• Henry Corbin, 1903-1978 (1/2)

    Par Benoit Berthelier

    Germaniste, iranologue, arabisant, érudit, intellectuel, voyageur et mondain, tout cela Henry Corbin l’a été. Il fut néanmoins avant tout philosophe. En effet, si l’homme semble avoir suivi de multiples lignes de parcours, l’œuvre quant à elle est toute une : de l’herméneutique luthérienne à la traduction de Heidegger jusqu’à la « résurrection » des penseurs de l’ancienne Perse, la philosophie d’Henry Corbin fait œuvre d’une même quête, celle du sens et de son interprétation spirituelle et existentielle (ta’wil). La postérité d’Henry Corbin n’est cependant pas qu’une gloire de bibliothèques : si le philosophe spécialiste des traditions religieuses islamiques est toujours aujourd’hui étudié et révéré, il a également été crédité d’avoir rendu à l’Iran son passé et, diront certains, son âme.

     

    De Heidegger à Sohrawardi

     

    Henry Corbin naît à Paris en 1903. Après avoir obtenu son baccalauréat et sa licence de philosophie scolastique en 1922, ce théologien de formation suit les cours d’Etienne Gilson, professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Études, qui exhumait alors le continent largement inexploré de la philosophie médiévale. Corbin, fasciné, le prend immédiatement pour modèle. Un cours sur Avicenne et l’avicennisme latin convainc Corbin d’apprendre l’arabe, à l’étude duquel il joint celle du sanskrit, à l’Ecole Nationale des Langues Orientales. Diplômé de l’EPHE en 1928, Corbin rencontre l’année suivante Louis Massignon, éminent islamologue qui l’introduit alors aux arcanes de la vie mystique en Islam. Corbin fait part à Massignon de son intérêt pour les philosophies de l’ancienne Perse, et en particulier d’un certain Sohrawardi, philosophe iranien du XIIe siècle, mort en martyr à Alep en Syrie. Massignon lui remet alors un exemplaire lithographié de l’œuvre majeure de Sohrawardi : Hikmat al-Ishrâq (La Théosophie orientale). C’est là le point d’origine de la grande œuvre de Corbin qui s’attachera par la suite à éditer et traduire les œuvres des philosophes perses ayant précédé et suivi Sohrawardi, en particulier les philosophes dits « Orientaux », les Ishrâqîyûn.

     

    Tout en étudiant Sohrawardi, Corbin s’intéresse à l’herméneutique luthérienne, mais aussi à la philosophie existentielle de Martin Heidegger, alors relativement inconnu en France. Voyageant en Allemagne au début des années 1930, Corbin se rend à Freiburg pour rencontrer le maître allemand pour la première fois en 1934 et commence à traduire certains de ses textes, qui paraîtront en français sous le titre « Qu’est-ce que la métaphysique ? » en 1939. Si la distance qui sépare Heidegger, héritier d’une tradition philosophique fondamentalement occidentale, et Sohrawardi peut surprendre, elle participe pour Corbin d’une même dynamique herméneutique visant à découvrir un sens spirituel toujours caché, à dévoiler l’ésotérique derrière l’exotérique. Comme le dit Corbin, « Sohrawardi ne me serait pas apparu avec son aura fulgurante si je n’avais pas été formé et informé par cette phénoménologie [de Heidegger] » (1). Freiburg, Téhéran, Ispahan, « cités emblématiques » dira Corbin, sont toutes les maillons d’une même chaîne de questionnement, menant vers l’étrangeté d’un vocabulaire identique, qu’il soit celui de la théosophie iranienne ou celui du Dasein heideggérien : le vocabulaire de l’existence et du sens. Corbin propose ainsi une nouvelle idée de la philosophie comparée : il ne s’agit plus seulement de confronter dans un exercice d’école les grands auteurs d’une liste convenue à l’avance, mais d’« élucider ce qui se joue dans l’orientation des systèmes de donation du sens » (2).

     

    Dans l’entre-deux-guerres, Corbin se lie d’amitié avec de nombreux intellectuels et universitaires, comme les frères Jean et Joseph Baruzi, ou encore Émile Benveniste, ainsi que des orientalistes comme Georges Vajda et Hellmut Ritter. Il rencontre également Rudolf Otto, théologien luthérien allemand, sur lequel il produit une étude, Alexandre Koyré, auquel il apporte son soutien à l’EPHE en 1937 pour son cours sur Luther, ainsi que le jeune Alexandre Kojève. En 1940, après un passage par la Bibliothèque Nationale, Corbin est dépêché par le ministère des Affaires Étrangères à l’Institut français d’archéologie d’Istanbul comme pensionnaire scientifique. La guerre faisant rage, il en reste bientôt le seul occupant et est chargé d’en assurer la gestion. Ce qui était censé être un séjour de quelques mois se prolonge en réalité pendant cinq ans. Pendant toute la guerre, Corbin collecte les manuscrits de Sohrawardi et d’autres auteurs perses éparpillés dans les diverses bibliothèques d’Istanbul. Il édite une très grande partie des textes de Sohrawardi et les traduit en français. Corbin projette alors de se rendre en Iran pour y découvrir la « terre d’accueil métaphysique » (3) qui l’attire tant. Le 6 septembre 1945, Henry Corbin et sa femme Stella quittent Istanbul pour Téhéran.

     

    Corbin en Iran

     

    Dès août 1944, Corbin reçoit un ordre de mission pour la Perse de la part du « gouvernement d’Alger ». Après un long voyage d’Istanbul jusqu’à Bagdad puis Téhéran, les Corbin arrivent enfin en Iran. A Téhéran, Corbin prononce une première conférence en novembre 1945 sur Sohrawardi, organisée par le professeur Pour Dâwûd de l’Université de Téhéran, traducteur de l’Avesta en persan. Cette conférence lui assure une entrée retentissante dans le monde intellectuel iranien, par qui il est très bien accueilli. En effet, Corbin est convié aux réunions organisées par Pour Dawûd à son domicile, qui rassemblaient alors des personnalités importantes, comme l’écrivain Sâdegh Hedâyat (auteur de La Chouette aveugle), le professeur Mohammad Mo’in, futur collaborateur de Corbin, et Mehdî Bayânî, conservateur à la Bibliothèque nationale. Sans doute la chaleur de cet accueil est-elle également due à un passé de relations culturelles franco-iraniennes relativement favorables. L’Iran compte en effet plusieurs écoles françaises fréquentées par les enfants de l’élite du pays. Les relations universitaires entre la France et l’Iran sont par ailleurs loin d’être inexistantes, un certain nombre d’étudiants iraniens ayant achevé leurs études en Occident et particulièrement en France. Il faut enfin souligner que dans les milieux aisés, le français est souvent parlé couramment.

     

    Tout cela favorise la création en 1947 d’un « Département d’Iranologie » par la Direction générale des Relations culturelles du ministère des Affaires Étrangères, annexé au nouvel Institut français dont Corbin assure la direction et les publications. Le Département survit encore aujourd’hui à travers l’IFRI (Institut Français de Recherches en Iran). De retour à Paris après six ans d’absence, Corbin est très vite nommé Directeur d’études à l’EPHE, en 1954. Il fonde alors la collection « Bibliothèque iranienne » où paraîtront 19 volumes, à la fois en français et en persan, regroupant les textes majeurs de la philosophie iranienne, soigneusement édités. Comme le note Daryush Shayegan, la Bibliothèque iranienne est un phénomène culturel fondamental de l’histoire philosophique de l’Iran contemporain (4). A la demande de la Direction générale des Relations culturelles, Corbin se rend tous les automnes en Iran à partir de 1955, pour s’occuper du Département d’Iranologie de l’Institut français. Il enseigne en même temps à l’Université de Téhéran. A partir de 1949 et jusqu’à sa mort, Corbin donne également des conférences au sein du cercle de philosophie « Eranos » en Suisse, à Ascona, où il se lie d’amitié avec Carl Gustav Jung, Emil Cioran et Mircea Eliade.

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  • Peinture a l huile . Mohamed Aib .

     

    L’Invitation au Voyage

    Charles Baudelaire

    Mon enfant, ma sœur,
    Songe à la douceur
    D’aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
    Les soleils mouillés
    De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
    Si mystérieux
    De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.

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  • Gulbenkian (Calouste Sarkis)

    Par Lisa Romeo

    Homme d’affaire talentueux et collectionneur d’art exigeant, Calouste Sarkis Gulbenkian a marqué aussi bien l’histoire de l’industrie pétrolière, en participant au développement de l’exploitation des ressources du Moyen-Orient, que le domaine de l’art en étant l’un des plus grands collectionneurs de son temps et en fondant la Fondation Calouste Gulbenkian.

     

    Un jeune arménien ottoman à l’incroyable destin

     

    Calouste Gulbenkian est né le 27 mars 1869 à Scutari, l’actuel quartier de Üsküdar à Istanbul, dans une famille aisée de commerçants anatoliens d’origine arménienne. Après avoir fréquenté l’école Aramyan-Uncuyan de Kadikoy et l’école française de Saint Joseph, le jeune Gulbenkian est envoyé à Marseille puis à Londres où il étudie l’ingénierie au King’s College. Il y obtient son diplôme en 1887 à l’âge de 19 ans. Fraichement diplômé, Gulbenkian part alors en Transcaucasie à Bakou pour compléter sa formation. Il relate son voyage dans un ouvrage La Transcaucasie et la péninsule d’Apchéron et rédige un article dans la Revue des deux mondes sur le potentiel de la mer Caspienne et la région de Bakou en 1891. Ses écrits vont persuader le ministre des Mines du gouvernement ottoman de lui confier la rédaction d’un communiqué sur les ressources pétrolières de l’Empire. Calouste Gulbenkian va ainsi se lancer dans l’industrie pétrolière naissante qui fera de lui l’un des hommes les plus influents de son temps.

     

    Gulbenkian et le développement de l’exploitation pétrolière au Moyen-Orient

     

    En 1895, Gulbenkian s’installe en Egypte et fréquente d’importantes personnalités du monde pétrolier, tel que l’homme d’affaire arménien Alexandre Mantachoff. Immergé dans le milieu, il s’affirme rapidement comme un véritable expert et devient peu à peu une figure incontournable des secteurs financiers et pétroliers. Résidant à Londres depuis 1897, où il se fait naturalisé en 1902, il participe à la fondation du groupe pétrolier Royal-Dutch Shell. Fin diplomate, il parvient alors à mettre en relation les compagnies américaines et russes. Sa carrière prend un nouvel envol lorsqu’il est nommé en 1910 par le gouvernement Jeune-turc (voir Jeunes Turcs et révolution de 1908), au pouvoir depuis 1908, conseiller de la Banque nationale de Turquie destinée à aider au développement économique de l’Empire ottoman. Il joue alors l’intermédiaire entre les Ottomans, les Britanniques et les Allemands qui essayent d’obtenir du gouvernement d’importantes concessions. Il parvient finalement à faire converger tous leurs intérêts en créant en 1912 la Turkish Petroleum Company (TPC) chargée d’assurer l’exploitation du pétrole irakien. La TPC est alors composée de la Royal-Dutch Shell (25 %), la National Bank of Turkey (35 %) et d’intérêts allemands (25 %). Gulbenkian, qui récupère les 15 % restant, siège au Conseil d’administration mais ne possède pas de concession. Sa part est ensuite rabaissée à 5 % deux ans plus tard et reste à ce niveau jusqu’à la fin de sa vie. Cela lui vaudra d’ailleurs le surnom de « Monsieur cinq pour cent ». Il participe ensuite, au lendemain de la Première Guerre mondiale, à toutes les négociations entre Alliés sur le pétrole irakien et joue un rôle majeur dans l’intégration de capitaux français dans la TPC en 1921 avant d’ouvrir la porte aux compagnies américaines en 1928.

     

    Installé depuis 1920 dans un hôtel particulier avenue d’Iéna à Paris, Gulbenkian est également conseiller commercial de l’Iran. Sous le gouvernement de Vichy en 1940, il décide de poursuivre cette fonction. Ses parts dans l’Iraq Petroleum Company (nom donné à la TPC depuis 1929) sont alors confisquées par la Grande-Bretagne mais elle lui seront finalement rendues à la fin des années 1940, à la suite de nombreuses procédures juridiques. Il quitte finalement la France en 1942 pour s’installer à Lisbonne, au Portugal, où il finira sa vie en 1955.

     

    Gulbenkian : collectionneur et amateur d’art

     

    Tout au long de sa vie, Gulbenkian a cultivé une grande passion pour l’art. Fin connaisseur, il accumule près de 6 000 œuvres qui sont aujourd’hui regroupées dans son musée éponyme ouvert au public depuis octobre 1969 à Lisbonne. On y trouve un savant mélange de chefs d’œuvre aussi bien orientaux et islamiques qu’occidentaux. Dans son testament rédigé en 1953, il prévoit de léguer son incroyable collection à une fondation destinée à financer des projets artistiques et éducatifs. Elle sera inaugurée un an après sa mort, en 1956, dans la capitale portugaise. De son vivant, ce pionnier de l’industrie pétrolière finançait également de nombreuses écoles, églises arméniennes et hôpitaux dans l’ensemble du Moyen-Orient.

     

    Bibliographie :
    Le ciel dans un tapis, catalogue de l’exposition présentée à l’Institut du monde arabe à Paris du 7 décembre 2004 au 27 mars 2005, puis à la Fondation Calouste Gulbenkian de Lisbonne du 28 avril au 31 juillet 2005, ISBN Editions Snoeck, 2004.
    
André Nouschi, La France et le pétrole de 1924 à nos jours, Paris, Editions A. et J. Picard, 2001.
    Site internet de la Fondation Calouste Gulbenkian http://www.gulbenkian-paris.org/fr/accueil

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