• Nous sommes en 2030 : les Arabes reviennent au nomadisme

    Chems Eddine CHITOUR


    « Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. (...) Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s’appelait le palais d’Été. (...) Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. (...) L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant.. Nous. Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. » - Victor Hugo, lettre au capitaine Butler 25 novembre 1861

    Il y a cent cinquante ans, jour pour jour, l’Angleterre et la France dévastaient la Chine. Cent cinquante ans plus tard, les mêmes protagonistes avec les Etats-Unis et l’Italie pour l’essentiel dévastent la Libye. Mardi 23 août la guerre en Libye bascule et s’accélère. Est-ce à dire que l’Occident voulait en finir et du même coup répondre aux Chinois et aux Russes les deux grands perdants avec le peuple libyen de cette rébellion ? Au final, il aura fallu six mois, 20 000 sorties et 7 500 frappes aériennes au compteur (sans parler des tirs d’hélicoptères) pour en arriver là. Et un coût de 200 millions d’euros pour la France et de 890 millions de dollars (à la fin juillet) pour le budget américain. C’est donc une expédition lucrative au vu de ce qui est attendu, du même ordre que l’expédition de 1830 en Algérie ; d’après Pierre Pean, le trésor de la Casbah était de 200 milliards de dollars actuels il couvrait largement les frais de l’expédition...

    On nous confirme que la chute de Tripoli est due aux commandos de l’Otan qui ont fait l’essentiel du sale boulot et ceci en dépit de la résolution des Nations Unies qui interdit les interventions au sol. Mieux les SAS (Special Air Service), forces spéciales britanniques, se trouvent en Libye pour participer à la traque du colonel Kadhafi, a annoncé jeudi le quotidien The Daily Telegraph, se référant à des sources au ministère de la Défense. « Une fois qu’une récompense d’un million de livres (1,14 millions d’euros) a été offerte pour la capture de Kadhafi, les militaires du 22e Régiment du SAS ont reçu l’ordre du Premier ministre britannique, David Cameron, de prendre la direction des insurgés à la recherche de Kadhafi, a déclaré une source au ministère britannique de la Défense, citée par le quotidien. (1)

    Quelques données sur la Libye : un Oil-dorado convoité

    La Libye s’étend sur 1759.540 kilomètres carrés, sa population est estimée entre 6 et 8 millions d’habitants. La Libye a été colonisée par les Turcs au début du XVIe siècle, puis par l’Italie avec la conquête de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque entre septembre 1911 et surtout avec l’arrivée de Mussolini, en 1922 avec Omar al-Mukhtar, figure emblématique de la résistance libyenne. La Libye accède à l’indépendance le 24 décembre 1951 et Idriss al Senoussi est proclamé roi. Le 1er septembre 1969, le colonel libyen, Mu’ammar Kadhafi, renverse la monarchie. Le PIB est de 59,1 milliards de dollars en 2009, les exportations s’élèvent à 45,2 Mds de dollars en 2009 dont 97% sont composées des hydrocarbures. La Libye dispose également de réserves importantes de gaz naturel (1548 milliards de m3) qui sont jusqu’à présent peu exploitées : 28 milliards de m3 (2009).

    Le PIB par tête d’habitant dépassait 14.000 dollars en 2010, selon le rapport de la CIA World Factbook au 1er janvier 2011, la Libye étant le premier pays africain et arabe en termes d’indice de développement humain (IDH de 2010), ayant un IDH à 0,847, ce qui en fait le premier pays du continent africain, le premier du Monde arabe, et le premier du Monde musulman. L’analphabétisme, à titre d’exemple, est passé de 72% de la population en 1969 à moins de 5% aujourd’hui. (2)

    La Libye produisait 1,6 millions de barils soit 80 millions de tonnes an pour des réserves estimées à 6 milliards de tep. Kadhafi devait augmenter la production à 3 millions de barils en 2015. Nous sommes pratiquement certains que les compagnies occidentales au vu de leurs besoin vont pousser la production pour dépasser les 5 millions de barils (250 millions de tonnes/an) d’ici 2020 voire plus à partir de 2020. Résultat des courses : les réserves de la Libye seraient épuisées d’ici une vingtaine d’années. Pour le gaz c’est encore plus précoce avec 1500 milliards de m3, la production actuelle n’est que de 30 milliards de m3. On peut parier qu’elle grimpera rapidement à près de 100 milliards de m3 soit, là encore, une extinction des réserves d’ici une vingtaine d’années. Restent les gaz de schiste, là encore les réserves seraient du même ordre que celles de l’Algérie et seraient surtout situées en Cyrénaïque. Elles permettront à l’Occident un sursis de quelques années supplémentaires.

    Qui va profiter de la manne pétrolière et gazière du peuple libyen ?

    Pour la « répartition du butin », Mustapha Abdel Jalil s’autoproclamant président et sans légitimité, a déclaré auFinancial Times que les concessions pétrolières post-Kadhafi seraient allouées sur la base du niveau d’aide que chaque pays a donné aux soi-disant « rebelles ». L’invitation au pillage était si flagrante qu’elle n’a pas échappé au Russe Vladimir Poutine quand il a qualifié l’invasion de l’Otan d’appel à la croisade médiévale contre la Libye.(...) De fait, les dirigeants occidentaux ont toujours eu la volonté de bien faire comprendre que la destinée de l’Afrique, comme à l’époque de la Conférence de Berlin et du partage de l’Afrique en 1885, se décidait encore de nos jours dans les capitales occidentales. (3)

    La chute de Kadhafi rouvrira les portes des plus grandes réserves pétrolières d’Afrique. « Nous n’avons pas de problème avec les pays occidentaux comme les entreprises italiennes, françaises et britanniques. Mais nous pouvons avoir quelques problèmes politiques avec la Russie, la Chine et le Brésil », a déclaré à Reuters, Abdeljalil Mayouf, directeur de l’information pour la compagnie pétrolière pro-rebelle Agoco. Environ 75 sociétés chinoises activaient en Libye avant la guerre, employant 36.000 personnes et travaillant sur 50 projets, selon les médias chinois. Aujourd’hui (23 août), la Chine a demandé à la Libye de protéger ses investissements et a argué que leur commerce de pétrole bénéficiait aux deux pays. Les entreprises russes, dont les compagnies pétrolières Gazprom Neft et Tatneft, avaient, elles aussi, des projets de plusieurs milliards de dollars en Libye. « Nous avons totalement perdu la Libye », a dit à Reuters, Aram Shegunts, directeur général du Business Council Russie-Libye. « Nos entreprises vont tout perdre car l’Otan les empêchera de travailler en Libye ». (4)

    On comprend l’amertume de la Russie. Dans ce cadre, le quotidien Russia Today écrit avec le jeu de mots : « Les Français veulent un contrôle Total sur le pétrole libyen. » Dans un reportage du 24 août, le média anglophone commente : « La France se sent gagnante d’être le premier pays à reconnaître les rebelles libyens, le premier à avoir bombardé la Libye et maintenant le premier à parler avec les leaders rebelles. » Le pétrole n’est d’ailleurs pas la première source de revenus russes en Libye. La manne financière qui y est générée par la Russie provient avant tout des armes. Un marché extrêmement important mais qui, selon Ria Novosti, ne devrait pas être affecté par le conflit.

    (...) De fait, les dirigeants occidentaux ont toujours eu la volonté de bien faire comprendre que la destinée de l’Afrique, comme à l’époque de la Conférence de Berlin et du partage de l’Afrique en 1885, se décidait encore de nos jours dans les capitales occidentales. (5)

    Qui sont les rebelles du CNT ?

    Pierre Piccinin, professeur d’histoire et de sciences politiques en Belgique, écrit à propos de la configuration ethnique libyenne : « La société libyenne, en effet, se structure en un ensemble de tribus, dont les intérêts divergent ; et dont les alliances se recomposent en permanence. Ainsi, s’il est vrai que, au début des événements, le 17 février 2011 et durant les jours qui ont suivi, on a pu voir l’émergence d’une société civile s’exprimant lors de manifestations hostiles au colonel Kadhafi, ces mouvements sont néanmoins restés très limités et ont rapidement servi de prétexte aux soulèvements de chefs de clans, auxquels ils ont cédé la place, et lesquels ont plongé la Libye dans le chaos. De même, croyant leur heure arrivée, plusieurs mastodontes du régime se sont dressés contre leur ancien maître et ont pris le contrôle d’une partie de la rébellion. Qui sont ces rebelles que l’Occident, la France en tête, a pris le parti de financer, d’armer, d’appuyer par un soutien logistique et militaire inconditionnel, bien au-delà du mandat onusien qui appelait à la protection des populations civiles, mais en aucun cas au renversement du chef de cet État pétrolier ? » (6)

    L’avenir de la Libye : la curée et le retour au nomadisme

    Il se passera ce qui se passe actuellement en Irak 50.000 GI’s gardent les puits pendant que les Irakiens s’étripent à qui mieux mieux... Que les Occidentaux s’empressent de dégeler les fonds pour un gouvernement qui n’est pas encore admis à l’ONU et n’est pas de ce fait reconnu avec ses institutions est fait pour avaliser le fait accompli. Comment faire confiance à la plupart des dirigeants du CNT qui avaient tous émargé au râtelier de Kadhafi et ne s’étaient pas fait remarquer particulièrement par leur respect de la démocratie pendant le règne de Kadhafi. Certaines mêmes comme le président du CNT, s’occupaient de l’injustice du pouvoir.

    «  Il n’y aura pas la paix. (...) Mais la prise de Tripoli, écrit Pierre Piccinin, ne signifie pas nécessairement la fin de la guerre civile : la capitale, dans cette antithèse de l’Etat-nation qu’est la Libye, ne constitue pas un enjeu déterminant. Et la guerre, la guérilla, pourrait perdurer des années durant et ruiner le pays : les civils s’arment ; chaque homme, chaque adolescent membre du clan, de la tribu, est un guerrier potentiel ; (...) le CNT ressemble davantage à un repère de brigands. » (6)

    «  Ainsi, le président du CNT, Mustapha Mohammed Abud al-Jalil, était jusqu’il y a peu, ministre de la Justice de Kadhafi, dénoncé en décembre 2010 par Amnesty International comme l’un « des plus effroyables responsables de violations des droits humains en Afrique du Nord ». Bref, ce sera à qui mangera l’autre, s’ils parviennent à s’imposer par-delà les rivalités tribales et claniques. Troisième composante qui apparaît de plus en plus au grand jour, le mouvement islamiste : l’Union Africaine avait déjà sévèrement dénoncé la tournure prise par les événements, condamnant le glissement des objectifs » (6)

    Conclusion

    Que reproche le « peuple libyen » à Kadhafi ? D’avoir gouverné sans partage pendant plus de quarante ans, soit ! Il n’a que trop duré ! Il doit parti ! Mais le peuple libyen a-t-il « manqué » de pain, de logement, d’électricité, de couverture sociale, d’école ? Bref de tous les attributs d’une vie digne ? Pratiquement tout est gratuit en Libye contrairement aux citoyens européens et américains qui galèrent sans certitude pour le lendemain. On le comprend sans peine, la destruction de la Libye est un des scénarios pour faire main basse sur les réserves pétrolières des pays arabes qui, pour leur malheur, possèdent du pétrole et des dirigeants qui s’installent au pouvoir pour l’éternité. Il est d’ailleurs,bien connu qu’ils quittent le pouvoir par l’émeute ou par la mort naturelle.

    Ce qu’il y a de sûr, c’est que les pays occidentaux qui ont démoli la Libye vont très vite se laver les mains. Ce qui les intéresse, c’est de voler d’une façon ou d’une autre les 150 milliards de la Libye qu’ils vont se partager en proposant de reconstruire la Libye et vendre des armes au CNT, c’est aussi et surtout le pétrole, le gaz naturel et le gaz de schiste qu’ils vont siphonner d’une façon effrénée d’autant que le pétrole, comme le pétrole algérien, sont des pétroles légers, très demandés... Cette manne va donner un sursis d’environ une vingtaine d’années à l’Occident (les 4 pays ayant participé à la curée). Nous verrons très rapidement les compagnies pétrolières les plus importantes (Exxon, BP, Total, Eni)) se battre pour la répartition du butin.

    S’agissant des pays arabes, ils vont successivement subir le même sort que la Libye-Même si Kadhafi contre toute attente, a donné une image de résistant au Nouvel Ordre mondial qui tranche avec son règne de potentat inamovible- au fur et à mesure de l’épuisement des réserves. Il est fort à parier que le Monde arabe ne représentera plus grand-chose à l’horizon d’une trentaine d’années. Ils retourneront à leur vocation de nomades comme au début du XXe siècle où le roi Ibn Saoud se plaignait à la France de la suppression de la « zakat »des Algériens qui n’étaient plus envoyée aux Lieux Saints aux pauvres de La Mecque et de Médine. Un proverbe saoudien est d’une brulante actualité : « Mon père chevauchait un chameau, je roule en Cadillac, mon fils vole en jet, son fils chevauchera un chameau ». Tout est dit.

    S’agissant de l’’Algérie, si elle continue ainsi , elle va se positionner dans la même charrette que les potentats grassouillets du Golfe, du fait de l’échec multidimensionnel de sa gouvernance, notamment son système éducatif, - avec pour couronnement de la gabegie, la suppression de la formation d’ingénieurs qui fera de nous réellement des marchands, car nous allons être définitivement réfractaires à la technologie, - une errance énergétique, financière et diplomatique. Est-ce cela son destin ? Doit-on baisser les bras ?

    Professeur Chems Eddine Chitour Ecole Polytechnique enp-edu.dz

    Source:http://www.legrandsoir.info/

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  • Après 50 jours de détention dans la prison de Hadjout : Le maire de Zéralda Mouhib Khatir acquitté

    Le maire de Zeralda, Mouhib Khatir, a été acquitté ce lundi 29 août 2011, après 50 jours de détention, par le tribunal de Hadjout. Arrêté le 6 juillet et mis sous mandat de dépôt le lendemain par le juge d’instruction, Mouhib Khatir a été incarcéré à la prison de Hadjout. Son acquittement a été obtenu grâce à une forte mobilisation citoyenne.


    Le maire comparaitra, en revanche, dans l’après midi du lundi au Tribunal de Blida dans le cadre d’une affaire commerciale

    Ancien chef d’entreprise installé en France avant de revenir en Algérie en 2000, Mouhib Khatib, 48 ans, père de cinq enfants, était poursuivi pour diffamation, tentative d’escroquerie, abus de pouvoir et outrage.

    Arrêté dans la soirée du mercredi 6 juillet par des policiers en civils qui ne disposaient pas d’un mandat d’arrêt, le maire a été placé le lendemain sous mandat de dépôt par le juge du tribunal de Hadjout et incarcéré dans la prison de la même ville, à l’ouest d’Alger

    Élu à la tête de l’APC en décembre 2007, il n’ a eu de cesse d’accuser la mafia locale de Zéralda ainsi que l’ex- procureur de la république de Blida, Mohamed Abdelli, de s’être ligués contre lui pour l’abattre.

    Son épouse, Sabrina Khatir, dénonce une cabale judiciaire et affirme détenir des preuves et des documents attestant que son mari fait l’objet d’un complot.

    Depuis son élection à la tête de l’APC de Zéralda, coquette station balnéaire située à 29 kms à l’ouest d’Alger, Mouhib Khatir a engagé une guerre contre ceux qu’il qualifie de barrons, de corrompus, d’intouchables.

    Pour ce maire apprécié par la population pour son franc-parler, une pègre locale a mis main basse sur le centre des affaires la ville, un grand immeuble construit en 1994 et destiné à abriter des bureaux, un hôtel, une salle de conférence…

    Désormais libre, le maire devrait rejoindre sa famille en fin de journée.


    Lire l'article original : Après 50 jours de détention dans la prison de Hadjout : Le maire de Zéralda Mouhib Khatir acquitté | DNA - Dernières nouvelles d'Algérie

    Note perso : Bonne fête à toute sa famille et aux citoyens qui ont manifesté leur solidarité contre l'arbitraire et la corruption . Bonne fête à tous les algériens épris de Justice !

    Source :http://www.dna-algerie.com

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  • « La longue quête d'un islam des Lumières » Entretien avec Malek Chebel, spécialiste du monde arabe et de l’islam Henri Tincq - Malek Chebel      

     

    Benoît XVI estime que la pensée islamique n’a pas su intégrer les catégories de la raison et s’est ainsi montrée plus vulnérable au fondamentalisme.
    Au contraire, l’islam a toujours voulu frayer avec la raison, la domestiquer par la philosophie, les mathématiques, l’histoire et autres disciplines rationnelles. Faut-il rappeler que les grands penseurs chrétiens, comme Thomas d’Aquin, ou juifs, comme Maïmonide, et toute la pensée médiévale ont eu accès à la philosophie grecque - Aristote, mais aussi Hippocrate, Euclide, Ptolémée - grâce aux Arabes, aux institutions de traduction financées par les califes de Bagdad ou d’Andalousie ?

    Mais la remarque du pape est, en partie, fondée. A la différence de l’Occident, la raison est restée cantonnée aux sphères intellectuelles de l’islam. Elle n’a pas pénétré les veines d’une orthodoxie rigide et méfiante face à tout apport extérieur. Dès le VIIIe siècle, un mouvement de libres-penseurs, les mutazilites, a essayé de conceptualiser ce rapport de la foi à la raison, avant d’être écarté. Mais si le dogme musulman a pu se codifier (fiqr), c’est bien grâce aux instruments de la raison. Même chose pour les "encyclopédistes" musulmans qui, au Xe siècle, ont fait progresser les sciences naturelles, la chimie, la mathématique, la physique. Puis, au siècle suivant, les savants et médecins comme Averroès, Ibn Tufayl et autres. C’est l’âge d’or de l’islam, avant qu’il ne tombe dans l’abîme.

    Vous voulez parler de la chute de Grenade ?

    Le déclin de l’islam a commencé, en effet, avec la Reconquista catholique de l’Espagne en 1492. Jusque-là, sa vitalité intellectuelle était sans comparaison. 1492 est une date à marquer au fer rouge. Elle signe la fin de la maîtrise musulmane sur le monde physique, l’exploration de la nature, la curiosité philosophique et scientifique. C’est l’échec du projet musulman fondé sur la rationalité. 1492 : les musulmans sortent de l’Histoire. 1492 : les chrétiens rentrent dans l’Histoire avec la découverte de l’Amérique.

    La tradition critique ne s’est donc pas perpétuée dans l’islam comme dans le christianisme...


    Pour l’islam, la tradition critique - et de l’autocritique - n’a jamais été une discipline significative. L’islam a toujours fonctionné sur le trépied suivant : les "guerriers" qui se réclament du djihad, les "théologiens" qui leur fournissent une légitimation sacrée, et les "marchands" qui financent. Au-dessus : le calife ; mais, à la marge, toujours, les intellectuels, les libres-penseurs, les philosophes...

    Ce triangle redoutable fonctionne encore aujourd’hui, mais de manière plus masquée : le souverain gouverne ; l’autorité religieuse (les oulémas) approuve, émet des fatwas destinées à faciliter l’action du politique ; le financement par le "marchand" toujours prêt à assister les deux autres dans l’espoir d’y faire des bénéfices. Dans ce rôle aujourd’hui, on aura reconnu l’Arabie saoudite.

    Ce trépied est le béton armé de l’islam. Il a toujours fonctionné à l’époque du califat et il fonctionne encore aujourd’hui sous les régimes militaires ou semi-civils, toujours autoritaires. Et à l’extérieur du cercle, toujours : l’intellectuel, l’Autre, l’étranger, le juif, le chrétien, etc.

    Est-ce que vous reconnaissez au pape le droit de vous interpeller sur la violence qui serait intrinsèque à l’islam ?

    Je reconnais à chacun le droit de nous interpeller sur nos failles et nos déficiences. Nous avons besoin du regard de l’autre pour progresser dans la voie des réformes. Je reconnais donc le droit à toute autorité d’une autre religion de nous alerter. Pour autant, je suis dubitatif devant l’argument selon lequel l’islam serait intrinsèquement violent. Cette idée ne favorise en rien le dialogue.

    La vérité, c’est que le christianisme a pu être très violent à certaines périodes de son histoire et très lumineux à d’autres. Même chose pour l’islam.
    En sept siècles de présence musulmane en Andalousie, l’islam n’a pas été violent. Il a su accueillir l’Autre, n’a fait de pogroms ni contre les chrétiens ni contre les juifs, a pu prospérer au niveau intellectuel et économique. Des souverains andalous avaient des médecins juifs à leur chevet !

    L’islam peut donc être une religion de tolérance et de paix. C’est quand il est en situation de repli qu’il devient dangereux pour les autres et pour lui-même. Il devient alors autiste, ne sait plus établir les hiérarchies, mélange le niveau émotionnel et méthodologique.

    Il nous faut donc séparer radicalement islam et islamisme. Ne jamais lier les deux. L’islam peut être capable de beauté, de charité, comme de violence et de guerre. Tout dépend de celui qui l’interprète. Un théologien, un grammairien, un juriste va puiser dans le Coran les versets qui prêchent la paix et la convivialité. Mais au même moment, un autre théologien va faire dire l’inverse au texte.

    Le Coran ne dit ni plus ni moins que ce que l’interprète lui fait dire. Ce qui est important, c’est l’interprétation qu’on en fait. Au nom du même texte sacré, on a fait les plus grandes réalisations du monde et on a commis les plus grands crimes.

    L’avenir est donc dans une herméneutique libre...

    Oui, et je réclame le droit pour tous les intellectuels musulmans de se livrer à ce travail d’herméneutique, d’explicitation, d’interrogation des textes. Afin de pouvoir récuser la légitimation religieuse de la "guerre sainte", l’héritage inégal pour l’homme et la femme, la répudiation, la polygamie.

    Le dialogue entre chrétiens, juifs et musulmans ne doit-il pas repartir sur des bases plus réalistes ?

    Nous avons d’abord fait un travail d’approche, cherché une façon de nous parler, trouver un vocabulaire commun. Il a aussi fallu pacifier le lourd passé que nous portons dans nos histoires personnelles. Mais à chaque fois qu’un vrai dialogue a commencé, ont éclaté des crises, les attentats de Madrid, de Londres, l’affaire des caricatures de Mahomet. Les belles constructions échafaudées depuis des années ont volé en éclats.

    Là est le problème : on met trois semaines pour fabriquer un terroriste, trente ans pour fabriquer un intellectuel critique. Tant qu’on est dans ce rapport pervers au temps, on sera la proie de cette violence à bas prix qui éclabousse l’ensemble de la communauté. Tant qu’on n’a pas pris le parti de former des esprits critiques, capables d’interpréter le texte, de dialoguer avec l’autre, on sera toujours à la recherche d’un islam de paix perdu, d’un islam des Lumières.

    Propos recueillis par Henri TincqParu dans Le Monde du 17/09/2006

      Source:http://www.malekchebel.com/

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  • Etude: néo-orientalisme et critique de l'islam



    Le "néo-orientalisme" désigne un renouvellement et une réhabilitation des thèses de l’orientalisme classique dans un contexte de progressive idéologisation des relations entre les pays du Moyen-Orient et ceux de l'Occident, favorisant un retour de la lecture essentialiste du champ islamique. Olivier Moos a longuement analysé ces discours et nous livre ses observations critiques. Intitulée Lénine en djellaba, cette étude traite de l’émergence d’un discours néo-culturaliste dans la période postérieure à la "guerre froide". Ce discours est articulé autour de la critique du fait musulman, et plus particulièrement de l’islamisme. L’idée principale est qu’un ensemble complexe de facteurs a entraîné le remplacement de l’Est communiste par l’Orient islamique comme la figure par excellence de l’altérité. Dans un contexte de menaces fluides, globalisées et mal identifiées, la critique de l’islam est intégrée, par un certain nombre d’acteurs individuels ou collectifs, à différentes stratégies identitaires locales ou nationales, au sein de discours politiques de droite comme de gauche.

    En Europe et aux Etats-Unis, cette intégration se fait par l’entremise d’un courant intellectuel que nous nommons néo-orientalisme. Ce courant réhabilite et renouvelle les thèses de l’orientalisme classique en les « modernisant » et en les associant à la défense des valeurs de la modernité, de la démocratiques et du sécularisme. C’est ce néo-orientalisme qui fournit la matière argumentative à une majorité des discours critiques de l’islam(isme) dans les pays occidentaux.

    L'étude d'Olivier Moos constitue le N° 7 des Cahiers de l'Institut Religioscope. Veuillez cliquer ici pour télécharger le texte intégral (38 pages) au format PDF (655 Ko):
    http://www.religion.info/pdf/2011_08_Moos.pdf

    Source:http://religion.info/index.shtml

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