résilience. Les spécialistes du domaine s'intéressent particulièrement aux facteurs de protection, au premier rang desquels se situent les relations affectives avec les proches.

    Comment survivre au malheur ? C'est l'inévitable question à laquelle doivent répondre très concrètement toutes les personnes qui passent ou sont passées par une situation particulièrement traumatisante, qu'il s'agisse de victimes d'attentats, d'enfants maltraités, de rescapés des camps de concentration, ou encore de patients atteints de maladies graves.

    Pendant de longues années, les spécialistes avaient tendance à estimer qu'un drame personnel conduisait très souvent à une psychopathologie. Par exemple, un enfant maltraité devenait presque nécessairement un délinquant, puis un parent maltraitant, voire un criminel. Mais les faits sont venus contredire ce regard pessimiste, et aujourd'hui, des chercheurs de plus en plus nombreux s'intéressent aux processus qui permettent à quelqu'un de mener une existence relativement normale malgré des traumatismes importants. Le terme de résilience, encore peu connu, désigne ainsi l'aptitude à survivre à des événements particulièrement douloureux. Mais cela est plus qu'une simple capacité de résistance, c'est également une dynamique qui permet à la personne de réagir positivement, de construire une existence relativement satisfaisante. Comme le dit Boris Cyrulnik, qui vient de consacrer à ce phénomène un récent ouvrage, la résilience est caractéristique d'une « personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d'espérer quand même »(1).

    Une découverte inattendue

    La majeure partie des travaux sur la résilience porte sur des enfants. L'utilisation de ce terme en psychologie remonte au milieu des années 60, lorsque des chercheurs s'étonnent de constater que des enfants grandissant dans des conditions particulièrement difficiles se développent normalement (2).

    Au départ, les chercheurs avaient décidé de suivre sur plusieurs dizaines d'années le vécu de tous les enfants nés en 1955 sur l'île Hauai, dans l'archipel des îles Hawaï. Sur 698 enfants, 201 présentaient un risque élevé de développer des troubles (en cumulant au moins quatre sources de stress, tels qu'une naissance difficile, une pauvreté chronique, ou encore un environnement familial marqué par les disputes, le divorce, l'alcoolisme ou la maladie mentale). De fait, presque les 2/3 de ces enfants ont eu de sérieuses difficultés d'apprentissage à 10 ans, et d'autres problèmes, comme la délinquance, à 18 ans. Mais les autres se sont bien développés, sachant « tirer avantage de toute occasion pour s'améliorer ».

    Ces personnes présentaient certaines caractéristiques : elles étaient issues de familles peu nombreuses, avec des naissances espacées, et avaient bénéficié de l'attention d'une personne bienveillante, « qui les acceptait inconditionnellement ». Elles avaient ainsi pu donner un sens à leur vie et contrôler leur destin. A l'âge adulte, ceux et celles qui étaient mariés entretenaient des relations étroites avec leur conjoint(e) et nombre d'entre eux avaient une foi religieuse profonde.

    Par ailleurs, un grand nombre des enfants à haut risque qui avaient eu des problèmes à l'adolescence rebondissaient à l'âge adulte. Les principaux aspects qui avaient déterminé ce changement étaient le service militaire, le mariage, le soutien de personnes proches, le fait d'être parent et la participation à un groupe religieux.

    Des critiques méthodologiques

    Un autre élément a favorisé le développement des études sur la résilience : des critiques méthodologiques se sont élevées, à partir des années 70-80, à l'encontre de diverses études diffusant l'idée de « transmission intergénérationnelle » de la maltraitance (3). En fait, beaucoup de chercheurs ont fait quasiment la même erreur que nombre de travailleurs sociaux, celle que B. Cyrulnik appelle le biais du professionnalisme : ils ne repèrent que les personnes qui répètent la maltraitance. Dès lors, celle-ci semble bien plus importante qu'elle ne l'est en réalité. En effet, si l'on examine les origines familiales d'un enfant maltraité, on constate que dans la grande majorité des cas, ses parents ont eux-mêmes été maltraités. D'où l'idée que la maltraitance se transmet de génération en génération. C'est d'ailleurs la conclusion de diverses études utilisant cette approche dite rétrospective.

    Or, il s'agit là d'une erreur de perspective. En effet, si l'on prend le processus dans le bon sens chronologique, c'est-à-dire si l'on étudie ce que deviennent des enfants maltraités une fois devenus adultes, on constate que seule une faible proportion devient délinquante et/ou maltraitante. Cette méthodologie, dite prospective ou longitudinale, est plus lourde et donc plus coûteuse et plus rarement utilisée, mais fournit une image bien plus juste de la réalité.

    Pour illustrer cette différence, observons les chiffres obtenus par deux enquêtes françaises sur les enfants placés par les services d'aide à l'enfance. Marie Anaut, maître de conférences à l'université Lyon-II, a étudié l'origine d'un groupe de 56 enfants placés en famille d'accueil (4). Environ la moitié des mères de ces enfants avaient elles-mêmes été placées quand elles étaient enfants. Elle estime que ces mères n'ont pas eu de modèle parental solide, qui aurait fourni la base sur laquelle fonder leur propre vécu de parent. Elles sont donc incapables de s'occuper correctement de leurs enfants, lesquels se trouvent placés, soit volontairement par la mère, soit autoritairement par les instances judiciaires.

    M. Anaut en conclut que « les carences familiales semblent se transmettre de génération en génération comme un "héritage relationnel". »

    Or, le tableau est beaucoup moins sombre dans l'étude réalisée par Michel Duyme, chercheur au CNRS, et ses collègues, menée auprès de 563 sujets ayant été placés pendant leur enfance (5). Elle montre que seulement 5 à 6 % des ex-placés reproduisent ce comportement. Si l'on compare ce taux de placement avec celui de la population française générale (1%) et plus encore avec celui de la strate sociologique de l'étude (en l'occurrence la classe ouvrière, qui présente un taux de 2 %), on constate qu'il y a un risque plus élevé de répétition du placement, mais seulement dans une faible proportion.

    Mais comment se fait-il que l'usage de méthodologies différentes puisse conduire à des résultats aussi divergents ? Une autre étude peut faciliter la compréhension, car elle permet précisément de repérer simultanément les deux types de pourcentage (6). A partir des mêmes données factuelles, le taux de transmission de la maltraitance est soit de 90 %, soit de 18 %, selon l'approche adoptée ! Rosemary S. Hunter et Nancy Kilstrom ont interviewé 282 parents d'enfants admis dans un service de soins intensifs, ce qui leur a permis de constater que 49 de ces parents avaient été maltraités durant leur enfance. Un an plus tard, on constate que 10 enfants ont été maltraités, dont 9 étaient issus de parents anciennement maltraités eux-mêmes.

    On peut en conclure, soit que la transmission est de 90 %, puisque 9 enfants maltraités sur 10 sont issus de parents ex-maltraités ; soit que la transmission est de 18 %, puisque 9 enfants ont été maltraités, à partir d'une population de 49 parents ex-maltraités. Or, c'est bien le second taux qui est à retenir. Ainsi, comme le souligne B. Cyrulnik, « la résilience est donc la règle, (...) mais c'est la première fois qu'on y réfléchit ».

    Un ressort invisible

    La résilience ne concerne pas que les enfants, mais également les personnes qui subissent un traumatisme à l'âge adulte. Gustave-Nicolas Fischer, professeur de psychologie sociale à l'université de Metz, a enquêté avec ses étudiants auprès de personnes ayant souffert de situations extrêmes de quatre types : une maladie mortelle (cancer, sida), la guerre, le camp de concentration, la perte d'un être cher (7).

    Pour surmonter cette épreuve, ces personnes ont dû puiser au fond d'elles-mêmes des ressources latentes, mais jusqu'alors insoupçonnées, d'où le titre de l'ouvrage, Le Ressort invisible. Ce ressort leur a permis de transformer l'obstacle en tremplin, la fragilité en richesse. « Paradoxalement donc, écrit G.-N. Fischer, c'est lorsqu'on doit affronter la mort que l'on apprend à vivre. » L'individu qui est passé par une situation extrême en éprouve certes les stigmates, mais est en même temps transformé par elle. Il en vient notamment à se demander s'il a des raisons de se battre, ce qu'il n'a pas l'occasion de faire habituellement.

    Une situation extrême entraîne généralement chez la plupart des personnes un véritable changement de personnalité, une métamorphose intérieure. Il peut y avoir blindage émotionnel et repli sur soi, mais aussi élargissement du regard, en particulier chez les personnes atteintes de maladie grave. Un homme s'exprime ainsi après une rechute cancéreuse : « Après ce genre d'épreuve, on prête moins d'attention aux petites misères de la vie, on relativise les choses et puis on adopte aussi une autre philosophie de la vie : on se dit qu'après tout on est déjà sursitaire et, de ce fait-là, on a tendance à beaucoup plus apprécier les bienfaits de la vie. »

    Ces personnes soulignent généralement que se sentir aimé par leurs proches constitue un soutien essentiel. Ainsi, une femme de 49 ans, atteinte du cancer, déclare : « Mon mari et mes enfants ont été très près de moi, l'amour qu'ils m'ont donné est un don inestimable. Leur affection et leur soutien m'ont permis de prendre conscience de la valeur et de la présence que je représentais pour eux. Ils ont donné un sens à ma vie. »

    Une autre encore affirme : « Avant d'être malade, je me disais quelquefois, suite à de gros problèmes : la vie ne vaut pas le coup d'être vécue. Maintenant, j'ai envie de vivre. Je suis plus tolérante avec tout le monde. J'essaie de comprendre le comportement des gens, je vais plus au fond des choses. »

    Pour G.-N. Fischer, ces personnes sont certes devenues des êtres vulnérables, meurtris dans leur corps et leur âme, mais c'est précisément l'expérience de leur vulnérabilité qui a été au coeur de leur survie.

    Les bienfaits des relations humaines

    Constatant qu'il n'y a pas nécessairement de rapport mécanique entre un traumatisme et des troubles psychologiques, les spécialistes de la résilience se sont intéressés aux facteurs de protection, qu'on peut schématiquement classer en trois catégories : les facteurs affectifs, cognitifs et conatifs. Précisons toutefois que les limites de ces trois catégories ne sont pas toujours nettes.

    Les facteurs affectifs concernent essentiellement les relations chaleureuses que l'individu résilient entretient avec des proches. Nous avons pu noter leur importance pour les personnes gravement malades. Mais l'affection des proches est une ressource utile dans toutes sortes de situations extrêmes. Comme le souligne Antoine Guédeney, pédopsychiatre et membre de l'Institut de psychanalyse de Paris, « on n'est pas résilient tout seul, sans être en relation » (8). Ainsi, nombreux sont les prisonniers de camps de concentration ou les personnes retenues plusieurs années comme otages qui ont ensuite déclaré avoir tenu le coup parce qu'ils savaient que leur famille les attendait et s'inquiétait de leur sort. De même, plusieurs études montrent que ceux qui ont, en tant que parents, brisé le cercle vicieux de la maltraitance dont ils avaient été victimes, vivent généralement une relation de couple stable et épanouissante, au point que l'on constate parfois une stabilité conjugale supérieure à celle qui a cours dans la population générale.

    L'affection joue évidemment aussi un grand rôle dans l'enfance. Dans la plupart des cas d'enfants résilients suite à la maltraitance, on constate que ceux-ci ont bénéficié du soutien affectueux d'un proche, que ce soit l'un des deux parents, ou bien un oncle ou une grand-mère. Par exemple, B. Cyrulnik raconte l'histoire de Maurice, qui a passé les dix premières années de sa vie auprès de parents alcooliques qui se battaient quotidiennement (9). A 10 ans, il est placé dans une institution où il fait la connaissance d'un jardinier avec lequel il discute un peu chaque jour. L'enfant est émerveillé car c'est la première fois de sa vie qu'on lui parle gentiment et qu'il entend de belles histoires de fleurs. Aujourd'hui, Maurice est universitaire et garde toujours une profonde reconnaissance envers cet homme qui a illuminé son existence.

    Charles Baddoura, professeur de psychiatrie, souligne qu'au cours de la guerre du Liban, qui a duré plus de seize ans entrecoupée d'accalmies, les réactions ont été très différentes d'un enfant à l'autre, certains ayant souffert de troubles dépressifs alors que d'autres se portaient bien (10). Or, ces différences dépendaient de l'atmosphère régnant dans l'environnement proche de l'enfant plus que du niveau d'exposition au stress. Par exemple, les enfants déprimés avaient généralement une mère qui n'arrivait pas à maîtriser ses angoisses face au stress, ce qui se traduisait par une attitude hyperprotectrice ou inversement trop absente.

    Une comparaison des propos tenus par deux mères est à cet égard révélateur. La mère d'Ali, 8 ans, psychologiquement perturbé, déclare : « Durant ma grossesse, il y avait des obus. J'avais peur, très peur. A la fin, mes nerfs ont lâché, on m'a donné des tranquillisants. Lorsque j'ai accouché, j'ai beaucoup souffert et j'ai fait une dépression. Par la suite de l'accouchement, nous avons déménagé plusieurs fois. Cela m'a rendue très faible et Ali a eu très peur. Il a toujours très peur. Il ne dort qu'à côté de moi la nuit. Je le sens et le veux très proche de moi, parce qu'il ne peut pas se débrouiller seul. »

    Quant à la mère de Walid, 10 ans et bien équilibré, elle affirme : « La grossesse s'est déroulée dans de très bonnes conditions bien que les obus se soient abattus tout près d'ici. Par la suite, le quartier a pas mal subi, mais on n'a jamais fait sentir l'angoisse aux enfants. Nous parlions, nous discutions beaucoup ensemble de ce qui se passait. J'essayais énormément de me maîtriser, de ne pas crier, d'être calme. »

    Trouver un sens à l'existence

    A côté des facteurs affectifs, agissent également les aptitudes cognitives. Les personnes résilientes sont capables de se fixer des objectifs et d'élaborer une stratégie pour y parvenir. De plus, elles analysent leur situation, ce qui leur permet de prendre des distances d'avec une souffrance qui risquerait autrement de les submerger. Dans son ouvrage, B. Cyrulnik insiste longuement sur l'aptitude de certains enfants à faire de leur expérience personnelle un récit. Il souligne que la mise en mot d'une souffrance respecte presque toujours les règles du bon théâtre : l'identité narrative de l'auteur, l'action, le but, la scène, l'instrument. Au point parfois de reconstruire le passé : « Quand on raconte son passé, on ne le revit pas, on le reconstruit. Ce qui ne veut pas dire qu'on l'invente. Ce n'est pas un mensonge. Mais tout ne fait pas événement dans une vie. On ne met en mémoire que ce à quoi on a été rendu sensible. »

    Le psychiatre Victor Frankl a pour sa part élaboré une forme de psychothérapie, la logothérapie, entièrement fondée sur la nécessité de trouver un sens à l'existence (11). Pour lui, de nombreuses névroses sont « noogènes », c'est-à-dire liées à l'absence de sens ressentie par les individus. Et c'est essentiellement le passage en camp de concentration qui l'a conduit à une telle réflexion.

    De cette expérience douloureuse, il a retiré la conviction que l'être humain peut supporter une souffrance inévitable, à condition qu'il lui trouve un sens. V. Frankl décrit notamment un entretien avec l'un de ses patients, profondément déprimé depuis la mort de sa femme survenue deux ans auparavant. A un certain moment, il demande à cet homme :

    « - Et si vous étiez mort le premier et que votre femme ait eu à surmonter le chagrin provoqué par votre décès ?

    - Oh ! pour elle, ç'aurait été affreux ; comme elle aurait souffert !

    - Eh bien, cette souffrance lui a été épargnée, et ce, grâce à vous. Certes, vous en payez le prix puisque c'est vous qui la pleurez. »

    Ce propos a permis à l'homme de voir la situation sous un autre angle et de lui fournir une certaine consolation.

    Il y a enfin un troisième groupe de facteurs de protection, les processus conatifs, terme qui renvoie à la volonté de l'individu, à ses motivations.

    Plusieurs rescapés des camps de la mort ont souligné qu'il était essentiel de conserver sa dignité morale. Le psychanalyste Bruno Bettelheim, qui a lui-même été interné, note que pour survivre, il fallait obéir à des ordres avilissants, mais ne le faire qu'en se rappelant que c'était pour rester en vie et inchangé en tant que personne (12). « Les prisonniers qui ne faisaient pas taire la voix du coeur et de la raison (...) se rendaient compte (...) qu'ils conservaient la dernière, sinon la plus grande des libertés : choisir leur attitude dans n'importe quelle circonstance. »

    De même, Nathan Chtcharanski, l'un des plus célèbres dissidents soviétiques, explique que pour résister aux brimades de ses geôliers, il lui fallut d'abord apprendre à ne pas se mépriser pour ce qu'il subissait. Sa survie était intimement liée au respect de lui-même (13). « Une fois que j'eus compris cela, rien de ce qu'ils pouvaient faire ne parvint à m'humilier. Moi seul pouvais m'humilier en commettant quelque acte dont je pourrais rougir par la suite. (...) Je me répétais inlassablement cette phrase, jusqu'à ce qu'elle fût profondément ancrée en moi : "Rien de ce qu'ils peuvent me faire ne saurait m'humilier." Quand j'eus assimilé ce principe, rien, ni les fouilles, ni les punitions, ni même, cinq ans plus tard, plusieurs tentatives de me nourrir de force par le rectum lors d'une grève de la faim prolongée, ne parvint à me faire perdre le respect de moi-même. »

    (Ré)apprendre à aimer

    L'impact de la détermination personnelle se retrouve également chez les enfants maltraités. Une différence essentielle distingue généralement ceux qui reproduisent ce comportement parental et ceux qui brisent le cercle vicieux. Les premiers ont tendance à minimiser, voire à nier la violence dont ils ont été victimes (par exemple : « C'est vrai, mon père me tapait, mais c'est normal, c'est parce que j'étais méchant »). A l'inverse, ceux qui ressentent ce comportement comme une injustice grave, comme quelque chose d'anormal, prennent généralement la ferme décision de ne pas l'imiter et y parviennent souvent.

    Dans son ouvrage au titre significatif Des hommes qui aiment, Susan Edwards, psychologue clinicienne, rapporte plusieurs exemples d'hommes privés d'amour dans leur enfance et qui ont dû apprendre à aimer (14). Elle rapporte les propos de Shawn, 35 ans : « Comment pourrais-je faire un bon père, me disais-je, si je n'en ai jamais eu moi-même ? J'ai observé comment mon beau-père et mes trois beaux-frères se comportaient avec leurs enfants, et j'ai beaucoup appris. On choisit d'être un bon père. J'aime tendrement mes enfants, car je me souviens de ma propre jeunesse. Maintenant, je sais que l'ombre d'un père sans amour ne détermine pas ma vie. Tout ce que j'avais à faire était de renoncer au passé pour construire l'avenir. » Pour certains chercheurs, la meilleure preuve de la résilience chez les individus anciennement maltraités réside précisément dans leur comportement affectueux auprès de leurs enfants.

    Au final donc, ce que montrent les témoignages de victimes et les différents travaux sur la résilience, c'est qu'il existe au fond de l'être humain des ressources insoupçonnées, qui le rendent capable de dépasser de nombreuses épreuves apparemment insurmontables. -

     

    «Je devais survivre, accomplir une mission, devenir médecin »

    «S i j'ai voulu m'occuper d'adolescents, ce n'était pas pour voir comment se passait une adolescence ordinaire ; c'était pour tenter de me guérir, en donnant aux adolescents qui n'arrivaient pas à se dépatouiller de leur crise pubertaire l'aide dont j'aurais eu besoin et que personne ne m'a donnée. » Ainsi s'exprime, dans son dernier livre, Samuel Tomkiewicz, spécialiste internationalement reconnu de la psychiatrie de l'adolescent (1).

    Sa propre adolescence, il l'a passée derrière les murs rouges du ghetto de Varsovie, puis au milieu des barbelés du camp de Bergen-Belsen. Il s'est échappé d'un wagon qui l'emmenait, avec sa famille, vers une destination inconnue. Sa famille est morte et il éprouve toujours la souffrance d'avoir laissé ses proches dans le train.

    Hormis sa famille, qu'il décrit comme unie et qui lui a permis de se projeter dans l'avenir, un homme a joué un rôle essentiel dans son existence. Il s'agit d'un psychiatre qu'il a rencontré dans le ghetto après avoir tenté de se suicider. Cet homme lui affirme qu'il a confiance en lui, qu'il pense que ce jeune désespéré qu'il a devant lui est en fait bourré de capacités et qu'il se débrouillera très bien dans la vie, une fois la guerre terminée.

    Cette discussion suffit pour que le jeune Tomkiewicz retrouve le goût de vivre, et elle exercera plus tard une influence prépondérante sur son choix professionnel. « Si je suis devenu psychiatre moi-même, c'est aussi pour rendre aux autres ce que j'ai pris à cet homme ; c'est une des motivations les plus fortes que je me connaisse. J'avais une dette envers lui : il avait réinjecté le désir de vivre à l'adolescent perdu et suicidaire que j'étais. Je lui dois sans doute en partie mon invulnérabilité, par la suite, pendant la guerre : je devais survivre, accomplir une mission, devenir médecin. »

    Il a notamment travaillé pendant vingt-trois ans dans un centre d'accueil pour jeunes délinquants. Pour lui, le comportement de ces jeunes vient d'abord de ce qu'ils ne se respectent pas eux-mêmes, parce qu'ils n'ont pas été respectés. Il faut donc commencer par les aider à retrouver une image correcte d'eux-mêmes, en adoptant ce qu'il appelle une «Attitude authentiquement affective» (AAA). Ce qui implique de considérer que tout adolescent a une énergie créatrice potentielle, laquelle peut se développer s'il se sent aimé. Et pour Tomkiewicz, c'est sans conteste sa propre adolescence volée qui l'a conduit à adopter une telle attitude.

    NOTES
    1

    S. Tomkiewicz, L'Adolescence volée, Calmann-Lévy, 1999.

    «Personne ne battra jamais mon bébé comme j'ai été battue »

    Annie est une jeune mère de 16 ans, qui refuse de s'occuper de son fils Greg, 3 mois 1/2, et qui laisse son mari le faire. La famille d'Annie est connue depuis trois générations par les services sociaux ; son père est décédé lorsqu'elle avait 5 ans, et sa mère abandonnait régulièrement sa famille. Quant au beau-père, c'était un alcoolique qui frappait Annie avec une planche.

    Une équipe de thérapeutes et chercheurs, travaillant pour le « Projet pour le développement de l'enfant », a souhaité apporter son aide à cette jeune femme (1). Annie refuse tout d'abord, mais une relation de confiance s'installe progressivement entre elle et la thérapeute. Après plusieurs visites de celle-ci au domicile d'Annie, la jeune femme raconte son histoire. C'est à cette occasion, alors que le bébé se met à pleurer, que la thérapeute voit pour la première fois Annie aller le prendre et le serrer fortement dans ses bras. Cependant, en le taquinant, elle lui dit : « Je vais te battre » et même « Quand tu seras grand, peut-être que je te tuerai ». La thérapeute en conclut que si Annie a si peur de se rapprocher de son bébé, c'est en fait par crainte de le détruire.

    Au cours des visites suivantes, Annie continue à parler de son histoire, et la thérapeute en profite pour établir discrètement un parallèle entre le besoin d'amour d'Annie et le besoin d'amour de son fils. Annie arrive progressivement à exprimer plus librement ses affects douloureux par rapport à ce qu'elle a vécu, et dit qu'on ne doit pas frapper un enfant. Au milieu de ses crises de larmes, elle va chercher son bébé et le prend dans ses bras. Selon l'équipe de chercheurs, c'est parce qu'Annie s'identifiait initialement à ceux qui l'avaient agressée qu'elle avait eu tendance à répéter la violence et la négligence envers Greg. Alors que maintenant, elle protège son enfant, au point de déclarer un jour : « Personne ne battra jamais mon bébé comme j'ai été battue ».

    NOTES
    1

    S. Fraiberg, E. Adelson et V. Shapiro, « Fantômes dans la chambre d'enfants ; une approche psychanalytique des problèmes qui entravent la relation mère-nourrisson », Psychiatrie de l'enfant, 1983, vol. 26, n° 1.

     

    Mots-clés :

     

    NOTES

    1.

    B. Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999.


    2.

    E.E. Werner, « Children of the garden island », Scientific American, avril 1989.


    3.

    Voir, entre autres, J. Kaufman et E. Zigler, « Do abused children become abusive parents? », American Journal of Orthopsychiatry, avril 1987, vol. 57, n° 2 ; C. Spatz Widom, « Does violence beget violence? A critical examination of the litterature », Psychological Bulletin, juillet 1989, vol. 106, n° 1 ; J.E. Oliver, « Intergenerational transmission of child abuse: Rates, research, and clinical implications », American Journal of Psychiatry, septembre 1993, vol. 150, n° 9.


    4.

    M. Anaut, Entre détresse et abandon : la répétition transgénérationnelle chez les enfants placés, Editions du CTNERHI, 1997.


    5.

    J.-P. Assailly, M. Corbillon et M. Duyme, « Transmission intergénérationnelle et comportement parental ; étude longitudinale d'enfants placés », Neuropsychiatrie de l'enfance, juillet 1989, vol. 37, n° 7.


    6.

    R.S. Hunter et N. Kilstrom, « Breaking the cycle in abusive families », American Journal of Psychiatry, octobre 1979, vol. 136, n° 10.


    7.

    G.-N. Fischer, Le Ressort invisible ; vivre l'extrême, Seuil, 1994.


    8.

    A. Guédeney, « Les déterminants précoces de la résilience », dans B. Cyrulnik (dir.), Ces enfants qui tiennent le coup, Hommes et perspectives, 1998.


    9.

    B. Cyrulnik, op. cit.


    10.

    C. Baddoura, « Traverser la guerre », dans B. Cyrulnik (dir.), Ces enfants qui tiennent le coup, op. cit.


    11.

    V. Frankl, Découvrir un sens à sa vie, Editions de l'homme/Actualisation, 1988.


    12.

    B. Bettelheim, Le Coeur conscient, Robert Laffont, 1972.


    13.

    N. Chtcharanski, Tu ne craindras pas le mal, Grasset, 1988.


    14.

    S. Edwards, Des hommes qui aiment, Bayard Editions, 1996.

    Source : http://www.scienceshumaines.com/la-resilience-resister-aux-traumatismes_fr_11193.html

     

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  • A Paris, l’Eglise catholique exploitait 3000 bordels et 40 000 prostituées : mères célibataires, vierges violées, veuves ou répudiées

    « On ne peut traverser le pont d’Avignon sans rencontrer deux moines, deux ânes et deux putains. » Ce célèbre adage médiéval témoigne de la vitalité du « plus vieux métier du monde » dans la cité des papes. Mais bien d’autres villes de France peuvent se targuer d’une telle réputation. S’il est certain que l’Église et l’État exploitaient les bordels et prostituées déclarées, rien n’atteste qu’ils géraient la totalité des 3000 bordels parisiens du 15e siècle, et des 40 000 prostituées parisiennes du 18e siècle, pour la plupart clandestines.

    BIBLIOGRAPHIE :

    • Jacques Rossiaud, La prostitution Médiévale, édition Flammarion 1988
    • Brigitte RochelandetHistoire de la prostitution du Moyen Age au XX° siècle, édition Cabédita 2007
    • Séverine Fargette travaille sur le thème « Violence, justice et société en France au Moyen Age ». Elle prépare une thèse sur le conflit entre armagnacs et bourguignons (1407-1420).
    • Erica-Marie Benabou, « La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle »
    • Charles Jérôme Lecour, « La Prostitution à Paris et à Londres »
    • Alexandre Parent du Châtelet, De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l’hygiène publique, de la morale et de l’administration : ouvrage appuyé de documents statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police
    • Jean-Marc Berlière, La police des mœurs sous la IIIe République. Limites et réalités d’une « Police Républicaine »

    Les causes anthropologiques

    L’Église contrôle la sexualité pour garantir des héritiers légitimes

    Le Moyen-âge s’étend sur près d’un millénaire, de 476 (chute de Rome) à 1453 (fin de la guerre de Cent-Ans). Compte tenu du rôle de l’Église dans la prostitution, il est utile de marquer son début en France avec la conversion chrétienne (496) de Clovis, roi des Francs. Ce baptême marque en effet le début du lien entre le clergé et la monarchie française, dorénavant le souverain règne au nom de Dieu et seuls ses descendants légitimes (fils conçus dans le mariage) peuvent accéder au trône. La légitimité passe par la foi catholique et par les liens sacrés du mariage (seul garant de la reconnaissance de paternité). On remarquera qu’au Vatican, l’âge du mariage est aujourd’hui encore de 14 ans pour les filles, il était de 12 ans jusqu’au début du XXe siècle. Fort de l’autorité divine, le clergé catholique se donne comme mission sociale de réglementer la sexualité (virginité & chasteté). Cette réglementation se colore à la fois du rôle sexuel pervers attribué à la femme dans la chute biblique de l’homme (la pomme d’Ève) et d’une application confrontée aux débauches et contingences de l’époque (la paternité n’est plus garantie). Inutile de dire que la prostitution n’a officiellement pas droit de cité.

    Lire Le serpent de la tentation, compagnon de la Déesse-Mère primordiale

    En croisade contre le sexe

    Durant ce millénaire, pas moins de 25 conciles, dont quatre des conciles du Latran, vont en effet exiger la chasteté avant le mariagecondamner le plaisir sexuel et interdire les positions qui ne servent pas uniquement à la procréation. Toutefois, malgré les nombreux interdits et exigences de l’Église, tous les actes sexuels illicites se pratiquent, et pas toujours en cachette, loin de là! Ainsi en est-il de la prostitution, une pratique hautement dénigrée par l’Église, et pourtant répandue à travers toute la France, y compris par les bons offices des religieux et religieuses, avec le soutien dévoué de la noblesse…

    Pour prévenir les viols collectifs

    Le terme « viol » n’apparaît qu’au XVIII° siècle. Avant on parle d’efforcement ou de défloration si le viol a lieu sur une femme vierge. Le viol est très courant à l’époque médiévale, cependant peu de plaintes sont à noter : peur des représailles, honte sur la famille… Ces viols sont le fait des jeunes hommes. En bande, ces jeunes citadins « chassent la garce ». On les appelle les « hommes joyeux ». L’affirmation de la virilité entraîne fréquemment un déchaînement de violence et se traduit par des viols collectifs commis sur des femmes isolées et faibles, réputées communes. Soucieuses d’éviter ces dérapages, les autorités encouragent l’essor d’une prostitution officielle. La prostitution est un phénomène de sécurité publique et donne satisfaction aux pulsions les plus enfouies. Comme certains le disent, la prostitution est un mal nécessaire. Les prostituées ont une responsabilité sociale : défendre l’honneur des femmes « d’estat » (femme de vertu) et lutter contre l’adultère. Le prostibulum peut être alors considéré comme une institution de paix où les jeunes tempèrent leur agressivité.

    Femmes sans maris, femmes sans honneur

    Les femmes victimes de ses viols sont rarement des fillettes car l’homme sera réprimé très sévèrement, ni des femmes de milieu aisée car cela peut être parfois considéré comme un crime. Le plus souvent, les victimes sont des femmes célibataires, des veuves ou des épouses délaissées, des femmes qualifiées de déshonnêtes car elles n’ont plus de maris. Seul le statut d’épouse ou de mère est valorisé et reconnu. Ces femmes sont souvent issues de milieux démunis, servante ou épouse d’ouvrier car la sanction sera faible voire inexistante. Par conséquence, La femme est diffamée par le viol, elle y perd son honneur (la Fame Publica). Ainsi, une femme célibataire aura des difficultés à trouver un époux et une femme sera vraisemblablement abandonnée par son mari.

    Une nécessité sociale de la chrétienté

    Un mal nauséabond pour prévenir la fornication et l’adultère

    Saint Augustin à propos de la prostitution au 5ème siècle : « Supprimez les prostituées, vous troublerez la société par le libertinage ».

    À partir de la fin du XIIIe siècle, et ce, jusqu’au XVe, le métier est vu plutôt comme une pratique immuable. La tradition chrétienne considère la prostitution comme un moindre mal nécessaire. Les Pères de l’Église en témoignent, d’Augustin d’Hippone au IVe siècle qui estime qu’elle est naturelle et permet de protéger les femmes honorables et les jeunes filles du désir des hommes, jusqu’à Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, qui juge qu’elle est nécessaire à la société comme les toilettes à une maison :

    « Cela sent mauvais, mais sans elle(s), c’est partout dans la maison que cela sentirait mauvais. »

    La prostitution est d’ailleurs tellement naturelle que, pour plusieurs théologiens, il est préférable qu’une femme y pousse son mari plutôt que de consentir à certains rapports sexuels considérés, eux, comme de graves péchés. Dans une perspective du moindre mal, ces femmes sont sacrifiées pour un bien supérieur, l’ordre public. Souvent, en effet, c’est la permanence des viols par bandes organisées qui amène les municipalités à se poser la question d’organiser la prostitution afin de canaliser l’agressivité sexuelle des hommes.

    Les bordels de l’Église, un mal naturel pour éviter le péché

    Au Moyen Âge, les responsables de l’ordre public, municipalités, seigneurs laïcs ou ecclésiastiques (évêques, abbés et pape), organisent progressivement la prostitution, déjà à partir du XIIe siècle, et surtout à partir du XIVe siècle, en tirant un profit financier. On trouve même des bordels possédés par des monastères ou des chapitres. La prostitution est toujours considérée comme naturelle, comme un moindre mal. Au cœur des cités méridionales, les maisons de fillettes, les châteaux gaillards et autres maisons lupanardes deviennent des institutions municipales, entretenues et inspectées par les consuls. On précisera que la majorité sexuelle est toujours de 12 ans au Vatican (elle était de 11 ans en France en 1832). En Italie du Nord, les autorités expliquent même que le recrutement de prostituées attirantes permettra de convaincre les jeunes gens de se détourner de l’homosexualité. Les villes et les bourgs ouvrent ainsi officiellement des maisons municipales de prostitution ou bien désignent les quartiers de la cité, généralement ses faubourgs, où la prostitution sera tolérée.

    Lire Exclusion des filles mères, mères célibataires, mères seules : avortement et abandon des enfants sans père

    Dieu vous le rendra

    Une richesse pour le clergé et les municipalités

    Les municipalités profitent de ce commerce et s’enrichissent en prélevant des taxes sur les maisons publiques ou en mettant les fillettes à l’amende. On constate souvent, en dépouillant les registres de comptes, que les loyers et les rentes tirés des maisons de prostitution sont traités au même titre que les autres revenus, y compris dans les registres des abbayes. Au XIIIe siècle, les canonistes admettent d’ailleurs la recevabilité des profits tirés de la prostitution à condition que la fille exerce par nécessité, et non par vice et plaisir. Les propriétaires des maisons, parfois des notables, n’ignorent rien des activités de leurs locataires, et encaissent sans vergogne les bénéfices. C’est le cas des familles Villeneuve et Baronnat à Lyon, de l’évêque de Langres ou de l’abbé de Saint-Etienne à Dijon.

    Plus lucratif que les dons des fidèles

    D’ailleurs, Voltaire rapportait que l’évêque de Genève administrait tous les bordiaux de ces terres. Dominique Dallayrac va même jusqu’à avancer que la prostitution amena plus de richesse au clergé que tous leur fidèles réunis. St-Thomas d’Aquin raconte également que des moines perpignanais organisaient une collecte de fond pour ouvrir un nouveau bordel, dont ils vantaient le mérite; « oeuvre sainte, pie et méritoire ». D’ailleurs, La chose ira encore plus loin, car en 1510, le pape Jules II fit construire un bordel strictement réservé aux chrétiens.

    La Chapelle Sixtine financée grâce à la taxe sur la prostitution

     

    Pour renflouer les finances du Vatican et payer les corporations travaillant sur la chapelle qui portera son nom, le pape Sixte IV (1414 – 1484) eut l’idée géniale de taxer toutes les prostituées et les prêtres concubinaires dans les Etats Pontificaux, y compris Rome. Cette taxe rapporta au Vatican 30.000 ducats par an. Une véritable fortune. Selon les données statistiques de 1477, il y avait 6.300 prostituées reconnues officiellement et des nombreux célibataires. Le projet avait été lancé en 1046 par le Pape Clément II, Suidger de Morsleben et Hornburg (1005-1048) d’origine allemande, qui avait obligé toutes les prostituées romaines à verser un impôt au saint-siège sur chaque rencontre avec un nouveau client.

    S.S. Sixte IV, un pape pédéraste, incestueux et proxénète

    Afin de profiter de cette manne financière, le pape Sixte VI (1414 – 1484) acquis lui-même une maison close devenant un proxénète. Jusqu’à son élection, Sixte IV jouissait d’une bonne réputation. Sous son pontificat, il fit l’objet de jugements controversés dus à l’emprise que ses neveux prirent sur lui. De fait, il nomma cardinal de nombreux jeunes gens, célèbres par leur beauté, parmi lesquels son neveu Raphaël Riario – cardinal à 17 ans, accusé d’être son amant. On prétendit aussi que le goût du pape pour les garçons était notoire. Le théologien Balaeus (xvie siècle) assure de manière peu vraisemblable que Sixte IV aurait donné aux cardinaux « l’autorisation de pratiquer la sodomie pendant les périodes de grandes chaleurs ». C’est ce que l’on appelait alors le « vice italien ». Aujourd’hui encore, la majorité sexuelle au Vatican est de 12 ans.

    La vie sexuelle des papes

    Meurtres, prostitution, pédérastie

    Tiré de « L’Écho des Cantons » no. 7, septembre 2000.

    Le palais papal, un lieu maudit

    C’est un pape aux mœurs corrompues, Léon III (du 26 décembre 795 au 12 juin 816) qui couronna à Rome au mois de décembre de l’an 800, l’empereur Charlemagne (742-814). Étant réputé pour aimer la bonne chère, le vin et surtout les plaisirs charnels, Léon III échappa à une tentative d’assassinat complotée par deux prêtres désireux de débarrasser Rome et l’Église de ce pape dépravé. Étienne IV (du 22 juin 816 au 24 janvier 817) ne fut pape que quelque mois, mais son successeur, Pascal 1er (du 25 janvier 817 au 11 février 824) mena une vie de débauche qui, pendant les sept années de son pontificat, fit de la ville sainte et du palais papal des lieux maudits où libre cours sexuel était donné a toutes formes de perversions inimaginables.

    Le lupanar privé du pape

    Venu a Rome pour se faire sacrer empereur, Lothaire (795-855), petit-fils de Charlemagne, fut scandalise par tout ce désordre et fit des remontrances très sévères a Pascal. Le saint-père promit a Lothaire de reformer ses mœurs mais des que celui-ci eut le dos tourné, Pascal Ier emprisonna deux humbles prêtres pour avoir dénoncé ses comportements pervers. Comme sentence exemplaire on leur arracha la langue et les yeux avant de les décapiter. Plus tard, le pontificat de Léon IV (du 10 avril 847 au 12 juillet 855) sembla être au-dessus de tout soupçon jusqu’au jour où certains chroniqueurs de l’époque affirmèrent que le pontife avait installé dans sa propre maison un couvent de religieuses afin de s’adonner avec celles-ci a des plaisirs sexuels  » très torrides « .

    La légende de la papesse Jeanne

    C’est a partir de la fin de la papauté de Léon IV que naquit plusieurs légendes a connotations sexuelles qui fortifièrent l’histoire de la papesse Jeanne. Il est très peu probable qu’une femme ait succédé a Léon IV sur le trône de la chrétienté, vers l’an 856, comme le veut la légende qui prit naissance au milieu du 13ème siècle, et racontée par l’entremise des chants des troubadours et des ménestrels.

    Un pape gay en prison, assassiné par ses « mignons »

    Celle-ci fut vraisemblablement inspirée par l’histoire malheureuse d’un pape dévergondé du nom de Jean VIII (du 14 décembre 872 au 16 décembre 882). Jean VIII fut reconnu comme étant un pape débauché qui fut jeté plusieurs fois en prison parce qu’il ne s’occupait pas de ses charges pontificales. Ce pape homosexuel, qui aimait les jeunes garçons, connut une fin tragique aux mains des membres de la famille de l’un de ses  » mignons  » qui, trouvant que le poison qu’ils lui avaient administre n’agissait pas assez vite, lui fracassèrent le crane a coup de marteau.

    Un pape drag-queen

    Les soeurs de la perpétuelle indulgence - solidays 2011

    D’autres sources mentionnent qu’au milieu du 9ième siècle, un prêtre anglais du nom de John, un homosexuel reconnu, avait gagne la faveur des cardinaux de Rome, a un point tel qu’il a failli être élu pape a la mort de Léon IV en l’an 855. C’est probablement a la mémoire de ce John aux allures très efféminées, communément appelé Jeanne par ses intimes, que naquit la légende de la papesse qu’on disait d’origine anglaise. Les troubadours et les ménestrels du 13ieme siècle ajoutèrent a cette histoire, en signe de dérisions et de moqueries, que John aurait pu accoucher d’un enfant le jour même de son couronnement car rien dans son comportement sexuel n’indiquait « … qu’il est un homme … ». Ainsi fut fomenté dans la confusion et par les esprits tordus la légende de la célébré papesse Jeanne.

    Rome, ville du vice et de la débauche

    Le calme revint a Rome sous le pontificat de Jean IX (du mois de janvier 898 a janvier 900) mais ce fut de courte durée car lorsque Benoît IV prit le trône de Saint-Pierre (du mois de février 900 au mois de juillet 903) la corruption redevint maîtresse dans la  » Cite éternelle » pendant, hélas, de très nombreuses décennies. Afin d’illustrer avec plus de précisions cette ambiance qui régnait a Rome pendant tout le 10ème siècle, citons ce roi d’Angleterre, Edgar dit le Pacifique (944-975) qui, s’adressant a ses évêques, donna une description peu flatteuse de ce qu’il avait vu lors d’un de ses voyages dans la ville des papes.

     » On ne voit a Rome que débauches, dissolution, ivrogneries et impuretés … les maisons des prêtres sont devenues les retraites honteuses des prostituées, des bateleurs, jongleurs, équilibristes, acrobates, etc… et des sodomites (homosexuels) … on joue nuit et jour dans la demeure du pape … les chants bachiques (chansons a boire), les danses lascives et les débauches de Messaline ont remplacé jeûnes et prières. C‘est ainsi que ces prêtres infâmes dissipent les patrimoines des pauvres, les aumônes des princes ou plutôt, le prix du sang du Christ. » – Edgar dit le Pacifique (944-975), roi d’Angleterre

    Messaline est l’épouse de l’empereur romain Claude (10-54), elle était reconnue pour se livrer a de la débauche de toutes sortes et même a la prostitution. Se sentant bafoué, son mari la fit assassiner lorsqu’il apprit qu’elle s’était mariée avec son jeune amant Silius.

    Jean XII : le pornocrate

    Jean XII est assurément un des papes ayant le plus choqué ses contemporains. Plusieurs fois d’ailleurs, des chroniqueurs l’ont qualifié « d’antéchrist siégeant dans le temple de Dieu ». Né Octavien, il accède à la papauté à l’age de 18 ans sous le nom de Jean XII. Le jeune pape est perçu comme un être grossier qui s’adonne à la débauche, transformant le palais du Latran en un véritable bordel. Déposé par un synode d’évêques qui le déclare coupable de sacrilège, de meurtre, d’adultère et d’inceste en 963, Jean XII parvient cependant à reprendre l’avantage sur Léon VIII, élu à sa place. Une légende raconte qu’il est mort d’une crise d’apoplexie en plain acte sexuel avec une femme mariée.

    La famille maudite des Borgia

    Borgia est le nom italianisé de la famille Borja, originaire du Royaume de Valence (Espagne), qui a eu une grande importance politique dans l’Italie du XVe siècle. Elle a fourni deux papes, ainsi que plusieurs autres personnages, dont quelques-uns ont acquis une fâcheuse renommée. La famille Borgia subi une réputation sinistre qui aurait été forgée par ses ennemis politiques. Les Borgia furent accusés d’empoisonnement, de fratricides, d’incestes… Ils furent les symboles de la décadence de l’Église à la fin du Moyen Âge.

    Enfants illégitimes, bordels et inceste

    C’était une puissante famille italo-espagnole de la Renaissance, dont sont issus des personnages célèbres qui étaient des champions de la « chasteté héréditaire ». Quelques exemples : un cardinal qui eut trois enfants, un pape qui en comptait neuf, et une duchesse qui accoucha de huit hommes différents dont, probablement, le pape et le cardinal déjà mentionnés, qui étaient, en plus, son père et son frère. Tristement célèbres. On les appelle Borja en Espagne, Borgia en Italie. Un nom qui, dans la Botte, jouit d’une très mauvaise réputation, non sans raison : le cardinal César (1475-1507), une fois abandonné l’habit de pourpre, devint un homme politique et un militaire au cynisme proverbial, qui inspira Le Prince de Machiavel. Son père Rodrigo (1431-1503), alias le pape Alexandre VI, réduisit Rome à une ville-bordel que Luther compara ensuite à Sodome ; enfin, la duchesse Lucrèce (1480-1519), intrigante et peut-être incestueuse, passa à la postérité comme un archétype de féminité négative.

    Le pape du diable

    Pope Alexander Vi.jpgAlfonso Borgia est intronisé pape sous le nom de Calixte III de 1455 à 1458. Il a un fils illégitime, François Borgia, cardinal-archevêque de Cosenza. Son neveu, Roderic Llançol i de Borja, le rejoint en Italie où il prend le nom de Rodrigo Borgia. Il est pape sous le nom d’Alexandre VI de 1492 à 1503. Un des témoins les plus crédibles de la conduite scandaleuse du pape Alexandre Borgia est Jean Burckhardt (ou Burchard), de Strasbourg. Ce prélat, maître des cérémonies de la cour pontificale, tint de 1483 à 1508, un journal très précis relatant jour par jour, parfois même heure par heure, tous les événements se passant au Vatican.

    Au moins 6 enfants illégitimes

    En 1470, alors qu’il a déjà été ordonné prêtre, Rodrigo Borgia fait la connaissance de Vannozza Giovanna Cattanei, jeune patricienne romaine, qui lui donnera ses quatre enfants préférés (Jean ou Joan, César, Lucrèce, et Geoffroi ou Jofre). En 1489, nouvelle liaison avec la jeune et jolie Giulia Farnèse qui n’a que 15 ans, dont la demeure était directement reliée à Saint Pierre. Rodrigo Borgia a alors 58 ans. De leur union naîtra une fille, Laura, qui sera présentée comme l’enfant légitime d’Orso Orsini, époux officiel de Giulia Farnèse. Il avait déjà eu un fils Pedro-Luis de Borja légitimé par Sixte IV. Une troisième amante, disait-on, était peut-être sa propre fille Lucrèce (1480 – 1519). Elle est célèbre pour sa beauté autant que pour ses mœurs dissolues : un fils né de ses amours incestueuses avec son frère César, quelques bâtards, une activité d’empoisonneuse, etc.

    Viol sodomite et danses orgiaques de 50 prostituées

    Les orgies étaient pour Alexandre VI, une distraction à plein temps, sans discrétion aucune, sans discrimination de classe ni tabou de parentèle. Francesco Guicciardini rapporte un épisode au cours duquel le pape attire au Château Saint-Ange le jeune et beau Astorre Manfredi, seigneur de Faenza, qu’il viole et fait jeter dans le Tibre. Mais il pourrait également s’agir de César Borgia qui tenait prisonniers les deux frères Manfredi. Les scandales continuent au Saint-Siège, et ce malgré les remontrances du frère dominicain Jérôme Savonarole :

    «Arrive ici, Eglise infâme, écoute ce que te dit le Seigneur […]. Ta luxure a fait de toi une fille de joie défigurée. Tu es pire qu’une bête: tu es un monstre abominable»

    Sans scrupules, ni remords, Alexandre VI fait face : Savonarole est arrêté, torturé et meurt sur le bûcher le 23 mai 1498. Selon Jean Burckhart, témoin muet, mais indigné, la débauche du pape Alexandre et de sa progéniture atteint son paroxysme en cette nuit orgiaque du 31 octobre 1501 avec l’évocation de la danse de cinquante prostituées entièrement nues et d’un concours arbitré par César et Lucrèce pour évaluer et récompenser les prouesses de virilité des assistants. Les dépêches envoyées aux cours d’Europe par leurs ambassadeurs et figurant dans de nombreuses archives diplomatiques confirment l’incroyable témoignage du Père Burckhardt. On comprend dès lors pourquoi tant de récits faisant référence à des pactes avec le Diable ont pu circuler à la mort d’Alexandre VI.

    Les types de prostitution

    Les historiens, scientifiques et sociologues Lombroso et Ferrero (1896) ont classifié la prostitution médiévale en quatre catégories :

    Les plaisirs charnels du Christ

    La prostitution sacrée issue du culte antique de la femme, avec, au début du Ve siècle, les nicolaïtes, femmes qui, attendu l’incarnation du Christ, prônaient que Jésus fait homme avait dû éprouver lui-même les voluptés du corps. Unies aux gnostiques, elles ont essaimé jusqu’au XIIe siècle, en plusieurs sectes vouées au contentement de la chair. En 1373, réapparaît en France une de ces sectes, anciennement les Picards devenus les Turlupins dont le plaisir était de forniquer en public. Dans le catholicisme, les femmes stériles et les maris impuissants ont longtemps prié les Saints Paterne, Guerlichon ou Guignolet, dignes héritiers du dieu Priape, dieu de la virilité, de la fertilité et de l’amour physique. Même réprouvées par l’Église, ces pratiques se sont poursuivies qu’à la Révolution.

    Garnir la couche de son hôte avec ses serfs

    Le second type de prostitution est appelé prostitution hospitalière : elle découle des coutumes ancestrales de l’hospitalité qui consistaient à « garnir la couche » de son hôte. Plus rarement pratiquée chez les paysans, elle était largement répandue chez les nobles et de nombreuses soubrettes et paysannes, tenues en servage, se prostituaient ainsi contre leur gré.

    Une épouse en CDD

    Le troisième type est la prostitution concubinaire. Le concubinage n’a jamais été, dans la France catholique, béni religieusement. C’est le versement d’une pension d’entretien qui servait de contrat nuptial que seuls un divorce ou la mort pouvaient rompre.

    Enfin, on trouve, sous quatre formes, la prostitution civile :

    • Les bordels privés de la noblesse et du clergé : L’abbé, l’abbesse, l’évêque, le baron, le seigneur féodal accueillent chez eux l’équivalent d’un bordel généralement payé par leurs fidèles ou leurs vassaux; les deux sexes y sont couramment représentés;

    • Les paysannes au service sexuel des curés : Dans les monastères, les bons pères réquisitionnent régulièrement les paysannes des alentours qu’ils convainquent de se taire de peur des foudres divines;

    • Les nonnes-putains pour un dieu proxénète : Plusieurs mères supérieures des couvents persuadent leurs religieuses de se prostituer pour amasser, au nom de leur divin époux auquel elles ont de toute façon livré à tout jamais leur corps vertueux, quelques compléments à la dîme;

    • Femmes-objets pour payer les impôts : Au Moyen-âge, le royaume de France est loin d’être consolidé et les guerres entre prétendants à la royauté livrent la paysannerie à des impôts ruineux, dont la taille. Plusieurs fuient la campagne pour la ville où la misère qui sévit contraint filles et jeunes femmes orphelines, abandonnées ou vendues, veuves et épouses désespérées à livrer leur corps en pâture. La prostitution foisonne avec ses classes de prostituées.

    Le statut des prostituées

    Durant la période médiévale, la quasi-totalité des prostitués est constituée de femmes. La prostitution masculine fleurit aussi, mais seulement dans la clandestinité en raison de la sévère condamnation de l’homosexualité par l’Église. Cette dernière entretient à l’égard des femmes un double discours qui explique, en grande partie, l’ambivalence de ses prises de position. La femme est certes synonyme de tentation et de luxure, mais curieusement elle occupe un rôle social plus égalitaire que celui qui va redevenir le sien à la Renaissance.

    La prostitution civile revêt quatre motifs, explicatifs des divers statuts et mécanismes différents de répression :

    • La luxure qui découle de la prostitution sacrée. Ses adeptes sont considérés comme des hérétiques et châtiés par l’Église et le pouvoir;
    • La pauvreté, lot des femmes démunies. Cette forme est plus ou moins tolérée par l’Église selon la sévérité de ses cardinaux du moment et réglementée par le pouvoir seigneurial ou royal selon ses humeurs et pénitences;
    • Le concubinage, lot de femmes devenues courtisanes, protégées par leurs concubins et par les apparences d’une vie de rentière; certaines prostituées de haut rang peuvent s’afficher dans la cour des gens de la noblesse. On peut d’ailleurs difficilement d’apparence les différencier d’autres femmes de leur entourage, même si la plupart du monde connaît leur identité;
    • Le commerce dont l’exercice est orchestré par des sources diversifiées : clergé, noblesse, bourgeoisie, tenanciers ou tenancières. Le clergé va, de temps à autre, procéder à de sévères répressions dans ses rangs, la noblesse graduellement se défaire de ses propres bordels pour choisir le concubinage ou la fréquentation plus ou moins discrète des maisons de débauche.
    • Les filles légères « prostitution libérale » : Ces filles travaillent pour leur propre compte, elles vont d’hôtel en hôtel ou possèdent leur propre chambre. Ces femmes deviennent petit à petit des courtisanes : prostituée de luxe, maîtresse de riches marchands ou notables. Les courtisanes deviennent réellement importantes à la fin du XV°.

    Lire La prostitution mondaine, une valeur éducative du patriarcat traditionnel avant le mariage

    Carrière d’une fille de joie

    Mères célibataires, vierges violées, veuves ou répudiées

    Les prostituées le sont pour des raisons financières, parce qu’elles sont sans ressources pour une raison ou une autre : tel est le cas pour les étrangères à la ville, les migrantes venant de la campagne, les filles exclues du système matrimonial parce qu’elles ont été violées, parce qu’elles sont des servantes enceintes et chassées, parce qu’elles sont veuves ou abandonnées. Mais il existe aussi une prostitution moins miséreuse, de femmes qui reçoivent discrètement chez elles des hommes de bonne condition, et que le voisinage tolère plus ou moins bien. La plupart des prostituées le sont, comme de nos jours, par utilité ou obligation. Dans ce contexte, la très grande majorité des prostituées est cantonnée dans les basses classes de la société, même si quelques-unes d’entre elles, devenues maîtresses de gens importants, parviennent à y échapper.

    Ne pas ressembler à une épouse légitime

    Faire commerce de ses charmes est longtemps vu comme une profession comme une autre. Les «putassières » demeurent cependant facilement identifiables. Il leur est, en effet, interdit de porter vêtements ou accessoires démontrant le luxe. Broches, fourrures et autres vêtements peuvent leur être sommairement confisqués.

    L’abbesse encaisse un tiers des gains pour un toit

    Les filles de joie racolent à peu près partout : bains publics, boisés, buissons, ruelle ou rue réservées à leur pratique, cour des nantis et autres endroits insolites. Cependant, les lieux dédiés aux habitués sont les bordels municipaux, que l’on appelle à cette époque «bourdeaux» ou «bon hostel». Ils sont souvent administrés par une maquerelle, souvent une femme mariée, appelée «abbesse», douce vengeance contre le clergé. Cette dernière encaisse le tiers des gains de ses filles en échange de leur pension. Il est donc très aisé de trouver remède à une envie pressante…

    La contraception naturelle

    Les pratiques sexuelles, pour ce que l’on peut en savoir, semblent être communément orales, anales, manuelles et interfémorales, les femmes fuyant le rapport vaginal pour des raisons contraceptives.

    Fin de carrière : abbesse, mariage ou couvent

    La fin de « carrière » est estimée autour de la trentaine, mais aucune source ne permet d’affirmer cet âge. Dès lors que les filles ne peuvent plus se prostituer, plusieurs choix de vie s’offrent à elles :

    • Devenir à leur tour tenancière – abbesse
    • Retraite dans le repentir « fondation Sainte Marie Madeleine
    • Le plus souvent, c’est le mariage qui les fait sortir de leur condition. En effet, épouser une fille de joie est considéré comme une œuvre pieuse par l’Eglise.

    La répression du vice

    Mais toléré au nom de la morale conjugale schizophrène

    Le rôle joué par l’Église et particulièrement ambigu. D’une part, et ce, depuis Saint-Au­gustin, elle voit la prostitution comme un mal inévitable qu’on ne peut enlever d’une société sous peine d’avoir d’autres maux. D’autre part, par son obligation morale, elle réprime à l’aide de ses tribunaux ecclésiastiques non pas les prostituées, mais les tenanciers et autres entremetteurs au nom de la morale conjugale.

    Les putains des soldats de Dieu

    En ces temps de guerres et de croisades, notons que les soldats et les croisés ne font pas exception à la tentation : un cortège de femmes suit l’armée, même celle de Dieu, lavandières comme prostituées. Les phases de défaites correspondent à un redressement des mœurs et vice-versa. Il faut comprendre que, lorsque les troupes commencent à perdre, les autorités le mettent sur le dos de leur honteuse débauche. Cependant, lorsqu’elles gagnent, les interdictions sont levées, et ainsi de suite, de victoires en défaites. Chose certaine, il y a du travail pour ces filles de joie qui vont parfois jusqu’à planter leur tente parmi celles des soldats. Leur réputation est cependant mauvaise, Jeanne d’Arc, par exemple, chassa les ribaudes qui suivaient son armée.

    Esclaves rasées pour laver leurs péchés

    Entre 1254 et 1269, Louis IX décide quand même d’éradiquer toute prostitution. Des lois qui permettent alors aux autorités d’incarcérer les demoiselles de joie sont mises en vigueur. Les prostituées qui sont capturées sont cependant envoyées dans des prisons toutes spéciales, où les conditions de vie sont misérables. Confiées à la garde de religieuses acariâtres et sadiques qui se croient désignées pour conjurer le vice, elles ont la tête rasée pour les humilier et on les fait travailler en quasi esclavage souvent jusqu’à une mort prématurée.

    Lire Les couvents de la Madeleine : camps de concentration pour mères célibataires et femmes libérées

    • 1254 : Ordonnance de Louis IX interdisant la prostitution, les personnes prostituées sont expulsées des villes et tous leurs biens sont saisis, jusqu’aux vêtements; et les proxénètes sont punis par des amendes équivalentes à une année de loyer.
    • 1256 : Nouvelle ordonnance de Louis IX qui revient sur l’interdiction stricte de la prostitution. La personne prostituée n’est plus que reléguée hors des murs des cités et loin des lieux de culte.
    • En 1269, Saint Louis, qui s’apprête à embarquer pour la huitième croisade, demande à nouveau d’extirper le mal du royaume. À nouveau, la clandestinité des prostituées et le désordre créé font fléchir le roi qui fait ouvrir des centres de reclassement pour les femmes publiques à Paris. Le pragmatisme fait d’ailleurs que les filles publiques sont non seulement admises, mais subsidiées pendant la huitième croisade. Les livres de comptes royaux font état de 13000 prostituées à payer pour le suivre à la guerre…

    L’inefficacité de la répression est patente. A la fin du Moyen Age, filles publiques, secrètes ou vagabondes pullulent dans les rues des villes, investissent étuves et hôtels princiers. Le temps où ces femmes, jugées impures, étaient interdites de mariage, semble désormais dépassé ; mais à bien y réfléchir, les ordonnances de Saint Louis étaient déjà en leur temps parfaitement irréalistes.

    Prisons pour prostituées, fornicatrices, adultères, pauvresses et célibataires

    Du XVIIe au XIXe siècle, la période moderne est marquée par la volonté de lutter contre la prostitution. Parfois les mesures visent son éradication, par l’emprisonnement ou le bannissement. Mais beaucoup de ces mesures sont assez vite oubliées ou pas du tout appliquées. Certains comportements sont nouveaux : des asiles s’ouvrent pour les femmes repenties, que vont bientôt rejoindre celles que l’on considère comme risquant de tomber dans la prostitution parce que pauvres et célibataires. Des ordonnances précisaient même de n’admettre que les jolies filles, les laides « n’ayant pas à craindre pour leur honneur ». L’Angleterre, puis l’Espagne, créent de tels établissements. En 1658, Louis XIV ordonne d’emprisonner à la Salpêtrière (Hôpital Général) toutes les femmes coupables de prostitution, fornication ou adultère, jusqu’à ce que les prêtres ou les religieuses responsables estiment qu’elles se sont repenties et ont changé.

    La Salpêtrière de Paris sous l’Ancien Régime : lieu d’exclusion et de punition pour femmes

    A son ouverture, en 1656, la Salpêtrière de Paris s’impose comme le plus grand établissement d’enfermement de femmes à l’époque moderne. Elle est chargée d’accueillir les femmes, jeunes filles et enfants mais aussi des couples sans ressources. En 1666, dix ans après l’édit d’établissement, la Salpêtrière accueillait 2322 pauvres. En 1684, Louis XIV ajouta à l’hospice, une prison, la « maison de force », pour les femmes prostituées, débauchées et condamnées, à laquelle on adjoignit un bâtiment pour les femmes et les filles détenues à la demande de leurs maris ou de leurs parents. La Salpêtrière comporta donc : un hospice et une prison pour les femmes.

    Les pauvres mendiants qui ne se seront pas rendus à la Pitié dans les délais prévus y seront amenés de force par les officiers de police. La loi interdit la mendicité « à peine du fouet contre les contrevenants, pour la première fois ; pour la seconde, des galères contre les hommes et garçons, et du bannissement contre les femmes et filles ».

    Pour changer la morale et les mœurs des femmes égarées

    Dès le règlement du 20 avril 1684, une nouvelle catégorie de la population parisienne est à enfermer : les femmes débauchées. Et c’est à la Salpêtrière qu’elles devront être « enfermées ». Comme la mendicité, la débauche et la prostitution sont combattues avec acharnement pendant tout le XVIIe siècle. Outre la déportation dans les colonies, l’Hôpital général devient le principal mode de mise à l’écart des prostituées jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les prostituées étaient déjà mises en cause dans le 101e article de l’ordonnance de 1560 promulguée par François II puisque cette ordonnance interdisait tout simplement la prostitution. Cette mesure aurait été prise suite à la progression rapide de la syphilis. Et c’est tout naturellement qu’on s’est attaqué à ce qui ne pouvait être qu’à la base de ce développement : la prostitution. Sous couvert de santé publique on épurait ainsi les rues de Paris d’un autre fléau, la « débauche publique et scandaleuse ». Les mesures d’internement contre les débauchés se multiplient dans ce siècle de moralisation de la société. Des maisons de force avaient déjà été créées et aménagées pour les débauchées. Ces établissements étaient ouverts, théoriquement, aux seules volontaires, et avaient pour objectif de changer la morale et les mœurs de ces femmes égarées. Le roi prévient que « les femmes d’une débauche et prostitution publique et scandaleuse, ou qui en prostituent d’autres, seront renfermées dans un lieu particulier destiné pour cet effet dans la maison de la Salpêtrière ». Les débauchées pourront y être enfermées sur décision de justice. Après l’ordonnance du roi du 20 avril 1684, un inspecteur est chargé de la police des mœurs. Il est chargé, jour et nuit, de les arrêter et de les conduire au dépôt Saint-Martin, passage obligé des futures condamnées. Le lendemain, les femmes arrêtées comparaissent à l’audience du grand Châtelet. Les femmes condamnées, escortées par des archers, sont alors emmenées en charrette, dont les planches sont recouvertes de paille, à travers les rues de Paris, à la vue de tous, jusqu’à la Salpêtrière.

    Pour réprimer la libération des femmes

    Avec le XVIIIème siècle, une grande liberté des mœurs oblige la société à réagir. La police va être une grande pourvoyeuse de nos hôpitaux : se moquer du roi, de la religion, contrevenir à l’ordre public, désobéir à l’autorité paternelle, manquer à l’honneur familial, se débarrasser de sa fille ou de sa femme, être protestante, hérétique, révoltée ou troubler l’ordre public sont très souvent des fautes méritant l’incarcération des femmes à la Salpêtrière. C’est de plus en plus un bagne pour les femmes avec des travaux forcés et de sévères châtiments. Pourtant dans le même temps apparaît une timide humanisation avec l’arrivée de Tenon à la Salpêtrière en 1748. Il va y améliorer l’hospitalisation de ses malades. Quant aux folles, elles arrivent à la Salpêtrière pour y achever, souvent enchaînées, le reste de leur vie.

    La déportation des filles de honte

    Les fillettes abandonnées à la naissance étaient recueillies, élevées, éduquées, placées pour un travail et mariées par l’institution après enquête sur le conjoint (« les noces des orphelines »). Colbert trouva bon de peupler nos nouvelles colonies d’Amérique avec quelques-uns de ces jeunes orphelins et orphelines en les mariant « à la chaîne » (60 couples dans une matinée) lors de grandes cérémonies à l’église Saint-Louis de la Salpêtrière. Cette pratique s’est poursuivie sous la Régence. L’Angleterre commence à déporter aux Antilles les filles des maisons fermées : elles sont 400 après la fermeture des maisons de Londres en 1650 ; on estime à 10 000 celles qui rejoignent de force l’Amérique de 1700 à 1780. L’aristocratie européenne semble particulièrement violente dans sa façon de vivre la sexualité et, contrairement au Moyen Âge, on a pour ces siècles des récits de brutalité dans les établissements où orgies, coups, flagellation, débauche de mineurs sont courants. La société dans son ensemble est caractérisée par la violence sexuelle et, dans les campagnes comme dans les villes, des bandes organisées attaquent les femmes isolées pour des viols collectifs accompagnés de sévices.

    Un métier commun

    3000 bordels parisiens

    Force est de constater que, malgré les interdictions et les principes moraux, tous les niveaux des autorités civiles et religieuses comptabilisent les revenus des bordels qu’ils gèrent sans scrupule, à titre de revenus standards, comme les taxes ou les dons. À la fin de Moyen-âge, au temps du poète et brigand François Villon (1431-1463?), Paris compte plus de 3000 bordels. Pendant très longtemps, on prétexte que la prostitution est un exutoire pour éviter le viol et l’adultère. C’est pourquoi elle est alors tolérée et pourquoi l’Église tente de réhabiliter les pécheresses repentantes.

    13% des femmes se prostituent

    À la veille de la Révolution française, on évalue à 30 000 les simples prostituées de Paris et à 10 000 les prostituées de luxe ; à Londres, elles seraient 50 000, ce qui est une preuve de l’échec des mesures de répression. A la fin du XVIIIe siècle, on évalue à 40 000 le nombre de personnes prostituées à Paris (13 % de la population féminine). Pour mesurer l’ampleur du phénomène, la plupart des historiens contemporains soulignent que si la proportion de prostituées était la même aujourd’hui (environ 13 % des femmes), on aurait pour Paris intra-muros une population de plus de 100 000 prostituées.

    Un quart de parisiens clients : des recettes juteuses pour l’État

     

    La IIIe République est l’âge d’or des maisons closes qui font partie intégrante de la vie sociale. L’État, et notamment le fisc profitait de ce commerce en prélevant 50 à 60 pour cent sur les bénéfices. À Paris, ils sont environ 200 établissements officiels, sous le contrôle de la police et des médecins, ainsi que d’innombrables bordels clandestins qui comptent alors 15 000 prostituées. De 1870 à 1900 environ, il y a 155 000 femmes officiellement déclarées comme prostituées, mais la police en a arrêté pendant la même période 725 000 autres pour prostitution clandestine (soit 30 000 par an). En 1953, les estimations les plus basses sont de 40 000 prostituées à Paris (les plus hautes parlent de 70 000), tandis que les bordels clandestins (les clandés) se multiplient (500 à Paris). La police estime à 40 000 clients par jour la fréquentation des diverses maisons, ce qui équivaudrait à dire que le quart des hommes parisiens avait des relations avec les prostituées.

     
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